Par un arrêt en date du 27 mars 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision préfectorale obligeant un étranger en situation irrégulière à quitter le territoire français. En l’espèce, un ressortissant égyptien, entré en France en 2016 selon ses dires, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral du 23 octobre 2023 lui imposant de quitter le territoire sans délai, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour de trois ans. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Melun avait annulé cet arrêté par un jugement du 2 mai 2024, au motif que l’administration n’avait pas procédé à un examen suffisant de sa situation personnelle, notamment de sa vie familiale avec une ressortissante européenne. La préfète a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la preuve d’une intégration sociale et familiale n’était pas rapportée. Le requérant de première instance, bien que régulièrement informé de la procédure d’appel, n’a pas produit de mémoire en défense. La question qui se posait à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si quelques attestations suffisaient à caractériser une vie familiale effective et, par conséquent, à vicier la décision administrative d’un défaut d’examen. D’autre part, la cour devait, par l’effet dévolutif de l’appel, examiner si les garanties procédurales offertes à l’étranger, notamment son droit d’être entendu avant l’édiction de la mesure d’éloignement, avaient été respectées. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance et a rejeté la demande de l’étranger. Elle a considéré que les éléments produits ne permettaient pas d’établir la réalité de la vie familiale alléguée, écartant ainsi le défaut d’examen. Examinant ensuite les autres moyens, elle a jugé que le droit d’être entendu avait été respecté lors de l’audition de l’intéressé par les services de police et que la décision n’emportait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
La décision commentée illustre avec clarté le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures d’éloignement, lequel se manifeste par une vérification approfondie des faits justifiant l’atteinte à la vie privée et familiale (I), tout en confirmant une conception pragmatique des garanties procédurales encadrant l’action de l’administration (II).
I. Le contrôle approfondi de l’appréciation des attaches privées et familiales par le juge d’appel
La cour administrative d’appel, réformant la décision des premiers juges, a procédé à une analyse rigoureuse des éléments de preuve relatifs à la vie familiale de l’intéressé. Elle a d’abord censuré l’appréciation portée par le tribunal administratif sur l’existence d’une vie familiale (A), avant de confirmer une application stricte des exigences liées au droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. La censure de l’appréciation des premiers juges quant à l’existence d’une vie familiale
Le tribunal administratif avait annulé l’arrêté préfectoral pour défaut d’examen de la situation personnelle de l’étranger. Les premiers juges avaient en effet considéré que l’administration aurait dû tenir compte de la vie familiale que l’intéressé menait depuis trois ans avec une ressortissante d’un État membre de l’Union européenne. La cour d’appel ne suit pas ce raisonnement et procède à une réévaluation concrète des pièces versées au dossier. Elle relève que « par les seules attestations qu’il a produites, dont une seule, établie par l’intéressée, mentionne de manière circonstanciée une vie commune, [l’intéressé] n’établit pas qu’il menait avec une ressortissante italienne et l’enfant de celle-ci une vie commune en France depuis trois ans ». Cette motivation met en lumière le niveau d’exigence probatoire attendu par le juge d’appel. La seule production d’attestations, même si l’une d’elles est détaillée, est jugée insuffisante pour démontrer l’ancienneté et la stabilité d’une relation de concubinage. Le juge administratif exerce ainsi un contrôle entier sur la matérialité des faits et leur qualification juridique, ne se contentant pas d’affirmations non étayées par des preuves objectives et concordantes. En cassant l’analyse du premier juge, la cour rappelle que le défaut d’examen ne peut être retenu lorsque l’administration a pris en compte des allégations qui se sont révélées par la suite insuffisamment prouvées.
B. La confirmation d’une application rigoureuse du droit au respect de la vie privée et familiale
Au-delà du défaut d’examen, la cour se penche sur le fond du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’analyse menée par le juge d’appel est factuelle et met en balance l’ingérence dans les droits de l’intéressé avec les objectifs de la police des étrangers. La cour constate que l’intéressé est un « célibataire sans enfant qui ne produit aucune preuve de sa présence sur le territoire français avant 2020, n’établit pas, par les attestations et pièces produites, qu’il vivrait en concubinage depuis plusieurs années en France, où il n’établit pas non plus avoir exercé une activité professionnelle ». Au regard de cette accumulation d’éléments négatifs, l’arrêté d’éloignement n’est pas considéré comme ayant porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige des liens réels, anciens et stables avec la France pour faire obstacle à une mesure d’éloignement. La décision démontre que la seule allégation d’une relation, sans preuve tangible de son ancienneté et de sa stabilité, et en l’absence de toute autre forme d’intégration sociale ou professionnelle, ne suffit pas à constituer un droit au maintien sur le territoire.
L’effet dévolutif de l’appel a conduit la cour à examiner les autres arguments soulevés en première instance. Ces moyens, essentiellement procéduraux, ont également été écartés, témoignant d’une approche réaliste des obligations pesant sur l’administration.
II. La portée limitée des garanties procédurales en matière de police des étrangers
La cour administrative d’appel a validé la procédure suivie par l’administration en livrant une interprétation pragmatique du droit d’être entendu (A), et en rejetant les autres moyens de légalité externe et interne soulevés par le requérant (B).
A. L’interprétation pragmatique du droit d’être entendu
Le requérant invoquait la méconnaissance du droit d’être entendu avant l’adoption d’une mesure défavorable, tel que garanti par le droit de l’Union européenne. La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle ce droit, en tant que principe général, s’applique aux États membres. Elle en précise toutefois la portée pratique : il s’agit pour la personne concernée de pouvoir « faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue ». Or, la cour constate en l’espèce que « l’intéressé a été entendu par les services de police, sur son identité, sa situation personnelle et familiale, ses conditions d’entrée et de séjour en France, sa situation administrative ainsi que ses conditions de travail, et a été informé de ce qu’une mesure d’éloignement était susceptible d’être prise à son encontre ». De plus, il était assisté d’un avocat. Pour la cour, cette audition suffit à satisfaire l’exigence procédurale. Elle ajoute que l’étranger ne démontre pas quel élément nouveau, s’il avait été formellement entendu par les services préfectoraux eux-mêmes, aurait pu modifier le sens de la décision. Cette approche s’écarte d’un formalisme excessif et considère que le droit a été respecté dès lors que l’étranger a eu l’opportunité de présenter ses arguments avant que la décision ne soit prise, peu important l’organe administratif qui a mené l’audition.
B. Le rejet des autres moyens de légalité externe et interne
La cour écarte successivement tous les autres moyens. La motivation de l’arrêté est jugée suffisante dès lors qu’il vise les textes applicables et les éléments de la situation de l’intéressé. Le refus d’accorder un délai de départ volontaire est également validé. La préfète s’était fondée sur un risque de soustraction à la mesure, caractérisé par plusieurs critères légaux, dont l’absence de justification d’une résidence effective. Le requérant « n’apportant aucune preuve d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale », le moyen tiré de l’erreur d’appréciation est écarté. Enfin, l’interdiction de retour sur le territoire français est jugée légale par voie de conséquence de la légalité de l’obligation de quitter le territoire. Sa motivation, fondée sur la durée de présence, l’absence de liens et l’existence d’une précédente mesure d’éloignement, est jugée suffisante. À travers ce balayage complet des moyens, la cour confirme la robustesse de l’arsenal juridique à la disposition de l’administration pour éloigner les étrangers en situation irrégulière dont l’intégration sur le territoire français demeure superficielle et non documentée.