Cour d’appel administrative de Paris, le 3 avril 2025, n°24PA02936

Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé, précisant notamment la nature des preuves requises pour établir l’indisponibilité d’un traitement dans le pays d’origine d’un étranger.

En l’espèce, une ressortissante béninoise, entrée régulièrement en France en 2019, a sollicité en 2023 son admission au séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle faisait valoir un état de santé nécessitant une prise en charge médicale en France, notamment pour un syndrome de stress post-traumatique consécutif à des violences subies dans son pays. Le préfet de police a rejeté sa demande par un arrêté du 28 août 2023, assorti d’une obligation de quitter le territoire français, en se fondant sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Cet avis, tout en reconnaissant la gravité potentielle des conséquences d’un défaut de soins, concluait que l’intéressée pouvait bénéficier d’un traitement approprié au Bénin. Saisi par la requérante, le tribunal administratif de Paris a rejeté son recours par un jugement du 7 février 2024. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale méconnaissait les dispositions précitées et était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

La question posée à la Cour était donc de déterminer si les éléments produits par la requérante étaient de nature à remettre en cause l’appréciation de l’administration, fondée sur l’avis technique de l’OFII, quant à la disponibilité d’un traitement approprié dans son pays d’origine. En d’autres termes, il s’agissait de savoir quelle force probante accorder à des documents non concluants face à un avis médical circonstancié.

La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, estimant que les pièces versées au dossier par l’appelante n’étaient pas suffisantes pour infirmer l’analyse du préfet. Elle juge que ni des captures d’écran indiquant une absence d’information sur des médicaments, ni un certificat médical affirmant leur indisponibilité sans l’établir, ne peuvent suffire à contredire l’avis du collège de médecins. Cette décision rappelle ainsi le cadre strict de l’admission au séjour pour soins (I) et illustre la rigueur du contrôle juridictionnel exercé sur l’administration des preuves par le demandeur (II).

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I. Le cadre légal de l’admission au séjour pour soins et le rôle central de l’avis médical

La délivrance d’un titre de séjour pour un étranger malade est subordonnée à des conditions légales précises, dont l’appréciation est largement éclairée par un avis technique spécialisé. La Cour rappelle ainsi la nécessité d’une double condition cumulative (A) dont l’évaluation repose principalement sur l’expertise du collège de médecins de l’OFII (B).

A. La double condition d’une particulière gravité et d’un défaut de traitement approprié

L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile conditionne la délivrance d’une carte de séjour temporaire à la réunion de deux critères cumulatifs. D’une part, l’état de santé de l’étranger doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des « conséquences d’une exceptionnelle gravité ». D’autre part, il doit être établi que cet étranger « ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié », eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays d’origine.

Dans la présente affaire, la première condition était remplie, comme l’avait d’ailleurs reconnu l’avis du collège de médecins de l’OFII. La pathologie psychologique de la requérante et son suivi justifiaient la nécessité d’une prise en charge médicale continue. Cependant, le litige s’est cristallisé sur la seconde condition, qui impose de démontrer l’impossibilité d’accéder à un traitement équivalent et adéquat dans le pays de renvoi. L’effectivité de l’accès aux soins est donc le cœur de l’analyse, et son appréciation dépend d’une évaluation technique.

B. La portée déterminante de l’avis du collège de médecins de l’OFII

Pour statuer, l’autorité administrative doit solliciter l’avis d’un « collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ». Bien que cet avis ne lie pas la compétence du préfet, il constitue dans les faits un élément déterminant de sa décision. En tant qu’expertise médicale collégiale et spécialisée, il a pour objet d’éclairer l’administration sur des questions techniques qui échappent à sa compétence directe, notamment l’existence, la disponibilité et l’accessibilité des traitements dans le pays d’origine.

En l’espèce, le préfet a fait sienne la conclusion de l’avis du 27 juillet 2023, qui estimait que la requérante pouvait bénéficier d’un traitement approprié au Bénin. En agissant ainsi, l’administration s’est conformée à la procédure et s’est appuyée sur l’organe que le législateur a désigné pour évaluer la situation médicale. L’arrêt confirme implicitement que, sauf à démontrer une erreur ou une insuffisance manifeste de cet avis, il constitue une base solide pour la décision préfectorale. La charge de contredire cette analyse technique repose alors entièrement sur le requérant, ce qui mène à un contrôle rigoureux des preuves qu’il apporte.

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II. L’appréciation rigoureuse de la valeur probante des éléments de preuve du requérant

La Cour administrative d’appel, en confirmant le jugement de première instance, exerce un contrôle strict sur la pertinence et la force probante des pièces produites par la requérante pour contester l’avis de l’OFII. Elle constate ainsi l’insuffisance des preuves apportées pour établir l’indisponibilité du traitement (A), validant en conséquence la décision de l’administration qui ne révèle aucune erreur manifeste d’appréciation (B).

A. L’insuffisance des éléments produits pour contredire l’avis médical

L’arrêt procède à un examen détaillé des différents documents fournis par l’appelante pour étayer sa demande. Il en ressort qu’aucun de ces éléments n’est jugé suffisant pour remettre en cause l’avis des médecins de l’OFII. D’abord, la Cour écarte les captures d’écran d’un site internet institutionnel béninois, en relevant qu’elles indiquent seulement « qu’aucune information sur lesdits médicaments n’est disponible sur ce site », ce qui ne démontre pas leur absence sur le marché local.

Ensuite, le juge analyse un certificat médical produit par la requérante, lequel affirme que les soins « ne seraient pas disponible pour elle dans son pays d’origine ». La Cour estime que cette attestation « ne permet pas d’établir l’indisponibilité du traitement », soulignant ainsi la différence entre une affirmation, même émanant d’un professionnel de santé, et une preuve tangible. Enfin, les comptes-rendus d’hospitalisation sont également jugés inopérants, car ils ne fournissent aucune information relative à la disponibilité des traitements au Bénin. L’analyse de la Cour est donc implacable : des allégations ou des indices ne sauraient suffire à renverser une expertise circonstanciée.

B. L’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de l’autorité préfectorale

En conséquence de cette carence probatoire, la Cour conclut que la requérante n’est pas fondée à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions de l’article L. 425-9 ou entaché sa décision d’une erreur d’appréciation. En se fondant sur un avis technique non valablement contredit, l’administration a exercé son pouvoir d’appréciation sans commettre d’erreur manifeste. La décision est ainsi justifiée au regard des informations dont disposait le préfet au moment où il a statué.

La portée de cet arrêt est avant tout pédagogique. Il rappelle aux justiciables que pour contester une décision de refus de séjour fondée sur un avis de l’OFII, il ne suffit pas de produire des documents d’ordre général ou des certificats médicaux assertifs. Il est impératif de fournir des éléments de preuve précis, objectifs et circonstanciés, capables de démontrer de manière effective l’impossibilité d’accéder au traitement approprié dans le pays d’origine. Cette décision réaffirme la prééminence de l’expertise technique dans ce type de contentieux et fixe un standard de preuve élevé pour le demandeur.

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Hassan KOHEN
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