Par une décision en date du 27 mars 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un arrêté préfectoral ordonnant plusieurs mesures d’éloignement à l’encontre d’une ressortissante étrangère.
En l’espèce, une ressortissante congolaise, entrée sur le territoire français en janvier 2020, a donné naissance à un enfant en France en 2022, dont le père, de même nationalité, se trouve en situation régulière. La mère de l’intéressée dispose également d’un titre de résident en France. À la suite d’une interpellation pour des faits d’usurpation d’identité et de vol aggravé, le préfet de la Seine-Saint-Denis a pris, le 31 août 2023, un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de douze mois. La requérante a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande d’annulation de l’obligation de quitter le territoire sans délai et de l’interdiction de retour. Par un jugement du 30 mai 2024, sa demande a été rejetée. L’intéressée a alors interjeté appel de ce jugement, en contestant la légalité de l’ensemble des mesures contenues dans l’arrêté préfectoral. Elle soutenait notamment que les décisions étaient insuffisamment motivées, entachées d’un défaut d’examen de sa situation, et violaient les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si une interdiction de retour sur le territoire français peut être légalement fondée, dans sa durée, sur une menace à l’ordre public déduite de faits contestés n’ayant pas donné lieu à des poursuites judiciaires avérées, au regard de la situation personnelle et familiale de l’intéressée.
La cour administrative d’appel a partiellement fait droit à la requête. Si elle confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français et du refus d’octroi d’un délai de départ volontaire, elle annule en revanche l’interdiction de retour de douze mois. La cour juge que le préfet a commis une erreur d’appréciation en fixant la durée de cette interdiction, dès lors que la menace à l’ordre public n’était pas suffisamment établie par la seule mention de faits délictuels contestés et non poursuivis, et que la durée de présence en France de l’intéressée ainsi que ses attaches familiales rendaient cette mesure disproportionnée.
La décision commentée illustre ainsi une dualité dans le contrôle du juge administratif, qui exerce une appréciation rigoureuse de la proportionnalité des sanctions accessoires à la mesure d’éloignement (I), tout en maintenant une approche plus restrictive s’agissant de la mesure principale elle-même (II).
I. La consolidation de la mesure d’éloignement par un contrôle restreint
La cour administrative d’appel valide les décisions portant obligation de quitter le territoire et refus de délai de départ volontaire en s’appuyant sur une interprétation stricte des conditions de leur édiction. Elle confirme ainsi la marge d’appréciation de l’autorité administrative en la matière (A), tout en légitimant le refus de départ volontaire sur la base d’un seul critère suffisant (B).
**A. Une appréciation restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale**
La cour écarte les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Pour ce faire, elle procède à une balance des intérêts en présence. Elle reconnaît la présence de la requérante en France depuis près de quatre ans, la naissance de son enfant sur le territoire et la situation régulière du père. Toutefois, elle estime que ces éléments ne suffisent pas à caractériser une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. La cour relève que l’intéressée « ne justifie d’aucune insertion particulière dans la société française » et qu’il n’est pas démontré que le père « participe effectivement à l’entretien et à l’éducation de celui-ci ». Ce raisonnement témoigne d’un niveau d’exigence élevé quant à la preuve de l’intégration et de la réalité de la vie familiale. En minimisant la portée de ces attaches, la cour fait prévaloir les objectifs de maîtrise des flux migratoires sur la situation personnelle de la requérante, confirmant une approche classique qui reconnaît à l’État une latitude importante pour décider de l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière.
**B. La légalisation du refus de départ volontaire fondée sur un risque de soustraction**
La cour valide également la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire. Le préfet s’était fondé sur plusieurs motifs, dont une menace pour l’ordre public et un risque que l’étrangère se soustraie à l’obligation de quitter le territoire. La cour opère une économie de moyens en ne retenant qu’un seul fondement, jugé suffisant pour justifier légalement la décision. Elle s’appuie sur les dispositions combinées des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour relève en effet qu’il ressort des pièces du dossier que la requérante « a fait savoir qu’elle n’accepterait pas de quitter volontairement le territoire français ». Cette simple déclaration, recueillie lors de son audition, suffit à caractériser l’intention de ne pas se conformer à la mesure d’éloignement. Dès lors, le préfet « a pu légalement fonder, pour ce seul motif, sa décision » sur un risque de soustraction. Cette approche pragmatique renforce l’efficacité des décisions préfectorales en considérant qu’un seul des critères légaux, s’il est établi, suffit à justifier le refus d’un départ volontaire.
II. L’annulation de l’interdiction de retour, sanction d’une appréciation erronée
Contrastant avec son analyse précédente, la cour exerce un contrôle plus approfondi sur la légalité de l’interdiction de retour, en sanctionnant l’insuffisance des motifs liés à l’ordre public (A) et en revalorisant le poids des attaches personnelles et familiales dans le cadre de cette mesure spécifique (B).
**A. L’exigence d’une menace avérée pour l’ordre public**
Le cœur de l’apport de cet arrêt réside dans l’annulation de l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de douze mois. Pour justifier cette durée, le préfet s’était prévalu de la menace à l’ordre public que représenterait la requérante, en raison de son interpellation pour des faits de vol et d’usurpation d’identité. La cour censure ce raisonnement en relevant que l’intéressée « conteste la matérialité de ces faits et que le préfet n’indique, pas plus en appel qu’en première instance, si le procureur de la République a engagé à son encontre des poursuites à raison de ces faits ». Ce faisant, la cour refuse d’assimiler une simple interpellation, suivie d’allégations contestées, à une menace établie pour l’ordre public. Elle pose ainsi une exigence de preuve plus substantielle à la charge de l’administration. Pour fonder la durée d’une interdiction de retour, le préfet ne peut se contenter d’invoquer des soupçons ; il doit pouvoir s’appuyer sur des éléments objectifs et circonstanciés, tels que l’engagement de poursuites pénales. Cette solution protège les administrés contre des décisions fondées sur des faits non vérifiés et garantit que la présomption d’innocence produise des effets en droit administratif.
**B. La réaffirmation de la nécessaire prise en compte de la situation personnelle**
Pour annuler l’interdiction de retour, la cour ne se limite pas à invalider le motif tiré de la menace à l’ordre public. Elle opère une appréciation globale de la situation de la requérante, en application de l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Contrairement à son analyse sur l’obligation de quitter le territoire, la cour accorde ici un poids déterminant aux attaches de l’intéressée en France. Elle souligne qu’à la date de la décision, la requérante « justifie de sa présence en France depuis plus de trois ans et demi et que sa mère y réside régulièrement sous couvert d’une carte de résident ». En mettant en balance ces éléments concrets avec la fragilité du motif tiré de la menace à l’ordre public, la cour conclut que le préfet « a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation » en fixant la durée de l’interdiction à douze mois. La décision se distingue par ce contrôle de proportionnalité approfondi, appliqué non pas au principe de l’éloignement, mais à une sanction qui en est l’accessoire. Elle rappelle que plus une mesure administrative est punitive et affecte durablement la situation d’une personne, plus le juge se doit de contrôler rigoureusement qu’elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à sa situation individuelle.