Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la Cour administrative d’appel a annulé un jugement du tribunal administratif de Paris du 19 juillet 2024 et l’arrêté préfectoral subséquent qui refusait la délivrance d’un titre de séjour à une ressortissante étrangère, lui faisait obligation de quitter le territoire et fixait le pays de sa destination. En l’espèce, une ressortissante philippine, présente en France depuis près de dix ans, avait initialement sollicité son admission au séjour pour des raisons médicales. Après une suite de procédures, incluant une intervention du juge des référés suspendant un premier refus implicite, elle a finalement essuyé un refus explicite de titre de séjour de la part du préfet de police de Paris, décision qui a fait l’objet du litige. La requérante, qui avait entre-temps également formalisé une demande d’admission exceptionnelle au séjour, contestait cette décision devant les juridictions administratives. Saisi du litige, le tribunal administratif de Paris avait rejeté sa demande, la conduisant à interjeter appel. La requérante soutenait notamment que la décision préfectorale était entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation personnelle, tandis que le préfet estimait ses moyens non fondés. Il revenait donc à la Cour administrative d’appel de déterminer si le préfet, en refusant le titre de séjour, avait correctement usé de son pouvoir d’appréciation au regard des éléments de la situation personnelle et familiale de l’intéressée. La Cour a répondu par la négative, considérant que la décision attaquée était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et a, par conséquent, enjoint au préfet de délivrer à l’intéressée un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». La censure de l’acte préfectoral repose sur une appréciation souveraine des faits par le juge, qui met en balance l’ensemble des éléments de la situation de la requérante (I), aboutissant à une décision dont la portée dépasse le cas d’espèce en rappelant les limites du pouvoir discrétionnaire de l’administration (II).
I. Le contrôle approfondi de la situation personnelle, fondement de la censure de l’erreur d’appréciation
La décision de la Cour administrative d’appel illustre la méthode du faisceau d’indices, par laquelle le juge administratif évalue la proportionnalité d’une décision de refus de séjour. Il procède à un examen méticuleux des éléments constitutifs de l’intégration de la requérante (A) avant de mettre en perspective les liens qu’elle conserve dans son pays d’origine (B).
A. La consécration d’une intégration sociale et professionnelle remarquable
Le juge d’appel fonde principalement sa décision sur la solidité de l’intégration de l’intéressée. Il relève d’abord « l’ancienneté de son séjour en France », établi à neuf ans et huit mois, une durée particulièrement significative qui démontre un ancrage durable sur le territoire. L’analyse ne s’arrête pas à ce simple critère chronologique, mais s’attache à la qualité de cette présence.
L’arrêt souligne ensuite avec force « son intégration professionnelle ». La Cour prend soin de détailler que la requérante justifie d’une activité salariée continue depuis près d’une décennie, et qu’elle cumulait à la date de l’arrêté « sept emplois en contrat à durée indéterminée, à hauteur de trente heures hebdomadaires ». Cette stabilité et cette pluriactivité témoignent d’une insertion économique et sociale particulièrement forte, renforcée par le fait que ses employeurs avaient tous appuyé ses démarches en sollicitant pour elle des autorisations de travail. Enfin, le juge retient « les liens familiaux dont elle dispose sur le territoire français », notant qu’elle partage son domicile avec ses parents, eux-mêmes titulaires de titres de séjour stables, et qu’elle se prévaut de la présence de son frère et d’autres membres de sa famille. Ces trois piliers – ancienneté du séjour, intégration professionnelle et attaches familiales – constituent un ensemble cohérent et dense qui milite en faveur de la régularisation de sa situation.
B. La moindre prégnance des attaches dans le pays d’origine
Face à la densité des liens tissés en France, la Cour administrative d’appel examine les attaches que la requérante conserve dans son pays d’origine. L’arrêt mentionne explicitement que l’intéressée « ne serait pas dépourvue d’attaches dans son pays d’origine où réside son époux, dont elle indique être séparée, et ses deux enfants majeurs ».
Toutefois, le juge relativise l’importance de ces liens. En précisant que la requérante se déclare séparée de son époux et que ses enfants sont majeurs, il suggère que l’intensité de ces relations familiales est moindre et ne constitue pas un obstacle dirimant à la reconnaissance de son droit au séjour en France. La Cour opère ainsi une balance des intérêts en présence. Elle conclut que les conséquences d’un refus de séjour sur la situation personnelle de la requérante seraient disproportionnées, nonobstant l’existence de cette famille à l’étranger. En jugeant que le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation, la Cour rappelle que le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de police des étrangers doit s’exercer dans le respect du droit à une vie privée et familiale, tel qu’il se construit de fait sur le territoire national.
II. La portée de l’annulation : une injonction protectrice et un rappel à l’administration
Au-delà de la seule annulation de l’acte, la décision de la Cour emporte des conséquences significatives qui témoignent de la volonté du juge de garantir l’effectivité de son contrôle. Elle se traduit par une injonction précise qui limite le pouvoir d’appréciation résiduel du préfet (A), et s’analyse comme un rappel des principes directeurs de l’action administrative en matière de droit des étrangers (B).
A. L’injonction de délivrance d’un titre, conséquence nécessaire de l’annulation
Le dispositif de l’arrêt ne se limite pas à annuler la décision de refus de séjour. La Cour administrative d’appel va plus loin en décidant que « le présent arrêt implique nécessairement que l’autorité administrative délivre un titre de séjour à Mme B… ». En conséquence, elle enjoint au préfet de police de Paris de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » dans un délai de deux mois.
Cette injonction est la conséquence logique du motif d’annulation retenu. L’erreur manifeste d’appréciation étant constatée, et en l’absence de changement dans les circonstances de fait ou de droit, le juge considère qu’une seule solution est légalement possible : l’octroi du titre de séjour. Cette démarche prive le préfet de la possibilité de réexaminer la demande pour aboutir à un nouveau refus sur un autre fondement. La protection juridictionnelle accordée à l’administrée est ainsi complète et immédiate, le juge tirant toutes les conséquences de sa propre appréciation de la situation de l’intéressée. Il ne s’agit plus seulement de censurer une décision illégale, mais bien de dicter la conduite à tenir pour rétablir la requérante dans ses droits.
B. Une décision d’espèce révélatrice des limites du pouvoir discrétionnaire
Bien que la Cour prenne soin de préciser qu’elle statue « dans les circonstances particulières de l’espèce », la solution retenue dépasse le simple cas individuel. Cet arrêt constitue un rappel pédagogique à l’adresse de l’administration quant à l’étendue et aux limites de son pouvoir d’appréciation en matière d’admission exceptionnelle au séjour.
En censurant pour erreur manifeste une décision qui ignorait une intégration aussi aboutie, le juge administratif réaffirme que si le préfet dispose d’un large pouvoir pour apprécier l’opportunité d’une régularisation, ce pouvoir n’est pas absolu. Il doit s’exercer dans le respect des situations personnelles et ne saurait conduire à des décisions dont les conséquences seraient manifestement disproportionnées au regard du but poursuivi. La décision commentée, bien que qualifiée de décision d’espèce, acquiert ainsi une valeur normative. Elle rappelle que l’examen d’une demande de titre de séjour ne peut se limiter à une application mécanique des textes, mais doit inclure une analyse globale et concrète de la vie privée et familiale de la personne, conformément aux exigences qui découlent implicitement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.