Cour d’appel administrative de Paris, le 3 juillet 2025, n°24PA00227

Par un arrêt en date du 3 juillet 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé à un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, présent sur le territoire français depuis 2013 et atteint d’une pathologie grave, s’était vu refuser la délivrance d’un certificat de résidence par une décision préfectorale en date du 22 juin 2022. Cette décision, qui était assortie d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour, se fondait sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) estimant qu’un traitement approprié était effectivement accessible dans son pays d’origine. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Montreuil avait rejeté la demande par un jugement du 13 décembre 2023. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement, arguant notamment d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des stipulations de l’accord franco-algérien et d’une méconnaissance de son droit au respect de la vie privée et familiale. Il revenait alors à la Cour de déterminer si un changement de protocole de soins, initié postérieurement à l’avis médical de l’OFII, pouvait suffire à remettre en cause l’appréciation de l’autorité préfectorale sur la disponibilité d’un traitement dans le pays d’origine. La juridiction d’appel devait également évaluer si le refus de titre portait une atteinte disproportionnée aux attaches privées et familiales de l’intéressé en France. À ces deux interrogations, la Cour a apporté une réponse négative, considérant que les éléments médicaux produits n’étaient pas de nature à infirmer l’avis de l’OFII et que la décision contestée ne constituait pas une ingérence excessive dans la vie privée et familiale du requérant.

La décision commentée réaffirme ainsi la force probante de l’avis médical émis par l’OFII dans le contentieux du droit au séjour des étrangers malades (I), tout en confirmant une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité exercé au titre du respect de la vie privée et familiale (II).

I. La portée déterminante de l’avis de l’OFII dans l’appréciation du droit au séjour pour raisons de santé

La Cour administrative d’appel rappelle d’abord la valeur de présomption attachée à l’avis du collège de médecins de l’OFII (A), avant de juger que les éléments nouveaux produits par le requérant ne suffisent pas à renverser cette présomption (B).

A. Le rôle probatoire de l’avis médical de l’OFII

Le juge administratif précise le cadre de son contrôle en matière de séjour pour raisons médicales en s’appuyant sur la procédure contradictoire qui doit entourer l’avis de l’OFII. L’arrêt énonce que « La partie qui justifie d’un avis du collège de médecins de l’office français de l’immigration et de l’intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour ». Cette formulation consacre l’avis comme le pivot de l’instruction, créant une présomption simple que l’autre partie doit s’efforcer de combattre.

Il appartient dès lors au préfet, en cas d’avis favorable au séjour, ou au ressortissant étranger, en cas d’avis défavorable, de fournir des éléments probants pour contredire les conclusions des experts. Le juge se forge sa conviction au vu de ces échanges, conservant la possibilité d’ordonner une mesure d’instruction en cas de doute persistant. En l’espèce, le préfet s’est logiquement fondé sur l’avis défavorable du collège de médecins, lequel estimait que, malgré la gravité de la pathologie, un traitement approprié était accessible dans le pays d’origine. La Cour valide ainsi la démarche de l’administration qui s’en remet à l’expertise de l’organe compétent, déplaçant la charge de la preuve sur le requérant.

B. L’insuffisance des éléments médicaux postérieurs pour renverser la présomption

Face à cette présomption, le requérant produisait des certificats médicaux faisant état de la mise en place d’un nouveau traitement, postérieur à l’avis de l’OFII, et qui serait indisponible dans son pays d’origine. La Cour examine cet argument avec attention mais refuse de lui donner la portée attendue. Elle constate en effet que « le traitement par Guselkumab a été prescrit postérieurement à la date de l’avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et ne pouvait donc pas être pris en compte pour établir cet avis ». Ce faisant, le juge écarte une critique directe de l’avis de l’OFII, qui ne pouvait matériellement pas se prononcer sur un traitement futur.

Plus encore, la Cour estime que les certificats produits, même en appel, ne sont pas suffisamment probants pour remettre en cause l’appréciation du préfet. Elle relève que le document le plus récent est « rédigé dans des termes identiques au précédent » et ne permet pas « de remettre en cause l’appréciation portée par le préfet s’agissant de l’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine ». La solution souligne l’exigence d’éléments circonstanciés et précis pour contester l’existence d’un accès effectif aux soins, un simple certificat médical, même émanant d’un chef de service hospitalier, pouvant être jugé insuffisant s’il n’est pas étayé par des données objectives sur l’offre de soins dans le pays concerné.

Outre le contrôle exercé au regard de la disponibilité des soins, la Cour se livre à une analyse de la situation personnelle du requérant au titre de son droit au respect de la vie privée et familiale.

II. La confirmation d’une conception restrictive des attaches privées et familiales

La Cour opère un contrôle classique de la proportionnalité de l’ingérence dans le droit à la vie privée et familiale (A), qui la conduit à faire prévaloir l’absence de charges de famille et la persistance de liens dans le pays d’origine (B).

A. L’appréciation de l’atteinte au droit à la vie privée et familiale

Le requérant invoquait les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, arguant de l’ancienneté de sa présence en France et des liens familiaux qu’il y a noués. La Cour examine cet argument en procédant à une balance des intérêts en présence, conformément à sa jurisprudence constante. Elle met en balance, d’une part, la gravité de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’intéressé par le refus de séjour et, d’autre part, les motifs d’intérêt général qui justifient cette mesure, notamment la maîtrise des flux migratoires.

Dans ce cadre, le juge prend en compte une série de critères factuels : l’intensité des liens de l’étranger en France, tels que les liens matrimoniaux, la présence d’enfants, ou d’autres membres de sa famille, mais aussi la réalité et la consistance de ses attaches dans son pays d’origine. C’est l’ensemble de ces éléments qui permet de déterminer si la décision de l’autorité publique constitue ou non une ingérence disproportionnée dans le droit protégé par la Convention.

B. La prévalence des liens dans le pays d’origine sur l’ancienneté du séjour

En l’espèce, la Cour retient que le requérant est « célibataire, sans enfant à charge et ne démontre pas être dépourvu d’attaches dans son pays d’origine dans lequel résident sa mère et le reste de sa fratrie ». Bien que la présence en France de ses sœurs de nationalité française et de son frère en situation régulière soit reconnue, cet élément n’est pas jugé suffisant pour caractériser une atteinte disproportionnée. La décision illustre une hiérarchie implicite des liens familiaux, où les attaches relevant de la famille nucléaire (conjoint, enfants) pèsent d’un poids plus important que les liens collatéraux.

De surcroît, la persistance de liens familiaux étroits dans le pays d’origine est un facteur déterminant qui vient contrebalancer l’ancienneté du séjour en France. En concluant que l’arrêté contesté « n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant », la Cour s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie. Cette approche, si elle est rigoureuse, réaffirme que la seule durée de présence sur le territoire ou l’existence de certains liens familiaux ne sauraient suffire à faire obstacle à une mesure d’éloignement lorsque l’étranger conserve des attaches significatives dans son pays d’origine et que sa vie familiale en France n’est pas jugée suffisamment constituée.

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Hassan KOHEN
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