Cour d’appel administrative de Paris, le 3 octobre 2025, n°25PA04824

Par une ordonnance en date du 3 octobre 2025, le juge des référés d’une cour administrative d’appel a été amené à se prononcer sur l’étendue de sa propre compétence dans le cadre d’une procédure de référé-suspension. En l’espèce, un ressortissant étranger s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour et notifier une obligation de quitter le territoire français par un arrêté préfectoral en date du 30 mai 2025. L’intéressé a formé un recours en annulation contre cette décision devant le tribunal administratif, lequel a rejeté sa requête par une ordonnance du 25 août 2025 au motif que celle-ci était tardive. L’étranger a alors interjeté appel de cette ordonnance d’irrecevabilité et a, parallèlement, saisi le juge des référés de la cour administrative d’appel d’une demande de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Le requérant soutenait notamment l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué et l’urgence à suspendre ses effets.

La question de droit qui se posait au juge des référés d’appel était de savoir s’il pouvait examiner une demande de suspension d’une décision administrative alors que le recours en annulation principal avait été jugé irrecevable en première instance, et que la régularité de ce jugement d’irrecevabilité était elle-même pendante devant la formation de jugement au fond de la cour.

À cette question, le juge des référés répond par la négative en rejetant la requête. Il estime que sa compétence est subordonnée à l’examen préalable de la régularité de l’ordonnance de première instance ayant statué sur la recevabilité du recours. Or, il considère qu’une telle appréciation « ne saurait appartenir qu’au seul juge d’appel et excède l’office du juge des référés d’une juridiction d’appel saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ». Par conséquent, il se déclare incompétent pour statuer sur la demande de suspension avant que le juge du fond de l’appel ne se soit prononcé sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté.

Cette décision illustre une conception rigoureuse de la répartition des compétences entre le juge des référés et le juge du fond au sein de la même juridiction d’appel (I), ce qui n’est pas sans emporter des conséquences importantes pour l’effectivité de la protection juridictionnelle d’urgence (II).

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I. L’affirmation d’une compétence d’attribution conditionnée par la recevabilité du recours principal

Le juge des référés d’appel rappelle le caractère accessoire de la procédure de suspension à une action au fond recevable (A) pour en déduire une stricte séparation des offices qui lui interdit de préjuger de la décision du juge d’appel au fond (B).

A. Le caractère subordonné du référé-suspension

La procédure de référé-suspension, régie par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, est intrinsèquement liée à l’existence d’un recours au fond tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision administrative. Cette ordonnance met en lumière cette dépendance fonctionnelle en des termes particulièrement clairs. Le juge énonce en effet que le tribunal administratif a « expressément jugé que le recours en excès de pouvoir formé contre ledit arrêté était irrecevable comme entaché de tardiveté ». Dès lors, l’existence même d’une instance principale valide est remise en cause.

Tant que cette question préjudicielle de la recevabilité du recours de première instance n’est pas tranchée par la formation d’appel compétente, le référé-suspension se trouve privé de son support nécessaire. La condition de recevabilité du recours principal n’est pas simplement formelle ; elle constitue le fondement sur lequel repose toute la procédure d’urgence. En l’absence d’un recours au fond potentiellement viable, la demande de suspension devient sans objet, car il n’y a plus de décision finale sur le fond dont l’exécution pourrait être suspendue. La solution adoptée est donc une application orthodoxe de la logique procédurale qui gouverne les mesures provisoires.

B. L’impossibilité de préjuger de la régularité du jugement de première instance

La principale justification de la décision réside dans le respect scrupuleux de la séparation des compétences juridictionnelles. Le juge des référés d’appel refuse d’empiéter sur les prérogatives du juge d’appel au fond. Pour statuer sur la suspension, il aurait fallu implicitement, mais nécessairement, se prononcer sur les chances de succès de l’appel dirigé contre l’ordonnance d’irrecevabilité, et donc apprécier la régularité du jugement de première instance. Or, le juge des référés souligne qu’une telle appréciation « ne saurait appartenir qu’au seul juge d’appel et excède l’office du juge des référés ».

Cette affirmation marque une frontière nette entre la fonction du juge de l’urgence, qui statue en l’état de l’instruction sur la base d’un doute sérieux, et celle du juge du fond, qui tranche définitivement le litige en droit. Admettre le contraire reviendrait à permettre au juge des référés de se transformer en censeur des décisions de première instance, un rôle qui ne lui est pas dévolu par les textes. La décision garantit ainsi la cohérence de l’organisation judiciaire en évitant que des décisions contradictoires puissent être rendues par deux formations de jugement différentes au sein de la même cour sur une question identique.

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Si cette orthodoxie procédurale assure une claire répartition des offices, elle conduit à une solution rigoureuse dont les effets sur la situation du justiciable méritent d’être interrogés.

II. Une solution procédurale rigoureuse aux conséquences significatives pour le justiciable

En faisant prévaloir la logique de compétence sur la situation d’urgence alléguée (A), cette ordonnance est susceptible de créer un vide temporaire dans la protection juridique de l’administré (B).

A. La primauté de l’orthodoxie procédurale sur l’urgence

La condition d’urgence est, avec le doute sérieux, l’un des deux piliers du référé-suspension. En l’espèce, le requérant, menacé d’éloignement du territoire, pouvait légitimement se prévaloir d’une situation d’urgence. Cependant, le juge des référés ne va pas jusqu’à l’examen de cette condition. La question de la compétence et de la recevabilité de sa propre saisine constitue un préalable absolu qui prime toute autre considération, y compris la gravité des conséquences de la décision administrative pour le requérant.

Cette hiérarchie des normes procédurales démontre une approche formaliste du droit au recours. La solidité de l’édifice juridictionnel et la clarté des attributions de chaque juge sont considérées comme des impératifs supérieurs à la nécessité de fournir une réponse immédiate à la situation du justiciable. La décision est donc une illustration de la tension qui peut exister entre la bonne administration de la justice, qui requiert de l’ordre et de la méthode, et le droit à un recours effectif, qui suppose parfois une certaine flexibilité pour répondre à l’urgence des situations humaines.

B. La portée de la décision et le risque d’un déni de justice provisoire

Bien que juridiquement fondée, cette solution n’est pas sans poser de difficultés pratiques et interroge sur la portée de la protection effective du justiciable. En se déclarant incompétent, le juge des référés laisse le requérant sans protection provisoire pendant toute la durée de l’instance d’appel au fond, laquelle peut être longue. L’arrêté préfectoral, incluant une obligation de quitter le territoire, reste donc pleinement exécutoire alors même que la question de la recevabilité de l’action initiale n’a pas été définitivement tranchée.

Cette décision d’espèce révèle un possible angle mort du système de recours d’urgence. Si la position du juge est logique au regard de la pure technique juridique, elle crée une période durant laquelle le justiciable ne peut obtenir de suspension, non pas parce que sa demande est mal fondée, mais en raison d’un obstacle procédural en amont. On peut se demander si une telle situation est pleinement conforme aux exigences du droit à un recours juridictionnel effectif, lequel implique la possibilité de demander et d’obtenir des mesures provisoires efficaces. La rigueur procédurale, bien que nécessaire, pourrait ici conduire à une forme de déni de justice temporaire, l’effectivité du droit étant suspendue à l’aléa du calendrier juridictionnel.

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