Un requérant, victime en 1958 d’un accident de la circulation en Algérie, a saisi la justice administrative à la suite du rejet de sa demande de pension de victime civile de guerre par le ministre des Armées. L’intéressé, alors âgé de sept ans, fut renversé et grièvement blessé par un véhicule de l’armée française conduit par un officier. Le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 13 octobre 2023, a rejeté sa demande en annulation de la décision ministérielle. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Paris devait donc se prononcer sur la qualification des faits au regard des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, issues de la loi du 13 juillet 2018, qui ouvrent un droit à pension pour les personnes ayant subi en Algérie des dommages physiques du fait « d’attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec la guerre d’Algérie ». Le requérant soutenait que l’accident, provoqué par un véhicule militaire dans le contexte du conflit, constituait un tel acte de violence. Le ministre opposait, outre la tardiveté de la demande, que les conditions de fond n’étaient pas réunies. La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si un accident de la circulation, impliquant un véhicule de l’armée française affecté à une mission d’assistance civile durant la guerre d’Algérie, pouvait être qualifié d’« acte de violence en relation avec » ce conflit. Par un arrêt du 29 avril 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les faits ne sauraient être regardés comme un acte de violence au sens de la loi. La solution repose sur une interprétation restrictive de la notion légale d’acte de violence (I), dont la portée conduit à distinguer rigoureusement les missions de l’armée pour l’application du droit à réparation (II).
I. L’interprétation restrictive de la notion d’acte de violence
La cour, pour refuser le droit à pension, se fonde sur une analyse stricte des dispositions applicables, exigeant un lien direct entre le dommage et une manifestation de violence inhérente au conflit (A), et ce, malgré la matérialité des faits qui semblaient inscrire l’accident dans le contexte de la guerre (B).
A. L’exclusion des faits accidentels sans lien direct avec le conflit
Le juge administratif rappelle que le bénéfice d’une pension de victime civile de guerre est subordonné à la preuve, par le demandeur, que ses infirmités résultent de « blessures reçues ou d’accidents subis du fait d’attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec cette guerre ». En l’espèce, la cour ne conteste ni la réalité de l’accident, ni l’implication d’un agent et d’un véhicule de l’armée française, ni même le contexte historique. Toutefois, elle examine la finalité de l’action militaire à l’origine du dommage. Il ressort de son analyse que le véhicule « transportait des céréales » dans le cadre d’une « mission d’assistance à la population », mission que les sections administratives spécialisées exerçaient alors. C’est ce caractère civil et humanitaire de la mission qui conduit la cour à dissocier l’accident de la violence liée aux opérations de guerre. L’arrêt établit ainsi une condition implicite : l’acte, pour ouvrir droit à pension, doit participer, par sa nature ou son intention, à la violence du conflit et non relever d’une simple activité logistique ou administrative, fût-elle militaire.
B. La confirmation du caractère déterminant de la finalité de la mission
Bien que les faits se soient produits « à une période où les actions violentes se multipliaient en Algérie », la cour refuse de voir dans ce contexte une présomption suffisante. L’élément décisif de son raisonnement réside dans la nature de l’activité exercée par l’officier au moment des faits. En qualifiant cette activité de mission d’assistance, le juge la détache des opérations de maintien de l’ordre ou de combat. L’accident de la circulation est alors considéré comme un événement fortuit, certes tragique et causé par un moyen militaire, mais dépourvu de l’élément intentionnel ou factuel de violence que le législateur a entendu viser. La solution est sévère, car elle impose à la victime de démontrer non seulement que son dommage est le fait de l’armée, mais aussi que l’action militaire en cause s’inscrivait directement dans une logique de confrontation. La cour estime en conséquence que l’accident « ne peut être regardé comme un acte de violence en relation avec la guerre d’Algérie ».
II. La portée de la solution : une distinction fonctionnelle des activités militaires
En validant le raisonnement du tribunal administratif, la cour administrative d’appel confirme une approche finaliste de l’engagement de la responsabilité de l’État en la matière (A), aboutissant à une décision d’espèce dont les fondements orthodoxes limitent l’extension du droit à réparation (B).
A. L’affirmation d’une approche finaliste du droit à pension
Cette décision illustre une conception du droit à réparation qui ne s’attache pas seulement à la qualité de l’auteur du dommage, mais à la finalité de son action. Un même agent, au sein de la même institution militaire et dans un même contexte de guerre, peut donc causer un dommage ouvrant droit à réparation s’il agit dans le cadre d’une opération de police ou de combat, mais voir sa responsabilité écartée au titre de la législation spéciale s’il accomplit une mission d’assistance. Cette distinction permet de contenir le champ d’application d’un dispositif dérogatoire et d’éviter que tout accident impliquant l’armée durant cette période soit assimilé à un fait de guerre. La valeur de la décision réside dans cette volonté de préserver l’esprit du texte, qui vise à indemniser les victimes de la violence spécifique d’un conflit armé, et non toutes les victimes d’accidents impliquant des moyens militaires. La solution, si elle peut paraître rigoureuse pour le requérant, garantit une cohérence juridique au régime de pension.
B. Une décision d’espèce aux implications jurisprudentielles limitées
L’arrêt, très dépendant des circonstances factuelles de l’espèce, notamment la mission de transport de céréales, a vraisemblablement la portée d’une décision d’espèce. Il ne pose pas un principe nouveau mais applique une grille d’analyse classique à une situation particulière. Son influence future se limitera probablement aux cas similaires où la nature de la mission militaire sera clairement établie et dépourvue de tout lien avec des opérations de violence. Il est significatif que la cour ait pris soin de statuer au fond, déclarant qu’il n’était « pas besoin d’examiner la recevabilité de la demande », pourtant contestée par le ministre. Ce choix de ne pas se défausser sur un moyen de procédure indique la volonté du juge de trancher la question de principe sur le fond, renforçant ainsi la portée pédagogique de son analyse sur la notion d’acte de violence. La solution rappelle que la présence de l’armée sur un théâtre d’opérations ne suffit pas à conférer à chacune de ses actions un caractère guerrier.