Cour d’appel administrative de Paris, le 27 juin 2025, n°24PA00791

Par un arrêt en date du 27 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la déductibilité fiscale des honoraires juridiques acquittés par une société française dans le cadre d’une opération de financement structurée à l’échelle d’un groupe international.

En l’espèce, une société française, agissant comme entité faîtière d’un pôle d’activités, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au terme de laquelle l’administration fiscale a remis en cause la déduction de charges relatives à des honoraires d’avocats. Ces frais avaient été engagés dans le contexte d’une opération de rachat avec effet de levier, pour laquelle une société de droit luxembourgeois, créée à cet effet, avait formellement souscrit un contrat de prêt de 180 millions d’euros. L’administration estimait que ces dépenses n’avaient pas été engagées dans l’intérêt direct de l’entreprise française, dès lors que le contrat de financement principal avait été conclu par une autre entité qui, selon les termes de la convention, devait en supporter les frais. Saisi par la société, le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement du 18 décembre 2023, a validé la position de l’administration et rejeté la demande de décharge. La société a alors interjeté appel de cette décision, soutenant que les frais correspondaient à un financement dont elle avait directement et effectivement bénéficié pour refinancer sa propre dette.

La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si des frais juridiques liés à un contrat de financement, formellement conclu par une société mère étrangère dans le cadre d’une restructuration de groupe, peuvent être considérés comme une charge déductible pour une filiale française, dès lors que cette dernière parvient à établir qu’elle est une bénéficiaire directe et effective dudit financement.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par l’affirmative. Elle annule le jugement de première instance au motif que la société requérante a fourni des éléments suffisants pour justifier de la réalité de la contrepartie obtenue en échange des frais litigieux, et que l’administration fiscale n’a pas réussi à démontrer le caractère anormal de la dépense. La cour estime que les preuves apportées par le contribuable, notamment les écritures comptables attestant de la réception des fonds et sa désignation comme « emprunteur original » dans la convention, suffisaient à établir que les charges avaient été engagées dans son propre intérêt, déplaçant ainsi la charge de la preuve sur l’administration, qui n’a pas apporté la contradiction nécessaire.

La solution retenue par la cour s’articule autour d’une application rigoureuse des règles de preuve en matière fiscale (I), laquelle permet de consacrer une analyse économique de l’intérêt de l’entreprise dans le cadre d’opérations de groupe complexes (II).

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I. La déduction des charges conditionnée par une application classique de la charge de la preuve

La décision de la cour administrative d’appel rappelle avec clarté la mécanique probatoire qui gouverne la déduction des charges en droit fiscal. Elle s’attache d’abord à vérifier si le contribuable a satisfait à son obligation de justification initiale (A), avant de constater l’insuffisance des arguments de l’administration pour renverser la présomption qui en découle (B).

A. La justification probatoire apportée par le contribuable

Le juge de l’impôt rappelle utilement le principe selon lequel la charge de la preuve pèse en premier lieu sur le contribuable qui entend déduire une charge de son résultat imposable. Il lui appartient « de justifier tant du montant des créances, amortissements, provisions et charges qu’il entend déduire du bénéfice net […] que de la correction de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité ». Cette exigence implique pour l’entreprise de produire des éléments précis sur la nature de la dépense, son existence et la valeur de la contrepartie retirée.

En l’espèce, la société requérante a satisfait à cette obligation en fournissant un faisceau d’indices concordants. Face au libellé jugé trop succinct des factures initiales, elle a produit des documents plus détaillés mentionnant explicitement un « Financement mis à disposition de T2i » et des écritures comptables du grand livre qui traçaient la réception effective de plusieurs millions d’euros sur ses comptes. Ces éléments matériels et comptables ont permis de relier directement les honoraires acquittés à un avantage économique concret et individualisé pour la société française, et non pour la seule société mère luxembourgeoise. La cour a ainsi considéré que le contribuable apportait des « éléments de nature à justifier de la correction des écritures comptables en cause ».

B. Le défaut de preuve contraire de l’administration fiscale

Une fois que le contribuable a fourni des justifications suffisantes, la charge de la preuve se déplace vers l’administration. Il incombe alors à cette dernière, si elle maintient sa position, de démontrer que la charge n’est pas déductible, soit par sa nature, soit parce qu’elle est dépourvue de contrepartie réelle ou qu’elle relève d’un acte anormal de gestion. Le juge souligne que la simple absence de réponse complète du contribuable lors du contrôle ne peut suffire à fonder un redressement.

Dans cette affaire, la cour constate que l’administration s’est limitée à une argumentation formaliste et partielle. Elle s’est principalement fondée sur la lettre du contrat de prêt principal qui mettait les frais à la charge de la société luxembourgeoise, sans toutefois contester les éléments essentiels avancés par le contribuable. L’administration « ne remet en cause ni la qualité d’ ’emprunteur original’ […] que la convention de prêt […] a conférée à la société T2i, ni les allégations de la société requérante » relatives à la réception des fonds et à leur utilisation pour le refinancement de sa propre dette. En se bornant à opposer une clause contractuelle sans combattre les preuves de la réalité économique de l’opération, l’administration a échoué à établir que la dépense était étrangère à l’intérêt de la société française.

Cette application rigoureuse des règles de la preuve permet à la cour de dépasser le cadre formel de l’opération pour en examiner la substance économique et l’intérêt réel pour le contribuable.

II. La prévalence d’une approche économique de l’intérêt social dans les opérations de groupe

Au-delà de la question probatoire, cet arrêt illustre la nécessité d’adopter une approche pragmatique pour apprécier la notion d’intérêt social, particulièrement dans le contexte des financements intra-groupe (A). Il offre ainsi une clarification bienvenue quant à la justification des frais engagés dans de telles structures (B).

A. Le rejet d’une analyse formaliste au profit de la réalité économique

L’argumentaire de l’administration fiscale reposait sur une lecture stricte de l’acte juridique principal, en vertu de laquelle seule la société signataire du prêt était redevable des frais y afférents. Une telle approche, si elle était systématiquement retenue, rendrait extrêmement difficile la déduction de frais dans les montages financiers modernes, notamment les LBO, où le recours à des sociétés ad hoc (Special Purpose Vehicle) pour porter la dette d’acquisition est une pratique courante et économiquement rationnelle.

La cour administrative d’appel refuse de s’en tenir à cette vision formaliste. En prenant en considération la qualité d’emprunteur original de la filiale française et, surtout, les flux financiers effectifs qui démontrent qu’elle a bien été la bénéficiaire finale d’une partie du prêt, le juge de l’impôt consacre une analyse de substance. Il reconnaît que l’intérêt d’une entreprise ne se limite pas aux actes qu’elle conclut directement en son nom, mais s’étend aux opérations menées au sein de son groupe dès lors qu’elle en retire un avantage direct et mesurable. La décision valide ainsi le fait qu’une dépense peut être engagée dans l’intérêt d’une filiale même si elle est facturée dans le cadre d’un contrat global signé par sa mère.

B. La portée de la décision sur la déductibilité des frais de restructuration

Cette décision, sans constituer un revirement de jurisprudence, renforce la sécurité juridique des entreprises engagées dans des opérations de restructuration. Elle confirme que le critère déterminant pour la déductibilité d’une charge est celui de la contrepartie effective au profit de l’entreprise qui l’enregistre, et non l’identité du signataire formel des contrats. Pour les groupes de sociétés, cela signifie que la correcte imputation des frais de gestion, de conseil ou de financement entre les différentes entités est possible, à condition de pouvoir la justifier par une documentation précise.

L’arrêt constitue un guide pratique pour les contribuables : la traçabilité des flux financiers, la mention explicite des différentes parties bénéficiaires dans les conventions annexes ou les correspondances, et la tenue d’une comptabilité rigoureuse sont des éléments déterminants pour défendre la déductibilité des charges. En privilégiant la réalité économique sur l’apparence juridique, la cour rappelle que le principe de l’intérêt social doit être apprécié de manière concrète, en tenant compte de la complexité et de la logique économique propre aux groupes de sociétés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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