Par un arrêt en date du 30 avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’éligibilité au taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations de services à la personne. En l’espèce, une société spécialisée dans les services de ménage et de repassage à domicile opérait dans le cadre d’un réseau de franchise. Cette entreprise appliquait un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à ses prestations, ce que l’administration fiscale a contesté à l’issue d’une vérification de comptabilité, entraînant des rappels d’imposition. La société a obtenu la décharge de ces impositions devant le tribunal administratif, qui a estimé que les prestations de service de ménage réalisées « en mode mandataire » pouvaient bénéficier du taux réduit. Saisie par le ministre de l’économie, la cour administrative d’appel était appelée à se prononcer sur la légalité de ce jugement. Le cœur du litige portait sur la nature exacte de l’activité de la société : agissait-elle comme un prestataire de services direct, ou comme un simple intermédiaire entre des clients particuliers et des travailleurs à domicile ? Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si une prestation d’intermédiation, qualifiée de « mode mandataire », pouvait être assimilée à une prestation de services d’entretien de la maison au sens de la législation fiscale et ainsi bénéficier d’un taux de taxe réduit. La cour a infirmé le jugement de première instance, considérant que la société ne fournissait pas elle-même les services ménagers mais se limitait à une activité de placement de travailleurs et de gestion administrative pour le compte de ses clients. Par conséquent, ses prestations ne relevaient pas des catégories de services éligibles au taux réduit, mais du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée.
La solution retenue par la cour repose sur une qualification juridique rigoureuse de l’activité exercée par la société, laquelle détermine l’inapplicabilité du régime fiscal de faveur (I). Cette analyse stricte conduit logiquement au rejet de l’ensemble des moyens subsidiaires par lesquels la société tentait de se prévaloir du taux réduit (II).
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I. La qualification juridique de l’activité comme condition déterminante du régime fiscal
La cour fonde sa décision sur une analyse précise de la nature des prestations fournies, en distinguant nettement l’activité de prestataire direct de celle d’intermédiaire (A), dans le respect d’une interprétation des textes nationaux conforme aux objectifs du droit de l’Union européenne (B).
A. La distinction entre le prestataire de services et l’intermédiaire
Le raisonnement des juges s’attache à la réalité des relations contractuelles unissant la société, ses clients et les intervenants à domicile. Il ressort de l’instruction que la société opère sur la base d’un « mandat de réalisation de formalités administratives et de paiement ». En vertu de ce contrat, sa mission consiste en la présélection des intervenants, l’immatriculation du client en tant qu’employeur, et la gestion des formalités sociales et de la paie. La cour en déduit que le client est le véritable employeur du salarié effectuant les tâches ménagères. La société n’est donc pas le prestataire du service de ménage, mais celui d’un service de gestion administrative. Comme le souligne l’arrêt, « Dans cette configuration « en mode mandataire », le client de la société franchisée est l’employeur du salarié qui effectue les travaux ménagers à son domicile et le rémunère, tandis que le service facturé par la société déclarée porte exclusivement sur la rémunération de ses prestations de gestion administrative ». Cette activité d’entremise au nom et pour le compte d’autrui n’est pas assimilable à la fourniture directe d’une prestation d’entretien de la maison, seule éligible au taux réduit. La cour se livre à une appréciation factuelle, écartant les allégations de la société quant à de prétendues visites de contrôle ou formations, faute de preuves tangibles.
B. Une interprétation conforme au droit de l’Union européenne
La cour ancre son analyse dans le cadre de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Elle rappelle que les taux réduits constituent une exception et ne s’appliquent qu’aux catégories de services limitativement énumérées, parmi lesquelles figurent « les services de soins à domicile ». Ces services sont définis comme visant la satisfaction de besoins de la vie courante étroitement liés au bien-être des personnes. L’activité d’une société qui se limite à placer des travailleurs et à gérer des formalités administratives ne correspond manifestement pas à cette définition. En interprétant les dispositions du code général des impôts et de son annexe à la lumière de cet objectif, la cour ne procède pas à une application directe de la directive à l’encontre de la loi nationale, comme le soutenait la requérante. Elle assure au contraire une lecture cohérente du droit interne avec les principes fixés par le législateur européen. Cette démarche confirme que le bénéfice d’un avantage fiscal tel qu’un taux réduit est subordonné à des conditions de fond strictes, et que la qualification de la prestation est à cet égard essentielle. Une prestation d’intermédiation administrative ne saurait être confondue avec la prestation de service à la personne elle-même.
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II. Le rejet des garanties invoquées par le contribuable
Conséquence de cette qualification stricte, la cour écarte méthodiquement les autres arguments soulevés par la société, qu’ils soient fondés sur l’illégalité prétendue des textes réglementaires (A) ou sur des prises de position de l’administration qui auraient pu la protéger (B).
A. L’inefficacité de l’exception d’illégalité du décret d’application
La société soutenait que le décret fixant la liste des activités de services à la personne éligibles au taux réduit était illégal, car il restreignait le champ d’application voulu par le législateur. La cour rejette ce moyen en rappelant que la loi elle-même a expressément renvoyé à un décret le soin de fixer cette liste. Le pouvoir réglementaire n’a donc pas excédé sa compétence en ne retenant pas les activités d’intermédiation. L’argument selon lequel le législateur aurait entendu lier le bénéfice du taux réduit de TVA et celui du crédit d’impôt sur le revenu est également jugé inopérant. La cour souligne à juste titre qu’il n’existe aucun principe imposant un tel parallélisme, et qu’au demeurant, ces deux avantages fiscaux ne bénéficient pas à la même personne : le crédit d’impôt est pour le particulier employeur, tandis que le taux de TVA concerne le prestataire. Ce faisant, la cour réaffirme l’autonomie des dispositifs fiscaux et la nécessité d’apprécier les conditions d’éligibilité de chacun séparément, en s’en tenant à la lettre des dispositions législatives et réglementaires applicables.
B. La portée limitée de la doctrine administrative et des décisions créatrices de droits
La société tentait enfin de se prévaloir de la garantie contre les changements de doctrine de l’administration. La cour balaie cet argumentaire en vérifiant point par point si les conditions des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales sont remplies. La prise de position concernant la société mère du réseau de franchise est écartée car elle vise un autre contribuable. Le récépissé de déclaration d’activité est jugé sans valeur de prise de position formelle, car il émane d’une autorité non compétente en matière d’assiette de la TVA. De même, les courriers de la direction générale des entreprises ne constituent pas une interprétation d’un texte fiscal au regard d’une situation de fait précise. Enfin, l’arrêt écarte la qualification de décision créatrice de droits, en précisant que le récépissé de déclaration se borne à constater une formalité et à renvoyer aux conditions légales, sans conférer un droit acquis au taux réduit. Cette position illustre la jurisprudence constante et rigoureuse du juge de l’impôt, qui n’admet le bénéfice de telles garanties que dans des conditions très restrictives, afin de préserver le principe de légalité de l’impôt.