Cour d’appel administrative de Paris, le 3 juin 2025, n°24PA00592

Par un arrêt en date du 3 juin 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la régularité d’une procédure d’imposition et le bien-fondé de pénalités fiscales. En l’espèce, une société exploitant un commerce de boulangerie a fait l’objet d’un avis de vérification de comptabilité. Initialement engagée sur le fondement de l’opposition à contrôle fiscal, la procédure a été suivie de l’émission de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de rappels de taxe sur la valeur ajoutée.

À la suite d’un recours hiérarchique, l’administration a substitué à la procédure d’évaluation d’office celle de la taxation d’office pour défaut de dépôt de déclarations dans les délais. La société a saisi le tribunal administratif, qui l’a partiellement déchargée d’une majoration pour dépôt tardif de déclarations de taxe sur la valeur ajoutée, mais a rejeté le surplus de ses demandes. La société a alors interjeté appel du jugement, tandis que le ministre a formé un appel incident pour contester la décharge partielle accordée en première instance.

Le litige soulevait principalement deux questions juridiques. D’une part, il s’agissait de déterminer si des irrégularités affectant une procédure de vérification de comptabilité pouvaient être utilement invoquées par un contribuable alors que sa situation de taxation d’office résultait de manquements déclaratifs antérieurs à l’engagement du contrôle. D’autre part, la cour devait apprécier la régularité de pénalités au regard des garanties de procédure et de la charge de la preuve de la notification des actes administratifs.

La cour administrative d’appel a jugé que le contribuable ne pouvait se prévaloir des irrégularités de la vérification de comptabilité, dès lors que sa situation de taxation d’office n’avait pas été révélée par ce contrôle. Elle a en outre estimé que les pénalités étaient justifiées, l’administration rapportant la preuve de la notification des documents requis. L’intérêt de cette décision réside ainsi dans la réaffirmation de l’autonomie des procédures d’imposition (I) et dans l’application rigoureuse des conditions de mise en œuvre des sanctions fiscales (II).

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I. La neutralisation des garanties procédurales par la taxation d’office préexistante

L’arrêt illustre de manière claire la primauté accordée à la situation objective du contribuable sur les éventuelles irrégularités d’un contrôle fiscal subséquent. La cour établit que la substitution d’une base légale par l’administration est possible (A), ce qui a pour effet de rendre inopérants les moyens tirés de la méconnaissance des règles de la vérification de comptabilité (B).

A. La consécration de l’autonomie des procédures d’imposition

L’un des apports essentiels de la décision commentée est de rappeler que l’administration fiscale dispose de la faculté de modifier le fondement juridique de l’imposition en cours de procédure. En l’occurrence, elle a substitué à la procédure d’évaluation d’office pour opposition à contrôle fiscal celle de la taxation d’office pour défaut de souscription des déclarations. La cour prend soin de souligner que cette substitution est possible « à tout moment de la procédure », à la condition qu’elle ne prive pas le contribuable des garanties attachées à la nouvelle procédure mise en œuvre.

Le raisonnement du juge s’appuie sur une distinction fondamentale entre la cause de l’imposition et les modalités de son établissement. Il constate que la taxation d’office était justifiée par le dépôt tardif des déclarations, manquement constaté antérieurement à l’engagement de la vérification de comptabilité. Ainsi, la situation d’imposition d’office « n’a ainsi pas été révélée par la vérification de comptabilité dont elle a fait l’objet ». Cette autonomie des procédures permet à l’administration de sécuriser les impositions en se fondant sur la cause la plus solidement établie, indépendamment du déroulement du contrôle.

B. La forclusion des moyens relatifs à la procédure de contrôle

La conséquence directe de cette autonomie est que les arguments de la société requérante tirés de l’irrégularité de la vérification de comptabilité sont écartés comme étant sans pertinence. La société soutenait que le contrôle aurait dû se dérouler dans ses locaux, conformément à l’article L. 13 du livre des procédures fiscales, et qu’elle avait été privée d’un débat oral et contradictoire. Ces garanties sont spécifiquement attachées à la procédure de vérification de comptabilité sur place.

Cependant, dès lors que la cour valide le recours à la procédure de taxation d’office fondée sur le défaut déclaratif, les règles gouvernant le contrôle sur place deviennent inapplicables. Le juge en conclut logiquement que la société « ne peut utilement faire valoir ni que la procédure de vérification de comptabilité (…) aurait méconnu les dispositions de l’article L. 13 du livre des procédures fiscales, ni qu’elle a été privée à cette occasion de la possibilité d’un débat oral et contradictoire ». La décision réaffirme ainsi une solution classique selon laquelle un contribuable ne peut se prévaloir des garanties d’une procédure dont l’irrégularité est sans influence sur le bien-fondé de l’imposition établie sur un autre fondement.

II. La rigueur de l’appréciation des sanctions fiscales et de leur notification

Au-delà des questions de procédure d’imposition, l’arrêt se prononce sur le régime de deux pénalités distinctes, confirmant une approche stricte tant sur la preuve de la notification des actes (A) que sur la justification des majorations pour manquement déclaratif (B).

A. La confirmation de la suffisance de la preuve administrative de notification

La société contestait l’application de l’amende prévue à l’article 1759 du code général des impôts pour non-révélation des bénéficiaires de distributions. Elle soutenait ne pas avoir reçu le courrier l’informant de la sanction envisagée et de son droit de présenter des observations dans un délai de trente jours, garantie prévue par l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales. La charge de la preuve de l’accomplissement de cette formalité pèse sur l’administration.

Pour rejeter ce moyen, la cour examine avec soin les éléments produits par le ministre. Elle relève que l’administration verse aux débats une « attestation de La Poste datée du 2 avril 2017 (…) par laquelle l’agent chargé de la distribution du courrier indique avoir remis le pli en cause le 13 janvier 2017 ». Face à la contestation de la requérante, qui arguait que le numéro de suivi n’était pas formellement relié à un avis d’envoi, la cour considère que la production complémentaire d’une réponse du service postal suffit à établir le lien. Elle en déduit que l’attestation est « suffisamment probante ». Cette solution confirme que la preuve de la notification peut résulter d’un faisceau d’indices concordants, sans exiger un formalisme excessif.

B. La validation des pénalités pour manquement aux obligations déclaratives

Statuant sur l’appel incident du ministre, la cour se penche sur la majoration de 40 % de l’article 1728 du code général des impôts, appliquée pour défaut de dépôt des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée dans les trente jours d’une mise en demeure. Le tribunal administratif avait déchargé la société de cette pénalité, estimant que l’administration ne prouvait pas la notification des mises en demeure préalables.

En appel, l’administration produit les pièces manquantes, à savoir « une mise en demeure du 29 juin 2016 » et « un accusé de réception attestant de ce que la notification de cette mise en demeure est intervenue le 5 juillet 2016 ». La preuve de l’envoi et de la réception du préalable obligatoire étant rapportée, la cour en tire la conséquence inéluctable. Elle juge que le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge des pénalités. Cet aspect de la décision, bien que factuel, rappelle que l’application des pénalités est un mécanisme quasi automatique dès lors que les conditions matérielles et procédurales fixées par la loi sont remplies et prouvées par l’administration.

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Hassan KOHEN
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