Cour d’appel administrative de Paris, le 30 avril 2025, n°23PA04335

Par un arrêt rendu le 30 avril 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur le refus d’un préfet d’accorder un titre de séjour à une jeune ressortissante étrangère. En l’espèce, une ressortissante kosovare, entrée en France en 2016 à l’âge de quatorze ans, avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale. Cette demande faisait suite au rejet définitif, en 2017, des demandes d’asile présentées par sa famille, qui s’était néanmoins maintenue sur le territoire. La jeune femme mettait en avant son parcours d’intégration, marqué par une scolarité réussie et l’obtention d’un baccalauréat professionnel. Le 18 février 2021, le préfet de Seine-et-Marne a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. La requérante a saisi le tribunal administratif de Melun, qui a rejeté son recours par un jugement du 10 mai 2023. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article L. 313-11 7° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Se posait ainsi la question de savoir si le refus d’accorder un titre de séjour à une ressortissante étrangère, entrée mineure sur le territoire et y ayant atteint sa majorité, qui justifie d’une intégration sociale et scolaire réussie, constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que son séjour, ainsi que celui de sa famille, a été marqué par une irrégularité continue suite au rejet de leurs demandes d’asile. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la décision du préfet n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’intéressée. Elle estime que, malgré les éléments d’intégration, l’irrégularité continue du séjour et la situation administrative de la requérante à la date de la décision attaquée justifiaient le refus. La cour opère ainsi une balance des intérêts conforme à une approche rigoureuse des conditions de délivrance du titre de séjour (I), dont la portée, classique en droit des étrangers, interroge néanmoins sur le traitement de la situation des jeunes majeurs au parcours d’intégration exemplaire (II).

I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse des liens personnels et familiaux

La cour administrative d’appel, pour rejeter la demande de la requérante, procède à une application stricte des critères d’appréciation de la vie privée et familiale. Elle reconnaît les efforts d’intégration de l’intéressée, mais de manière restrictive (A), pour finalement faire prévaloir la situation d’irrégularité continue de son séjour dans la balance des intérêts en présence (B).

A. La prise en compte restrictive des éléments d’intégration

Dans son analyse, la juridiction administrative ne méconnaît pas les arguments avancés par la requérante. Elle expose que celle-ci « a suivi en France une scolarité exemplaire, permise par son implication et ses efforts dans l’apprentissage de la langue française, jusqu’à l’obtention en 2022 du baccalauréat professionnel ». Elle mentionne également la présence de l’intégralité de sa famille sur le territoire français. Cependant, ces éléments, bien que significatifs de la construction de liens personnels en France, sont traités comme des composantes parmi d’autres et ne suffisent pas à emporter la conviction du juge. L’appréciation des liens personnels et familiaux, telle que prévue par l’article L. 313-11 7° du CESEDA, doit en effet être globale et tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce. En ne donnant pas un poids décisif à un parcours scolaire et social réussi, la cour signale que l’intégration, même probante, ne saurait à elle seule effacer d’autres aspects du dossier jugés plus déterminants par l’administration et, en l’occurrence, par le juge lui-même.

B. La prévalence de l’irrégularité du séjour dans la balance des intérêts

Le cœur du raisonnement de la cour repose sur la situation administrative de la requérante et de sa famille. L’arrêt souligne avec force que « la famille (…) s’est maintenue continument en situation irrégulière sur le territoire après que leur demande d’asile a été rejetée ». Cette circonstance constitue le point d’ancrage de la décision. En droit des étrangers, le maintien sur le territoire après un rejet définitif d’une demande de protection est un facteur systématiquement pris en compte de manière défavorable par l’autorité préfectorale. Le juge administratif confirme ici la légalité de cette approche. Il considère que les liens tissés en France, même réels, ont été développés durant une période de séjour précaire et irrégulière. En conséquence, la requérante ne pouvait ignorer le caractère incertain de sa présence sur le territoire. La cour conclut que le refus de séjour ne porte pas une atteinte « disproportionnée » à son droit au respect de sa vie privée et familiale « au regard des buts poursuivis par cette mesure », à savoir la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l’immigration irrégulière.

Cette analyse, qui confirme une application rigoureuse de la législation, s’inscrit dans une logique classique du contentieux des étrangers, dont la portée est par ailleurs éclairée par la méthode d’appréciation temporelle retenue par le juge.

II. La portée d’une solution classique en droit des étrangers

La décision commentée s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence bien établie, tant sur le fond que sur la méthode. Elle offre une illustration pédagogique du principe de l’appréciation de la légalité d’un acte à la date de son édiction (A), tout en soulevant, par sa rigueur, une interrogation sur la place accordée au parcours des jeunes majeurs ayant réussi leur intégration (B).

A. Une illustration de la temporalité de l’appréciation de la légalité

Un des apports de l’arrêt est de rappeler avec clarté une règle fondamentale du contentieux administratif : la légalité d’une décision s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle elle a été prise. La requérante se prévalait en effet du titre de séjour obtenu par son père en décembre 2022, soit près de deux ans après la décision préfectorale la concernant. La cour écarte cet argument d’un revers de main, en jugeant que « cette circonstance postérieure de près de deux ans à la décision attaquée est sans incidence sur sa légalité ». Cette position est juridiquement orthodoxe. Le juge de l’excès de pouvoir ne peut annuler une décision devenue illégale postérieurement à son édiction. Cette règle garantit la sécurité juridique et la cohérence de l’action administrative. Elle a cependant pour conséquence, dans des situations humaines évolutives comme celles des étrangers, de figer l’appréciation à un instant T, obligeant parfois les administrés à déposer une nouvelle demande pour que leur situation actualisée soit prise en compte.

B. L’interrogation sur la situation des jeunes majeurs au parcours d’intégration réussi

Au-delà de sa rigueur juridique, la solution interroge. Elle concerne une jeune femme arrivée en France durant sa minorité, période durant laquelle elle n’est pas maîtresse de sa situation administrative, celle-ci dépendant de ses parents. C’est durant cette période qu’elle a été scolarisée et a noué l’essentiel de ses liens sociaux. Devenue majeure, elle se voit opposer une situation d’irrégularité qu’elle n’a pas initiée. Si la décision est une décision d’espèce, dont la solution dépend des faits propres à la cause, elle révèle une tension inhérente au droit des étrangers. La logique de contrôle migratoire, fondée sur la régularité du séjour, se heurte ici à un parcours d’intégration personnel particulièrement réussi qui pourrait, d’un point de vue social et humain, justifier une régularisation. En faisant prévaloir le premier aspect, la cour applique le droit positif sans infléchissement. Elle laisse ainsi en suspens la question de la meilleure manière de prendre en compte le parcours de ces jeunes, qui, bien que juridiquement « étrangers », sont socialement et culturellement ancrés dans la société française.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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