Cour d’appel administrative de Paris, le 3 juillet 2025, n°24PA02646

Un arrêt rendu le 3 juillet 2025 par la Cour administrative d’appel de Paris vient rappeler l’importance des garanties procédurales qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière d’admission exceptionnelle au séjour. Cette décision illustre la manière dont le juge administratif sanctionne le non-respect d’une formalité substantielle, tout en préservant la marge de manœuvre de l’autorité préfectorale quant à la décision finale.

En l’espèce, un ressortissant de nationalité camerounaise avait sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le préfet pendant plus de quatre mois. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Melun afin d’obtenir l’annulation de ce refus, mais sa demande a été rejetée par un jugement en date du 25 avril 2024. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, en faisant valoir principalement que la décision administrative était entachée d’un vice de procédure, l’administration n’ayant pas consulté la commission du titre de séjour comme l’exigeait sa situation.

Il était donc demandé à la cour de déterminer si l’omission de saisir pour avis la commission du titre de séjour, préalablement à un refus d’admission exceptionnelle au séjour opposé à un étranger justifiant de plus de dix ans de résidence habituelle sur le territoire, constitue un vice de procédure de nature à invalider la décision.

La Cour administrative d’appel y répond par l’affirmative, en jugeant que la preuve d’une telle durée de résidence crée une obligation de consultation pour l’autorité préfectorale. Elle estime qu’en l’absence de cette saisine, la décision est irrégulière et doit être annulée, affirmant que dans ces conditions « le préfet de Seine-et-Marne était tenu, avant de statuer sur sa demande tendant à son admission exceptionnelle au séjour, de saisir la commission du titre de séjour ». Par conséquent, la cour annule le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision préfectorale.

La solution retenue par la cour consacre ainsi le caractère substantiel d’une garantie procédurale (I), tout en délimitant précisément la portée de l’annulation prononcée (II).

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I. La consécration du caractère substantiel de la garantie procédurale

La décision de la Cour administrative d’appel souligne que l’obligation de saisine de la commission du titre de séjour n’est pas une simple formalité, mais une étape décisive dont le respect est impératif dès lors que la condition factuelle est remplie (A), et dont l’omission est logiquement sanctionnée par l’annulation (B).

A. La résidence décennale comme critère objectif de saisine

L’arrêt s’appuie sur une lecture rigoureuse des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte prévoit un mécanisme de protection spécifique pour l’étranger qui, bien que sollicitant une régularisation à titre discrétionnaire, peut se prévaloir d’une intégration durable manifestée par une longue résidence. La cour constate en l’espèce que le requérant « justifie d’une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée ».

La preuve de cette résidence, même si elle est apportée « pour la première fois en appel », suffit à déclencher l’obligation pour le préfet. La juridiction ne s’engage pas dans une appréciation de l’opportunité de la saisine ; elle se borne à vérifier si la condition de durée de présence, fixée par le législateur, est satisfaite. Cette approche renforce la prévisibilité du droit pour les administrés en liant la compétence de l’administration à un critère factuel et objectif, limitant ainsi son pouvoir arbitraire dans la conduite de la procédure. La consultation de la commission n’est donc pas une faculté laissée à la discrétion du préfet, mais bien une obligation dès lors que le seuil de dix ans de résidence est atteint.

B. L’annulation comme sanction logique de l’omission

Ayant établi l’existence d’une obligation de saisine, la cour en tire la conséquence inéluctable sur le plan contentieux. L’absence de consultation de la commission du titre de séjour est qualifiée de « vice de procédure » suffisant pour justifier l’annulation de la décision de rejet. Cette solution confirme que la formalité prévue par l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est considérée comme substantielle.

En effet, cette consultation a pour objet d’éclairer l’autorité administrative en lui fournissant un avis sur la situation personnelle de l’étranger. Elle constitue une garantie pour ce dernier, qui bénéficie ainsi d’un examen de son dossier par un organe collégial avant que le préfet ne prenne sa décision. En annulant le refus de séjour pour ce seul motif, sans examiner l’autre moyen soulevé relatif à l’erreur manifeste d’appréciation, la cour applique le principe de l’économie des moyens tout en affirmant que le respect du processus décisionnel est une condition de la légalité de la décision elle-même. La régularité de la procédure est ainsi érigée en rempart contre une décision potentiellement insuffisamment instruite.

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II. La portée délimitée de l’annulation contentieuse

Si la cour sanctionne fermement le manquement procédural, elle se garde bien de se substituer à l’administration dans l’appréciation au fond du dossier. L’annulation prononcée n’emporte qu’une obligation de réexamen selon une procédure régulière (A), confirmant ainsi le maintien du pouvoir discrétionnaire de l’administration (B).

A. L’injonction de réexamen comme seule conséquence de l’annulation

L’annulation de la décision de refus ne conduit pas automatiquement à la délivrance d’un titre de séjour. La cour, statuant sur les conclusions à fin d’injonction, précise que son arrêt « implique seulement que le préfet de Seine-et-Marne ou tout autre préfet devenu territorialement compétent procède au réexamen de la situation » de l’intéressé. Cette injonction est la conséquence directe et logique du motif d’annulation retenu.

Le vice étant de nature procédurale, la sanction consiste à replacer l’administration au stade où la procédure est devenue irrégulière, afin qu’elle la reprenne en respectant cette fois la formalité omise. Le juge administratif ordonne donc au préfet de réinstruire la demande après avoir consulté la commission du titre de séjour. Il fixe d’ailleurs un délai de quatre mois pour ce faire, assurant ainsi une forme d’effectivité à sa décision. L’annulation a donc un effet utile pour le requérant, qui obtient que son dossier soit à nouveau examiné, mais elle ne préjuge en rien de l’issue de ce nouvel examen.

B. La préservation du pouvoir d’appréciation de l’administration

La mesure de la portée de l’arrêt se trouve également dans ce que la cour refuse d’accorder. Le requérant avait demandé, à titre principal, qu’il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour. Cette demande est implicitement mais nécessairement rejetée par la formulation de l’injonction de réexamen. Le juge administratif se refuse ainsi à empiéter sur le pouvoir d’appréciation qui appartient en propre à l’administration en matière d’admission exceptionnelle au séjour.

Même après avoir reçu l’avis de la commission du titre de séjour, qui ne lie pas sa décision, le préfet restera libre de délivrer ou de refuser le titre sollicité, sous réserve du contrôle restreint du juge sur une éventuelle erreur manifeste d’appréciation. En refusant également de prononcer une astreinte, la cour estime que l’injonction de réexamen dans un délai déterminé est une mesure suffisante. La décision commentée illustre donc parfaitement l’équilibre que recherche le juge administratif : assurer le plein respect des garanties procédurales dues à l’administré sans pour autant faire disparaître le caractère discrétionnaire de la décision administrative finale.

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