Cour d’appel administrative de Paris, le 29 avril 2025, n°23PA04764

Par un arrêt en date du 29 avril 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la régularité d’une ordonnance de première instance et sur la légalité d’une décision de recouvrement de sommes versées au titre de l’activité partielle.

Une société exerçant une activité de commerce de détail a bénéficié du dispositif d’aide mis en place pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19. À la suite d’un contrôle sur pièces, la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) a informé cette société, par un courriel du 26 novembre 2021, qu’elle avait procédé à la correction de ses demandes d’indemnisation et au recouvrement d’un trop-perçu. La société a formé un recours hiérarchique, qui a été implicitement rejeté. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande d’annulation de la décision contenue dans le courriel et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique. Par une ordonnance du 13 septembre 2023, le président de la formation de jugement a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable. La société a interjeté appel de cette ordonnance, contestant son irrégularité et, sur le fond, l’illégalité de la décision de recouvrement.

Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un courriel de l’administration informant une entreprise d’une procédure de recouvrement constituait une décision faisant grief susceptible d’un recours pour excès de pouvoir. En cas de réponse positive, il lui revenait de se prononcer, par la voie de l’évocation, sur la légalité de cette décision au regard notamment de l’obligation de motivation.

La cour a jugé que le courriel du 26 novembre 2021 devait être regardé comme une décision faisant grief, ce qui rendait la demande de première instance recevable et l’ordonnance attaquée irrégulière. Statuant sur le fond, elle a ensuite annulé la décision administrative, considérant qu’elle était insuffisamment motivée. La solution retenue s’articule ainsi autour de la qualification de l’acte litigieux, laquelle conditionne l’examen de sa validité au fond.

I. La qualification de l’acte administratif comme condition de la recevabilité du recours

La cour administrative d’appel a d’abord infirmé l’appréciation du premier juge en reconnaissant au courriel litigieux le caractère d’une décision attaquable, ce qui a entraîné la censure de l’ordonnance ayant déclaré la requête manifestement irrecevable.

A. La reconnaissance du caractère décisoire d’un courriel

Les juges d’appel ont procédé à une analyse pragmatique du contenu et du contexte de l’envoi électronique pour en déduire sa nature. Ils ont relevé que l’objet du courriel, mentionnant une « régularisation de demande d’indemnisation et recouvrement », ainsi que son contenu, indiquant que l’administration avait procédé « à la correction de ses demandes d’indemnisation et au recouvrement du trop-perçu », manifestaient l’intention de l’administration d’arrêter une mesure ayant des effets juridiques directs sur la situation de la société. Cette interprétation a été renforcée par la mention, dans ce même courriel, des voies et délais de recours, indice classique de la nature décisoire d’un acte administratif. En conséquence, la cour a estimé que le courriel du 26 novembre 2021 devait « être regardé comme une décision faisant grief à la société […] ou, à tout le moins, comme révélant la décision de la DRIEETS d’ordonner le recouvrement d’une somme ». Cette approche privilégie la substance de l’acte sur sa forme, considérant qu’un simple courriel peut, par sa teneur et ses implications, constituer une décision exécutoire.

B. La censure de l’irrecevabilité manifeste retenue en première instance

En qualifiant le courriel d’acte attaquable, la cour a logiquement conclu à l’irrégularité de l’ordonnance du tribunal administratif. Le président de la formation de jugement s’était fondé sur le 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter la requête comme manifestement irrecevable. Or, cette procédure de tri des requêtes est réservée aux cas où l’irrecevabilité ne fait aucun doute. En l’espèce, la question de savoir si un courriel pouvait constituer une décision faisant grief méritait un examen au fond et ne pouvait être tranchée par une simple ordonnance. La cour rappelle ainsi que le droit à un recours effectif impose une analyse approfondie de la nature de l’acte contesté avant de fermer la voie du prétoire. L’annulation de l’ordonnance s’imposait donc, le premier juge ayant commis une erreur de droit dans l’appréciation de la recevabilité de la demande.

Une fois la recevabilité de la requête admise, la cour a pu, par la voie de l’évocation, examiner les moyens de légalité soulevés par la société requérante.

II. L’annulation de la décision pour non-respect des garanties procédurales

Statuant directement sur la demande d’annulation, la cour a retenu le moyen tiré du défaut de motivation, ce qui illustre l’importance de cette garantie fondamentale dans les rapports entre l’administration et les administrés.

A. Le rappel de l’exigence de motivation des décisions de recouvrement

La cour fonde son raisonnement sur les dispositions du code des relations entre le public et l’administration, notamment son article L. 121-1 qui impose une procédure contradictoire préalable pour les décisions individuelles devant être motivées. Une décision de recouvrement d’un trop-perçu constitue une mesure défavorable prise en considération de la personne, qui entre dans le champ de l’obligation de motivation prévue à l’article L. 211-2 du même code. Cette exigence n’est pas purement formelle ; elle vise à permettre à l’administré de comprendre les raisons de droit et de fait qui fondent la décision de l’administration et, le cas échéant, de la contester utilement. La motivation est donc une garantie essentielle des droits de la défense, dont le respect s’impose avec d’autant plus de rigueur lorsque la décision a des conséquences financières pour son destinataire.

B. La caractérisation du défaut de motivation

Appliquant ce principe au cas d’espèce, les juges ont constaté que la décision du 26 novembre 2021 ne satisfaisait pas à cette exigence. Ils ont relevé de manière précise qu’elle « n’indique pas les motifs pour lesquels la DRIEETS a estimé que la société […] aurait reçu un trop-perçu lors de la mise en œuvre du dispositif d’activité partielle […], ni le mode de calcul de ce trop-perçu, ni même son montant ». Une telle absence d’informations substantielles place la société dans l’impossibilité de vérifier le bien-fondé de la somme réclamée et de préparer une argumentation contradictoire. Le simple renvoi à des anomalies et à une correction des demandes est jugé insuffisant pour constituer une motivation adéquate. Par conséquent, en ne fournissant pas les éléments essentiels à la compréhension de son calcul et de son raisonnement, l’administration a méconnu une garantie fondamentale. L’annulation de la décision pour vice de forme substantiel était donc inévitable, sans qu’il soit nécessaire pour la cour d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante.

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Hassan KOHEN
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