Par un arrêt en date du 28 février 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger, père d’un enfant souffrant d’une pathologie grave.
Un ressortissant marocain, entré sur le territoire français en 2020, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 22 janvier 2024 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour de deux ans. L’intéressé est le père d’un enfant né en France en 2023, atteint d’une pathologie chronique nécessitant un suivi médical constant. Il a saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande d’annulation de cet arrêté, laquelle fut rejetée par un jugement du 8 mars 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant notamment que son éloignement méconnaîtrait son droit au séjour en qualité de parent d’un enfant malade, son droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi que l’intérêt supérieur de son enfant.
Il revenait ainsi à la Cour administrative d’appel de déterminer si une obligation de quitter le territoire français peut être légalement édictée à l’encontre d’un parent d’un enfant dont l’état de santé est particulièrement grave, lorsque ce parent n’a pas formellement sollicité de titre de séjour à ce titre avant l’édiction de la mesure et que sa situation familiale a évolué postérieurement à celle-ci.
La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle estime que le requérant ne peut se prévaloir des dispositions relatives au séjour des parents d’enfants malades dès lors qu’il n’avait pas déposé de demande en ce sens, et que l’appréciation de son droit au respect de la vie privée et familiale doit s’effectuer à la date de la décision attaquée, rendant inopérants les changements de situation ultérieurs.
La solution retenue par la Cour, si elle peut paraître sévère, repose sur une application rigoureuse des conditions d’examen du droit au séjour (I), réaffirmant par là même les limites du contrôle exercé par le juge administratif et la charge procédurale qui incombe au ressortissant étranger (II).
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I. Une application rigoureuse des conditions d’examen du droit au séjour
La Cour fonde sa décision sur une lecture stricte des textes, tant en ce qui concerne le droit au séjour lié à l’état de santé de l’enfant (A) que pour l’appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. Le rejet de l’argument fondé sur l’état de santé de l’enfant en l’absence de demande de titre
Le requérant invoquait les dispositions de l’article L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoient la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour aux parents étrangers d’un enfant mineur dont l’état de santé est d’une exceptionnelle gravité. La Cour écarte ce moyen par un raisonnement en deux temps. D’une part, elle rappelle que ce type de titre n’est pas de plein droit et ne saurait, en lui-même, faire obstacle à une mesure d’éloignement. D’autre part, et de manière plus décisive, elle constate que l’intéressé n’apporte pas la preuve qu’il aurait sollicité un tel titre avant que l’arrêté ne soit pris. La juridiction relève en effet qu’« il n’établit en tout état de cause pas avoir déposé une demande de titre de séjour en qualité de parent accompagnant d’un enfant malade, sur le fondement de l’article L. 425-10 précité ». En l’absence de saisine de l’administration sur ce fondement spécifique, le préfet n’était pas tenu de consulter le collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, et l’argument tiré du défaut d’examen devient inopérant. La Cour refuse ainsi de contrôler la situation du requérant au regard d’un droit qu’il n’avait pas formellement cherché à exercer.
B. Une appréciation de la vie privée et familiale cristallisée à la date de la décision
Le requérant soulevait également une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour écarter ce moyen, la Cour se place scrupuleusement à la date de l’édiction de l’arrêté contesté, soit le 22 janvier 2024. Elle examine les éléments de la situation personnelle et familiale de l’intéressé à cette date précise : une entrée récente en France, et une compagne elle-même en situation irrégulière. Le mariage du requérant avec la mère de son enfant et la régularisation ultérieure de celle-ci, bien que des éléments importants de leur vie familiale, sont jugés sans effet sur la légalité de la décision. La Cour le formule clairement : « la circonstance que M. A… et Mme D… se sont mariés et que cette dernière s’est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour, postérieurement à la date de la décision attaquée, est sans incidence sur l’appréciation de la vie privée et familiale du requérant à cette date ». Cette approche temporelle stricte permet de neutraliser des arguments qui, s’ils avaient été contemporains de la décision, auraient pu emporter une autre appréciation. De même, concernant l’état de santé de l’enfant, la Cour note qu’à la date de l’arrêté, aucun document ne prouvait l’impossibilité pour l’enfant de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays d’origine de ses parents.
L’orthodoxie juridique dont fait preuve la Cour dans son raisonnement met en lumière la portée limitée de son office et les exigences qui en découlent pour l’administré.
II. La portée de l’office du juge et la responsabilité procédurale de l’étranger
Cette décision illustre le rôle du juge de l’excès de pouvoir, qui se limite à un contrôle de légalité sans se substituer à l’administration (A), et rappelle l’importance de la diligence procédurale pour le ressortissant étranger (B).
A. La confirmation d’une approche classique de l’office du juge de l’excès de pouvoir
En refusant de prendre en compte les éléments postérieurs à l’acte attaqué, la Cour applique l’un des principes cardinaux du contentieux de l’excès de pouvoir. Le juge administratif contrôle la légalité d’une décision administrative au jour où elle a été prise. Il ne saurait l’annuler pour des motifs de fait ou de droit apparus ultérieurement. Cette décision n’est donc pas tant une manifestation de sévérité qu’un rappel de la nature même du contrôle juridictionnel. La Cour n’examine pas s’il serait aujourd’hui opportun de régulariser la situation du requérant, mais uniquement si, au 22 janvier 2024, le préfet a commis une illégalité. En jugeant que les moyens tirés de la violation de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant et de l’erreur manifeste d’appréciation doivent être écartés pour les mêmes motifs, elle confirme que l’ensemble de l’appréciation de la situation personnelle est tributaire des éléments dont disposait l’administration au moment de sa décision.
B. Une illustration de la charge de la preuve pesant sur le ressortissant étranger
En filigrane, l’arrêt souligne la responsabilité qui incombe à l’étranger dans la constitution de son dossier et la justification de sa situation. Le requérant soutenait avoir été dans l’impossibilité de prendre un rendez-vous en ligne pour déposer sa demande de titre. La Cour rejette cet argument, estimant qu’une simple capture d’écran, de surcroît postérieure à la décision, ne suffit pas à établir cette impossibilité. Cette position, constante en jurisprudence, rappelle que l’allégation d’un dysfonctionnement des services préfectoraux doit être solidement étayée pour être retenue par le juge. De même, la charge de prouver que l’enfant ne pourrait bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine pèse sur le demandeur. En ne retenant pas ce point comme établi à la date de la décision, la Cour applique une logique probatoire stricte. Cette décision d’espèce, par sa motivation pédagogique, constitue un rappel pragmatique : en droit des étrangers, le succès d’un recours contentieux dépend de manière cruciale de la capacité de l’administré à avoir préalablement et rigoureusement formalisé ses demandes et constitué son dossier auprès de l’administration.