Cour d’appel administrative de Paris, le 27 juin 2025, n°24PA04150

Par un arrêt en date du 27 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité du refus d’octroyer un délai de départ volontaire à un étranger en situation irrégulière. En l’espèce, un ressortissant moldave, entré irrégulièrement sur le territoire français, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 11 avril 2024 l’obligeant à quitter le territoire français. Cette décision était assortie d’un refus de délai de départ volontaire et d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de douze mois. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par un jugement du 24 septembre 2024, le magistrat désigné a annulé les décisions refusant un délai de départ volontaire et prononçant une interdiction de retour, mais a rejeté le surplus de la requête. L’autorité préfectorale a alors interjeté appel de ce jugement en tant qu’il annulait partiellement son arrêté, soutenant que ses décisions n’étaient entachées d’aucune erreur manifeste d’appréciation. Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si le refus d’accorder un délai de départ volontaire, bien que fondé sur des critères légaux établissant un risque de soustraction, pouvait néanmoins constituer une erreur manifeste d’appréciation au regard de la situation personnelle et familiale de l’étranger. La cour administrative d’appel rejette la requête de l’autorité préfectorale. Elle confirme que c’est à bon droit que le premier juge a estimé que la décision était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, validant ainsi l’annulation du refus de délai de départ volontaire et, par voie de conséquence, celle de l’interdiction de retour sur le territoire.

I. La confirmation d’un contrôle approfondi sur l’appréciation préfectorale

La cour exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation qui, tout en reconnaissant la marge de manœuvre de l’administration fondée sur des dispositions légales précises, en sanctionne une application mécanique et indifférenciée.

A. La reconnaissance d’un pouvoir administratif encadré

L’administration dispose, en matière de police des étrangers, de prérogatives définies par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’article L. 612-2 de ce code l’autorise à refuser un délai de départ volontaire notamment lorsqu’il « existe un risque que l’étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l’objet ». L’article L. 612-3 du même code précise les cas dans lesquels ce risque peut être regardé comme établi, visant par exemple l’étranger qui s’est maintenu sur le territoire sans solliciter la délivrance d’un titre de séjour. Dans la présente affaire, l’autorité préfectorale s’est prévalue de ces dispositions pour justifier sa décision, arguant que la situation de l’intéressé correspondait aux hypothèses légales. La cour ne conteste pas que ces motifs, tirés du maintien irrégulier de l’étranger sur le territoire, pouvaient légalement fonder un refus de délai de départ volontaire. Elle admet ainsi que l’autorité préfectorale pouvait, sur le principe, se fonder sur les dispositions des 2° et 4° de l’article L. 612-3 pour prendre sa décision.

B. La sanction d’une appréciation insuffisamment personnalisée

Toutefois, la cour administrative d’appel valide le raisonnement du premier juge qui a censuré la décision préfectorale. Le tribunal avait estimé que l’autorité préfectorale ne pouvait se borner à constater la présence d’un risque de soustraction pour justifier automatiquement sa décision. En confirmant que c’est « à bon droit que le magistrat désigné du tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision portant refus d’un délai de départ volontaire au motif qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation », la cour sanctionne une approche administrative qui a omis de procéder à un examen complet et concret de la situation de l’intéressé. Le juge de première instance avait en effet relevé que l’étranger justifiait d’une adresse stable et d’un passeport valide, éléments de nature à nuancer le risque de fuite. La décision souligne ainsi que l’existence d’un fondement légal ne dispense pas l’administration d’une appréciation circonstanciée des faits de l’espèce, sous le contrôle du juge.

II. La prévalence de la situation personnelle dans l’exercice du contrôle

La solution retenue par la cour met en lumière l’importance accordée à la situation humaine de l’étranger, en particulier sa vie familiale, dans l’appréciation de la proportionnalité d’une décision administrative, rappelant ainsi les limites du pouvoir discrétionnaire de l’administration.

A. La prise en compte déterminante de la situation familiale

La cour ne se contente pas de valider l’analyse du premier juge, elle la renforce par ses propres motifs. Elle relève que l’intéressé avait exprimé sa volonté de coopérer lors de son audition, acceptant de retourner dans son pays en cas de mesure d’éloignement. Surtout, elle accorde un poids décisif à la situation familiale, notant « la présence en France de son épouse également en situation irrégulière et leur enfant, âgé de quatre mois seulement à la date de la décision attaquée ». De cette circonstance, elle déduit qu’il « paraît nécessaire qu’il puisse disposer d’un délai afin de pouvoir prendre des dispositions pour organiser le retour du couple et de leur enfant en Moldavie dans de bonnes conditions ». Cet élément devient le pivot du raisonnement, transformant la simple faculté d’accorder un délai en une quasi-nécessité au regard de l’impératif de permettre une organisation digne du départ d’une famille incluant un nourrisson. L’intérêt de l’enfant, bien que non explicitement mentionné comme tel, pèse de manière évidente dans la balance.

B. La portée du contrôle sur la proportionnalité des mesures d’éloignement

En définitive, cet arrêt illustre la fonction du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation comme un outil de vérification de la proportionnalité de l’action administrative. La cour rappelle que même lorsque la loi offre une faculté à l’administration, celle-ci doit être mise en œuvre de manière juste et adaptée aux particularités de chaque situation. En jugeant que le refus de délai était manifestement erroné « dans les circonstances particulières de l’espèce », elle signifie aux autorités préfectorales que l’efficacité de la politique d’éloignement ne saurait justifier de faire abstraction des considérations humanitaires les plus élémentaires. Cette décision, sans créer de droit nouveau, constitue un rappel important de l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions non seulement en droit, mais aussi au travers d’une analyse concrète et individualisée des situations personnelles, particulièrement en présence d’enfants en bas âge. Elle confirme que le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de police des étrangers s’exerce dans le respect des droits et libertés fondamentaux, sous le regard vigilant du juge administratif.

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Hassan KOHEN
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