Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris le 27 mars 2025 offre un éclairage sur les modalités de contestation d’une reconstitution de chiffre d’affaires par l’administration fiscale. En l’espèce, une société exploitant un bar-brasserie a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été réclamés. L’administration, ayant écarté la comptabilité de l’entreprise pour de graves irrégularités, a procédé à une reconstitution des recettes en utilisant la méthode dite de la « comptabilité matière », fondée sur un panel de produits jugés significatifs. Saisi par la société, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge des impositions par un jugement du 10 mai 2023. La société a alors interjeté appel de cette décision, contestant tant la régularité de la procédure d’imposition que le bien-fondé des redressements. Elle soutenait notamment que la proposition de rectification était insuffisamment motivée, que la méthode de reconstitution était viciée dans son principe et que les quantités et abattements retenus par le service étaient erronés. La question de droit posée à la cour était double : d’une part, de savoir si le choix par l’administration d’un panel restreint de produits suffit à rendre une méthode de reconstitution de chiffre d’affaires excessivement sommaire et, d’autre part, comment s’articule la charge de la preuve entre le contribuable et l’administration s’agissant des différents paramètres de cette reconstitution. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la méthode n’est pas radicalement viciée et que le contribuable, qui supporte en grande partie la charge de la preuve, n’apporte pas les éléments suffisants pour démontrer le caractère exagéré des bases d’imposition retenues.
L’analyse de cette décision révèle la confirmation d’une approche pragmatique du contrôle juridictionnel sur les méthodes de reconstitution (I), laquelle s’accompagne d’une application rigoureuse et différenciée des règles relatives à la charge de la preuve (II).
I. La validation pragmatique de la méthode de reconstitution
La cour confirme la validité de la méthode de reconstitution employée par l’administration en écartant les critiques portant tant sur le principe même de la méthode que sur la régularité formelle de la procédure. Elle adopte une lecture concrète des obligations pesant sur le service vérificateur.
A. Le rejet de la critique substantielle de la méthode
La société requérante soutenait que la méthode était « excessivement sommaire et radicalement viciée dans son principe » au motif que le panel de produits retenu, bien que représentant une part significative des achats, n’était pas exhaustif. La cour écarte cet argument en soulignant que le contribuable ne peut se borner à une critique générale. Il lui appartient de « démontre[r] en quoi le panel de produits retenus par le service ne serait pas pertinent ». Faute pour la société d’apporter de tels éléments ou de « propose[r] une méthode de reconstitution plus précise que celle mise en œuvre par le service », sa critique ne peut prospérer. Le juge valide ainsi une méthode reposant sur un échantillon dès lors que celui-ci présente un caractère raisonnable, en l’occurrence près de 29 % des achats, et que le contribuable ne parvient pas à en démontrer l’inadéquation. Cette solution confirme une jurisprudence constante qui accorde une marge d’appréciation importante à l’administration dans le choix de sa méthode de reconstitution, dès lors que la comptabilité a été valablement écartée. Le juge n’exerce qu’un contrôle restreint sur le principe de la méthode, reportant l’essentiel du débat contentieux sur la preuve du caractère non exagéré des résultats obtenus.
B. La confirmation de la régularité formelle de la rectification
La cour opère une distinction classique entre la motivation de la proposition de rectification et son bien-fondé. Elle rappelle que, pour satisfaire aux exigences de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, l’acte doit simplement exposer les motifs de droit et de fait des redressements de manière à « permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile ». En l’espèce, la proposition de rectification précisait les motifs du rejet de la comptabilité, exposait la méthode de reconstitution retenue et détaillait les éléments pris en compte. Pour la cour, la preuve de la suffisance de cette motivation réside dans le fait même que « la société Saint Germain Restauration, comme elle l’a d’ailleurs fait, [a pu] formuler utilement ses observations ». Cette approche pragmatique de l’exigence de motivation est protectrice des droits du contribuable sans imposer à l’administration un formalisme excessif. Elle recentre le débat sur le fond du droit et non sur des vices de procédure qui n’auraient pas eu d’incidence sur la capacité du contribuable à se défendre. Le juge administratif se refuse à annuler une procédure pour un grief qui s’analyse en réalité comme une critique du bien-fondé de l’imposition.
II. L’application rigoureuse de la charge de la preuve
La décision se distingue par son application méticuleuse des règles de répartition de la charge de la preuve, qui varient selon les points de contestation. Le sort des prétentions du contribuable dépend directement de sa capacité à fournir des justifications probantes.
A. La preuve incombant au contribuable pour les abattements
S’agissant des abattements pour pertes sur la bière ou de l’évaluation de la consommation de café par le personnel, la cour fait peser sans équivoque la charge de la preuve sur la société. Ce principe s’applique car l’administration s’est conformée sur ces points à l’avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires. La société doit alors « démontrer l’exagération de ses bases imposables ». Le juge examine en détail les éléments produits et constate leur insuffisance. Par exemple, pour justifier un abattement supérieur sur la bière, la société se prévaut d’un constat d’huissier qui « se borne à indiquer la longueur de la canalisation d’alimentation de la pompe à bière sans aucune autre précision ». Une telle pièce est jugée impropre à établir la réalité et le quantum des pertes alléguées. De même, les affirmations relatives à la consommation du personnel sont rejetées faute de preuves. Cette analyse factuelle précise illustre l’exigence de rigueur probatoire qui s’impose au contribuable qui entend contester une reconstitution de recettes validée par la commission départementale. Les simples allégations ou des éléments de preuve imprécis ne sauraient suffire à renverser la présomption de bien-fondé des impositions.
B. La preuve incombant à l’administration pour les éléments non conformes à l’avis de la commission
La cour fait une application tout aussi stricte, mais inversée, de la charge de la preuve concernant la quantité de café par tasse. Sur ce point précis, l’administration n’avait pas suivi l’avis de la commission, qui préconisait 8 grammes, et avait maintenu son propre chiffre de 7 grammes. Conformément à l’article L. 192 du livre des procédures fiscales, « il incombe au ministre d’établir le bien-fondé des impositions ». L’administration s’acquitte de cette obligation en produisant un courrier de l’unique fournisseur de café de la société, qui recommande « un dosage de 7 grammes par tasse pour réaliser un espresso dans les meilleures conditions ». Le juge considère cette preuve comme déterminante. Face à cet élément technique et objectif, la preuve contraire proposée par la société, à savoir un constat d’huissier attestant d’un réglage à 9 grammes, est jugée inopérante. La cour relève que ce constat a été « dressé le 8 novembre 2016, soit après la période vérifiée, et il n’a porté, en tout état de cause, que sur une seule journée d’utilisation ». Cet arrêt constitue une décision d’espèce, mais sa valeur réside dans l’illustration parfaite du mécanisme probatoire en contentieux fiscal. Il démontre que la force d’un élément de preuve dépend moins de sa forme, fût-elle celle d’un acte d’huissier, que de sa pertinence, de son objectivité et de sa concordance avec la période vérifiée.