Cour d’appel administrative de Paris, le 3 avril 2025, n°24PA02475

Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la Cour administrative d’appel a statué sur la légalité du refus d’une préfecture d’enregistrer une demande d’admission exceptionnelle au séjour. En l’espèce, une ressortissante malienne, présente sur le territoire national depuis plusieurs années, avait déposé une telle demande. Cette dernière avait fait l’objet, des années auparavant, d’un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français.

L’administration préfectorale a classé sa nouvelle demande sans suite, la jugeant irrecevable au motif qu’elle ne présentait aucun élément nouveau par rapport à sa situation antérieure et qu’une mesure d’éloignement avait été prise à son encontre. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 30 mai 2024, validé la position de l’administration. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, contestant le raisonnement des premiers juges et de la préfecture.

Le problème de droit soumis à la Cour était donc de savoir si un préfet peut légalement refuser d’enregistrer une demande de titre de séjour et de délivrer le récépissé correspondant, en se fondant sur l’existence d’une précédente mesure d’éloignement non exécutée et sur l’absence alléguée d’éléments nouveaux, alors que le dossier de demande est par ailleurs complet.

À cette question, la Cour administrative d’appel répond par la négative. Elle annule le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision préfectorale. Les juges du fond estiment que l’administration ne peut refuser d’enregistrer une demande de titre que dans des cas limitativement énumérés, rappelant qu’« en dehors du cas d’une demande à caractère abusif ou dilatoire, l’autorité administrative chargée d’instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l’enregistrer, et de délivrer le récépissé y afférent, que si le dossier présenté à l’appui de cette demande est effectivement incomplet ». La Cour fonde sa censure sur une double erreur commise par l’administration. Elle rappelle d’une part le cadre juridique strict encadrant le refus d’enregistrement d’une demande (I), avant de sanctionner d’autre part l’appréciation erronée des éléments nouveaux présentés par la requérante (II).

I. Le rappel du cadre juridique contraignant du refus d’enregistrement

La Cour administrative d’appel consacre la première partie de son raisonnement à une explication rigoureuse des conditions dans lesquelles l’administration peut refuser d’enregistrer une demande de titre de séjour. Elle sanctionne ainsi une motivation préfectorale juridiquement erronée (A) et réaffirme par là même la distinction fondamentale entre la phase de l’enregistrement et celle de l’instruction au fond (B).

A. L’illégalité d’un refus fondé sur une mesure d’éloignement non exécutée

La décision commentée censure d’abord l’argument de la préfecture tiré de l’existence d’une précédente mesure d’éloignement non exécutée. Le juge relève en effet qu’« aucune disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne subordonne l’examen d’une demande de titre de séjour à la condition de l’exécution préalable, par le demandeur, de la mesure d’éloignement ». Ce faisant, la préfecture a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, commettant ainsi une erreur de droit.

Le raisonnement est d’une logique implacable. La phase d’enregistrement d’une demande est une procédure administrative destinée à vérifier la complétude formelle du dossier et non à procéder à une première analyse de la situation de l’étranger. En opposant une mesure d’éloignement antérieure pour déclarer la demande irrecevable, l’administration opère une confusion entre la recevabilité de la demande et les conditions de fond de la délivrance d’un titre de séjour, anticipant ainsi son examen au fond de manière illégale. Cette solution protège l’étranger contre un arbitraire administratif qui consisterait à lui refuser par principe le droit de faire réexaminer sa situation.

B. La distinction réaffirmée entre la recevabilité de la demande et l’examen au fond

En énonçant que seul un dossier incomplet ou une demande à caractère abusif ou dilatoire peut justifier un refus d’enregistrement, la Cour rappelle une garantie procédurale essentielle. Elle trace une frontière nette entre la phase purement administrative de l’enregistrement et l’instruction de la demande, qui relève d’un examen au fond de la situation personnelle de l’étranger. L’enregistrement n’est pas une faveur accordée par l’administration mais un droit pour le demandeur qui présente un dossier complet.

Cette décision a une valeur pédagogique importante à l’égard des services préfectoraux. Elle clarifie le fait que l’existence d’un passé défavorable, comme une obligation de quitter le territoire français, n’autorise pas l’administration à faire obstacle au dépôt d’une nouvelle demande. C’est seulement lors de l’instruction au fond que la préfecture pourra, sous le contrôle du juge, apprécier l’ensemble de la situation, y compris les mesures antérieures, pour accorder ou refuser le titre de séjour sollicité.

La Cour ne se contente pas de sanctionner l’erreur de droit. Elle examine également l’autre motif avancé par la préfecture et censure l’appréciation des faits qui en a été faite.

II. La sanction de l’appréciation erronée du caractère non dilatoire de la demande

Après avoir écarté le motif tiré de la mesure d’éloignement, le juge se penche sur le second argument de la préfecture, selon lequel la demande serait irrecevable faute d’éléments nouveaux. La Cour considère que l’administration a commis une erreur d’appréciation en ne tenant pas compte des éléments pertinents fournis par la requérante (A), renforçant ainsi les garanties procédurales accordées à l’étranger (B).

A. La prise en compte nécessaire des éléments nouveaux pertinents

La préfecture estimait que la demande de l’intéressée ne présentait pas un caractère nouveau justifiant un réexamen. La Cour administrative d’appel invalide cette appréciation. Elle constate que la requérante se prévalait d’une part de « plus de dix années de présence sur le territoire national », ce qui justifiait la saisine de la commission du titre de séjour, et d’autre part « d’une expérience professionnelle en qualité d’agent de propreté ».

Pour le juge, ces éléments sont suffisamment significatifs pour que la demande ne puisse être qualifiée d’abusive ou de dilatoire. En refusant de les considérer, le préfet a porté une appréciation erronée sur la situation de fait. La Cour ne se prononce pas sur les chances de succès de la demande, mais elle affirme que la présence de tels changements dans la situation de l’étranger impose à l’administration de procéder à un examen complet et actualisé, et non à un classement sans suite. Le contrôle du juge porte ici sur la matérialité des faits et leur qualification juridique.

B. La portée de la solution : une garantie procédurale pour l’étranger

En jugeant que les éléments avancés par la requérante suffisaient à ôter à sa demande tout caractère abusif ou dilatoire, la Cour envoie un signal clair. Elle rappelle que l’administration ne peut se contenter d’une vision figée de la situation d’un étranger et doit prendre en considération l’évolution de son parcours d’intégration, notamment sa durée de présence et son insertion professionnelle. Cette décision revêt une portée pratique considérable.

Elle garantit à l’étranger qu’une évolution positive de sa situation personnelle ou professionnelle lui ouvre le droit à un nouvel examen de son dossier, même en présence d’un historique administratif défavorable. La solution protège ainsi contre les refus automatiques et oblige les services préfectoraux à une analyse individualisée à chaque étape de la procédure. En enjoignant au préfet d’enregistrer la demande et de l’examiner, la Cour assure l’effectivité de ce droit à un examen au fond, qui constitue la première étape vers une éventuelle régularisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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