Par un arrêt rendu le 29 avril 2025, la cour administrative d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, se prononce sur les conséquences d’une faute médicale et la recevabilité de l’action d’un organisme de sécurité sociale. En l’espèce, un patient, victime d’une fracture du genou, a subi une intervention chirurgicale dans un établissement hospitalier. Une thrombose artérielle consécutive non diagnostiquée à temps a entraîné des complications, prolongeant son incapacité de travail. Le tribunal administratif de Melun, saisi par la victime, a reconnu la responsabilité de l’hôpital et l’a condamné à une indemnisation partielle. Cependant, les juges de première instance ont omis de statuer sur les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie, appelée en cause, qui n’avait pas chiffré sa demande de remboursement des prestations versées. Saisie en appel par le patient, la cour administrative d’appel de Paris a légèrement réévalué l’indemnité mais a rejeté les conclusions de la caisse. Le Conseil d’État, par une décision du 10 juillet 2024, a annulé cet arrêt en ce qu’il statuait sur le recours de la caisse et sur la perte de gains professionnels de la victime, renvoyant l’affaire sur ces points devant la même cour. Il revenait donc aux juges du fond de déterminer si l’action de l’organisme social, dont la demande n’avait pas été chiffrée en première instance, demeurait recevable en appel, et d’apprécier l’étendue du préjudice économique subi par la victime et pris en charge par la caisse, imputable à la faute de l’établissement. La cour administrative d’appel juge que l’omission du tribunal d’inviter la caisse à chiffrer ses prétentions rend sa demande recevable pour la première fois en appel, et procède à une évaluation rigoureuse des préjudices en ne retenant que ceux présentant un lien de causalité direct et certain avec le retard de diagnostic fautif.
La décision de la cour administrative d’appel de Paris permet de clarifier les obligations procédurales du juge administratif en matière de recours des tiers payeurs (I), tout en procédant à une application rigoureuse du lien de causalité dans l’évaluation des préjudices indemnisables (II).
I. La consolidation procédurale de l’action subrogatoire du tiers payeur
L’arrêt rappelle avec force le rôle actif du juge pour garantir l’effectivité du recours de l’organisme social (A), dont la négligence justifie une dérogation aux règles de recevabilité des demandes en appel (B).
A. Le rôle actif du juge dans la mise en œuvre du recours de la caisse sociale
La cour réaffirme que le juge administratif ne peut demeurer passif face à l’intervention d’une caisse de sécurité sociale dans une instance indemnitaire. En vertu de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la victime a l’obligation d’appeler en déclaration de jugement commun l’organisme dont elle dépend. Cette disposition impose au juge de veiller à sa correcte application. L’originalité de la décision réside dans l’extension de cette obligation de vigilance au contenu même de la demande de la caisse. La cour précise en effet que l’irrecevabilité d’une demande non chiffrée ne peut être prononcée sans une démarche préalable du juge. Elle énonce que « l’irrecevabilité des conclusions de la caisse faute pour celle-ci d’avoir chiffré le montant des débours dont elle recherche le remboursement ne peut toutefois (…) être opposée par le juge qu’après avoir invité la caisse à les régulariser ». Cette solution consacre un véritable devoir de collaboration procédurale, où le juge doit attirer l’attention de l’organisme social sur l’insuffisance de ses écritures afin de lui permettre de préserver ses droits.
Cette exigence de régularisation préalable renforce la protection des deniers sociaux en s’assurant que l’action récursoire de la caisse ne soit pas paralysée par un simple oubli formel, confirmant ainsi une approche pragmatique et protectrice des intérêts en présence.
B. La neutralisation de l’irrecevabilité de la demande nouvelle en appel
La conséquence de cette obligation est d’écarter l’irrecevabilité qui frappe habituellement une demande formulée pour la première fois en appel. En l’espèce, la caisse n’ayant pas quantifié ses prétentions devant le tribunal administratif, sa demande chiffrée devant la cour d’appel aurait dû, en principe, être qualifiée de nouvelle et donc rejetée. La cour en décide autrement, en se fondant sur la carence du premier juge. Elle estime que puisque « le tribunal administratif n’avait pas, ainsi qu’il vient d’être dit, invité la caisse à régulariser ses conclusions », la demande présentée en appel ne saurait être regardée comme nouvelle. Cette solution pragmatique constitue une sanction directe de l’omission du tribunal et garantit que la négligence du juge ne puisse porter préjudice au tiers payeur. En annulant le jugement pour omission à statuer et en évoquant l’affaire, la cour se place dans la situation où elle aurait dû être si le tribunal avait correctement instruit le dossier, permettant ainsi à la caisse de formuler valablement sa demande de remboursement.
La cour assure de cette manière la pleine portée de l’appel en cause obligatoire des organismes sociaux, en corrigeant les effets d’une instruction défaillante en première instance et en permettant une juste résolution du litige au fond.
II. L’appréciation stricte du lien de causalité dans la liquidation des préjudices
Après avoir réglé la question de recevabilité, la cour s’attache à une évaluation minutieuse des préjudices, en distinguant nettement les conséquences directes de la faute (A) de celles qui en sont dépourvues (B).
A. L’imputation exclusive des préjudices découlant directement du retard fautif
Pour évaluer la perte de gains professionnels de la victime, la cour procède à une analyse factuelle précise. Elle identifie que « le retard fautif de diagnostic (…) a entraîné pour l’intéressé un arrêt de son activité professionnelle plus long de cinq mois ». C’est sur cette seule période que le préjudice est calculé. La méthode employée est rigoureuse : elle compare les revenus que la victime aurait dû percevoir avec la somme de ses salaires partiels et des indemnités journalières effectivement touchées. Ce calcul aboutit à un montant précis de « 2 310, 66 euros ». De même, le remboursement des débours de la caisse est admis car les périodes pour lesquelles les indemnités ont été versées sont « incluses dans la période de cinq mois prise en compte par la cour ». Cette approche démontre une volonté de ne réparer que le dommage qui est la conséquence directe et certaine de la faute commise par l’établissement hospitalier, excluant toute évaluation forfaitaire ou approximative. La réparation est ainsi parfaitement alignée sur la cause du dommage.
L’analyse de la cour illustre la méthode d’évaluation concrète des préjudices économiques en droit de la responsabilité administrative, où chaque poste de préjudice doit être justifié et directement rattaché au fait générateur.
B. Le rejet des préjudices dépourvus d’un lien causal certain avec la faute
La cour se montre tout aussi rigoureuse pour écarter les demandes non fondées. La victime sollicitait en effet une indemnisation pour une perte de revenus liée à un arrêt de travail en 2013, consécutif à une complication survenue sur un pontage prothétique posé en 2010. L’argumentation reposait sur l’idée que le retard de diagnostic initial avait rendu nécessaire cette technique chirurgicale plus risquée. La cour rejette cette prétention en examinant les pièces médicales du dossier. Elle constate que le recours au pontage prothétique n’était pas lié au retard, mais à une particularité anatomique du patient, la veine initialement pressentie pour un pontage veineux s’étant révélée inutilisable. La cour en conclut que « le choix effectué de procéder (…) à un pontage prothétique (…) est sans lien avec le retard fautif de diagnostic ». Cette absence de lien de causalité direct entre la faute originelle et ce préjudice ultérieur conduit logiquement à son rejet. Cet aspect de la décision rappelle que la responsabilité, même reconnue, ne s’étend pas à l’ensemble des maux subis par la victime, mais seulement à ceux qui en découlent de manière certaine et nécessaire.