Cour d’appel administrative de Paris, le 29 avril 2025, n°24PA02465

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel le 29 avril 2025 offre une illustration précise du contrôle exercé par l’autorité administrative sur la procédure de licenciement pour motif économique d’un salarié protégé. En l’espèce, une société spécialisée dans l’assistance aéroportuaire, contrainte de cesser son activité sur une partie de ses terminaux d’exploitation suite à la crise sanitaire, a été placée en liquidation judiciaire. Dans ce contexte, un plan de sauvegarde de l’emploi a été élaboré et homologué. Le liquidateur judiciaire a alors sollicité l’autorisation de licencier un salarié titulaire d’un mandat représentatif. L’inspectrice du travail, après avoir initialement accordé son autorisation, a procédé à son retrait à la suite d’un recours gracieux formé par le salarié, avant de finalement refuser ladite autorisation. Saisie par la société, la juridiction administrative de première instance a rejeté la demande d’annulation de cette décision de refus. La société a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment une irrégularité de la procédure suivie par l’inspectrice du travail et une méconnaissance de l’étendue de son obligation de reclassement. La question posée à la cour était donc double : il s’agissait de déterminer, d’une part, si les garanties procédurales de l’employeur avaient été respectées lors du retrait de l’autorisation initiale et, d’autre part, si l’obligation de recherche sérieuse de reclassement pouvait être considérée comme satisfaite malgré le recours important à des travailleurs intérimaires au sein du groupe. Par sa décision, la cour rejette la requête, validant ainsi la décision de l’inspectrice du travail. Elle juge que la procédure contradictoire a été respectée en substance et que le recours significatif à l’intérim au sein du périmètre de reclassement révélait l’existence de postes disponibles qui auraient dû être proposés au salarié, caractérisant ainsi un manquement de l’employeur à son obligation. Cette décision vient ainsi préciser les contours du contrôle administratif en matière de licenciement économique d’un salarié protégé (I), tout en apportant une appréciation concrète de la notion de recherche sérieuse de reclassement (II).

I. La confirmation de l’étendue du contrôle administratif sur le licenciement économique du salarié protégé

La cour administrative d’appel, par cette décision, réaffirme la plénitude du contrôle opéré par l’autorité administrative, tant sur le plan de la régularité procédurale que sur le fond, y compris dans le contexte particulier d’une liquidation judiciaire. Elle examine ainsi avec pragmatisme le respect des garanties offertes à l’employeur (A) avant de confirmer que l’existence d’un plan de sauvegarde de l’emploi n’exonère pas l’inspecteur du travail d’un contrôle de fond sur l’obligation de reclassement (B).

A. Une appréciation pragmatique du respect de la procédure contradictoire

L’employeur soutenait que la procédure ayant conduit au retrait de l’autorisation de licenciement était irrégulière, l’inspectrice du travail ne lui ayant pas communiqué le recours gracieux du salarié dans les délais impartis pour présenter ses observations. La cour écarte ce moyen en adoptant une approche matérielle de la garantie du contradictoire. Elle relève que, nonobstant la communication tardive du recours, l’employeur disposait des informations essentielles pour préparer sa défense. En effet, l’inspectrice du travail avait déjà exposé les motifs susceptibles de fonder son revirement dans la décision initiale d’autorisation, puis dans le courrier annonçant le retrait envisagé. La cour considère ainsi que « compte tenu des informations déjà présentes dans le courrier du 25 avril 2022, en dépit de l’obscurité de ses termes, et dans la décision du 22 février 2022, et eu égard au délai de 10 jours qui s’est écoulé entre la communication de ce recours gracieux et l’intervention de la décision attaquée, […] l’employeur de M. B… a été mis à même de présenter utilement ses observations ». Cette position souligne que le vice de procédure n’est constitué que s’il est démontré que l’administré a été effectivement privé de la possibilité de faire valoir son point de vue. La seule irrégularité formelle est insuffisante si elle n’a pas eu d’incidence concrète sur les droits de la défense.

B. Le maintien d’un contrôle de fond malgré l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi

La société requérante arguait que, dans le cadre d’une liquidation judiciaire avec un plan de sauvegarde de l’emploi homologué, le contrôle de l’inspecteur du travail devait se limiter à l’absence de discrimination. La cour rejette fermement cette lecture restrictive. Elle rappelle qu’il appartient bien à l’autorité administrative de s’assurer du caractère sérieux de la recherche de reclassement. Si l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi fixe le périmètre du groupe de reclassement et que l’inspecteur du travail n’a pas à en apprécier la validité, son contrôle sur les démarches effectives de l’employeur à l’intérieur de ce périmètre demeure entier. La décision énonce clairement qu’il n’appartient pas à l’inspecteur « de remettre en cause le périmètre du groupe de reclassement qui a été déterminé par le plan de sauvegarde de l’emploi », mais qu’il lui incombe bien d’« apprécier s’il a été procédé à une recherche sérieuse de reclassement du salarié protégé ». En validant le raisonnement de l’inspectrice du travail sur ce point, la cour confirme que la protection spéciale accordée au salarié représentant du personnel implique une vérification concrète et approfondie de l’effort de reclassement, qui ne saurait être éludée par la seule existence d’un plan social, même homologué par l’administration.

II. Le recours à l’intérim, critère déterminant de l’appréciation de l’obligation de reclassement

Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt tire sa principale portée de l’analyse substantielle de l’obligation de reclassement. La cour fait du recours à des travailleurs temporaires un indice majeur de l’existence de postes disponibles non proposés au salarié (A), renversant ainsi la charge de la preuve sur l’employeur (B).

A. La révélation de postes disponibles par l’emploi de travailleurs temporaires

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’analyse des faits présentés par l’inspectrice du travail. Les offres de reclassement faites au salarié étaient sans rapport avec ses qualifications, majoritairement à temps partiel et pour une rémunération inférieure. Simultanément, une autre société du groupe, incluse dans le périmètre de reclassement, avait massivement recours à l’intérim. La cour juge que l’inspectrice du travail pouvait légitimement en déduire l’existence de postes non proposés. Elle précise qu’elle « pouvait valablement se référer à des circonstances postérieures susceptibles d’éclairer une situation préexistante et faisant apparaître qu’avant comme après l’autorisation en cause, une entreprise du groupe de reclassement avait recouru de manière significative à des travailleurs intérimaires pour un nombre d’heures correspondant à l’emploi de plusieurs salariés, ce dont il pouvait résulter que des postes étaient disponibles ». Cette analyse factuelle établit une présomption forte : un recours structurel à l’intérim pour des besoins qui ne sont pas manifestement ponctuels ou aléatoires équivaut à l’existence de postes de travail pérennes qui doivent être proposés en priorité dans le cadre d’un reclassement.

B. La charge de la preuve de l’indisponibilité des postes incombant à l’employeur

Conséquence directe de cette présomption, la cour place la charge de la preuve sur l’employeur. Une fois constaté le recours significatif à l’intérim, il appartenait à la société de démontrer que ces missions ne correspondaient pas à des emplois stables pouvant être offerts au salarié. Or, la cour constate que « la société requérante n’apporte aucun élément permettant de démontrer que les contrats de mise à disposition de ces salariés auraient été conclus pour des durées très courtes, afin de pallier des absences ponctuelles de salariés ou de faire face à des pointes isolées d’activité ». En l’absence de telles justifications, le manquement à l’obligation de recherche sérieuse et loyale de reclassement est caractérisé. La portée de cette solution est notable : elle impose à l’employeur qui procède à un licenciement économique tout en utilisant des intérimaires au sein de son groupe de documenter précisément la nature temporaire et aléatoire de ces missions, sous peine de voir son obligation de reclassement jugée non satisfaite, faisant ainsi obstacle au licenciement d’un salarié, a fortiori s’il est protégé.

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Hassan KOHEN
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