Par un arrêt rendu le 3 juin 2025, une cour administrative d’appel a eu à se prononcer sur la légalité d’une décision préfectorale de refus de titre de séjour. En l’espèce, un ressortissant étranger, déclarant résider en France depuis 2008, avait sollicité son admission exceptionnelle au séjour en 2021. Le préfet, envisageant de rejeter sa demande, a saisi la commission du titre de séjour pour avis, conformément à la procédure applicable aux étrangers justifiant d’une résidence habituelle en France de plus de dix ans. Par un arrêté du 10 octobre 2022, le préfet a refusé le titre de séjour, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif de Montreuil, saisi par l’intéressé, a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 4 avril 2024. Le requérant a alors interjeté appel, soutenant notamment qu’il n’avait pas été convoqué devant la commission du titre de séjour, ce qui constituait selon lui un vice de procédure substantiel. L’administration opposait que l’avis de la commission, n’ayant pas été rendu dans le délai de trois mois, était réputé rendu, ce qui lui permettait de statuer valablement. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si l’absence de convocation de l’étranger devant la commission du titre de séjour, dont la saisine est obligatoire, vicie la procédure de refus de séjour, alors même que l’avis de cette commission serait réputé rendu à l’expiration du délai imparti pour délibérer. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, en annulant le jugement et l’arrêté préfectoral. Elle juge que la possibilité pour l’étranger d’être entendu par la commission constitue une garantie, et que l’absence de convocation à une réunion effective entache d’illégalité la décision administrative, sans que le préfet ne puisse utilement se prévaloir du fait que l’avis soit réputé rendu.
Il conviendra de s’attacher à la consécration du caractère substantiel de la garantie procédurale tenant à la convocation devant la commission du titre de séjour (I), avant d’analyser la portée de cette solution qui neutralise les effets d’un avis réputé rendu en l’absence de convocation effective (II).
I. La consécration du caractère substantiel de la garantie procédurale
La décision commentée réaffirme avec clarté le rôle de la commission du titre de séjour dans le cadre d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour (A), en qualifiant la convocation personnelle de l’étranger de condition de validité de la procédure (B).
A. Le rappel du principe de la consultation obligatoire de la commission
L’arrêt prend soin de rappeler le cadre juridique applicable, en particulier les dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte impose à l’autorité administrative qui envisage de refuser une demande d’admission exceptionnelle au séjour à un étranger justifiant de plus de dix ans de résidence habituelle en France de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour. Cette saisine n’est donc pas une faculté laissée à la discrétion de l’administration, mais une obligation procédurale. Le but de cette consultation est de permettre à une instance collégiale, dont la composition assure une certaine pluralité de points de vue, d’éclairer le préfet avant qu’il ne prenne une décision particulièrement grave pour la situation personnelle de l’étranger. La procédure devant cette commission est elle-même encadrée, notamment par l’article L. 432-15 du même code, qui prévoit la convocation de l’étranger et la possibilité pour lui de se faire assister.
B. L’affirmation de la convocation comme une condition de validité de la procédure
La cour ne se contente pas de constater l’existence d’une procédure de consultation ; elle en souligne la finalité en la liant directement aux droits de la défense. Elle énonce de manière explicite que « la possibilité pour l’étranger de faire valoir devant la commission les motifs qu’il invoque à l’appui de sa demande, si besoin assisté d’un conseil et d’un interprète, constitue pour lui une garantie ». En qualifiant ainsi l’audition de l’intéressé de « garantie », la juridiction dépasse la simple notion de formalité pour y voir un élément essentiel au respect du principe du contradictoire. Par conséquent, l’omission de cette formalité n’est pas un simple vice de forme, mais une atteinte à une protection fondamentale accordée au demandeur. Dès lors, l’absence de convocation régulière de l’étranger à une réunion de la commission est de nature à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de cette procédure viciée. Le juge administratif confirme ici une jurisprudence constante qui veille à ce que les garanties procédurales ne soient pas vidées de leur substance.
En qualifiant ainsi la convocation de garantie substantielle, la cour administrative d’appel en tire des conséquences logiques qui limitent strictement la marge de manœuvre de l’administration face à une éventuelle inertie de la commission.
II. La portée de la solution : la neutralisation de l’avis réputé rendu
L’intérêt principal de l’arrêt réside dans la manière dont il articule deux règles procédurales a priori contradictoires, en rejetant l’argument fondé sur le caractère réputé de l’avis de la commission (A), ce qui conduit à un réexamen strictement encadré de la situation de l’administré (B).
A. Le rejet de l’argument fondé sur le caractère réputé de l’avis
Face au moyen tiré du défaut de convocation, le préfet invoquait les dispositions de l’article R. 432-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, selon lesquelles l’avis de la commission est réputé rendu si celle-ci ne s’est pas prononcée dans les trois mois suivant sa saisine. Cette règle vise à éviter que le silence de la commission ne paralyse l’action administrative. Toutefois, la cour établit une hiérarchie claire entre la garantie des droits de la défense et la règle d’efficacité administrative. Elle juge que les dispositions relatives à l’avis réputé « n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de pallier l’absence de convocation régulière de l’étranger à une réunion de ladite commission ». Autrement dit, la fiction juridique de l’avis réputé rendu ne peut pas couvrir une violation de la garantie procédurale tenant à la convocation de l’intéressé. Pour que l’avis puisse être réputé rendu, encore faut-il que la procédure devant la commission, notamment la convocation de l’étranger, ait été correctement engagée. La cour empêche ainsi l’administration de se prévaloir de l’écoulement du temps pour s’affranchir d’une obligation fondamentale.
B. Les conséquences pratiques de l’annulation : un réexamen encadré
L’annulation de l’arrêté préfectoral est la conséquence directe du vice de procédure substantiel ainsi constaté. Conformément à la logique de l’annulation pour un motif de procédure, l’arrêt n’implique pas que l’administration doive accorder le titre de séjour sollicité. La cour rejette d’ailleurs les conclusions du requérant tendant à la délivrance d’un titre spécifique. En revanche, l’annulation a pour effet de replacer l’administration au stade de la procédure où l’illégalité a été commise. L’injonction prononcée par la cour est à cet égard instructive : elle ordonne au préfet de réexaminer la situation de l’intéressé, mais précise que ce réexamen doit intervenir « après saisine de la commission du titre de séjour et convocation de l’intéressé à la réunion de celle-ci ». Cette injonction est donc à la fois une obligation de faire, mais aussi et surtout une obligation de respecter la procédure. La décision illustre ainsi parfaitement l’office du juge administratif, qui, sans se substituer à l’administration dans l’appréciation de l’opportunité de la décision, assure le respect scrupuleux des garanties accordées aux administrés.