Par un arrêt en date du 30 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance prise par le ministre de l’intérieur à l’encontre d’un individu. En l’espèce, un citoyen français a fait l’objet d’un arrêté ministériel lui imposant, pour une durée de trois mois, une interdiction de sortie d’une commune déterminée ainsi qu’une obligation de présentation journalière aux services de police. Cette mesure, fondée sur les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives à la prévention du terrorisme, a ensuite été renouvelée pour une même durée. L’intéressé avait été condamné quelques années auparavant pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme et les services de renseignement faisaient état de relations persistantes avec des individus condamnés pour des faits similaires, malgré une réinsertion professionnelle et sociale apparente.
Saisi en première instance, le tribunal administratif de Montreuil avait rejeté les recours formés par le requérant contre l’arrêté initial et son renouvellement. L’individu a donc interjeté appel devant la Cour administrative d’appel, contestant la légalité des décisions ministérielles. Il soutenait notamment que les arrêtés étaient insuffisamment motivés, méconnaissaient les conditions prévues par le code de la sécurité intérieure, portaient une atteinte disproportionnée à ses libertés fondamentales et étaient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation. Le ministre de l’intérieur, quant à lui, concluait au rejet des requêtes en affirmant que les conditions légales étaient réunies.
Il revenait ainsi à la Cour de déterminer si des antécédents judiciaires en matière de terrorisme et des relations maintenues avec des individus condamnés pour de tels faits suffisent à caractériser une menace d’une particulière gravité pour la sécurité publique justifiant une mesure administrative restrictive, nonobstant des éléments de réinsertion. La Cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative en rejetant les requêtes. Elle a estimé que, compte tenu du passé de l’intéressé, des informations des services de renseignement et du contexte de menace terroriste élevée, le ministre n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le comportement du requérant constituait une menace justifiant les mesures prises.
Il conviendra d’analyser la confirmation par le juge d’appel de la réunion des conditions légales de la mesure (I), avant d’examiner la portée du contrôle exercé sur son caractère nécessaire et proportionné (II).
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I. La validation des conditions de fond de la mesure de contrôle
La Cour administrative d’appel confirme la légalité de la décision ministérielle en validant l’analyse des deux conditions cumulatives prévues par l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure. Elle admet ainsi une appréciation extensive de la notion de menace grave pour l’ordre public (A) et retient une conception large des relations justifiant une telle mesure (B).
A. L’appréciation de la menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics
La première condition nécessaire au prononcé d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance réside dans l’existence de « raisons sérieuses de penser que le comportement [de la personne] constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Pour en juger, la Cour s’appuie sur un faisceau d’indices présenté par l’administration. Elle retient en premier lieu la condamnation pénale de l’intéressé à une peine d’emprisonnement pour des faits de nature terroriste, quand bien même celle-ci a été exécutée et que l’individu est depuis suivi.
La Cour accorde ensuite un poids déterminant aux « pièces du dossier, et notamment de la note des services de renseignement, précise et circonstanciée ». Elle écarte les arguments du requérant relatifs à sa bonne insertion professionnelle et sociale, jugeant que ces éléments « ne suffisent pas à sérieusement remettre en cause les appréciations portées par le ministre de l’intérieur ». Cette approche révèle la prépondérance accordée à l’analyse prospective du risque menée par l’administration, le juge se montrant peu enclin à substituer son appréciation à celle du ministre lorsque celle-ci est étayée par des documents des services spécialisés, même en présence d’éléments contradictoires favorables à l’administré.
B. La caractérisation des liens avec la mouvance terroriste
La seconde condition, alternative, exige que la personne « soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme », soit soutienne ou adhère à des thèses qui y incitent. La Cour estime cette condition remplie en se fondant sur les informations selon lesquelles le requérant « entretient encore des relations habituelles avec plusieurs individus condamnés pour des faits de terrorisme ». Fait notable, elle prend acte du fait que l’intéressé ne conteste pas ce point et « admet avoir eu des échanges ponctuels » avec l’un des individus cités.
L’arrêt suggère qu’un simple contact, même qualifié de « ponctuel » par l’intéressé, peut suffire à caractériser des relations habituelles au sens de la loi, dès lors qu’il s’inscrit dans un contexte particulier marqué par des antécédents judiciaires et des fréquentations passées. Le juge administratif adopte ici une lecture extensive de la condition légale, considérant que la nature des personnes contactées importe davantage que la fréquence des contacts eux-mêmes pour matérialiser le risque que la mesure vise à prévenir.
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II. Un contrôle restreint sur la nécessité et l’adaptation de la mesure
Au-delà de la vérification des conditions de fond, la décision illustre les limites de l’office du juge administratif dans le contentieux des mesures de police liées au terrorisme. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation laisse une marge de manœuvre considérable à l’administration (A), tandis que l’examen de la proportionnalité s’avère conciliant dès lors que des aménagements ont été consentis (B).
A. L’exercice d’un contrôle limité par l’erreur manifeste d’appréciation
Face aux moyens soulevés par le requérant, la Cour exerce un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, se refusant à un examen de la simple erreur d’appréciation. Cette retenue est justifiée par la nature même de la décision, qui relève de la police administrative et implique une analyse complexe de la dangerosité d’un individu. La Cour estime que le ministre a pu « légalement estimer » que les conditions étaient réunies, ce qui témoigne d’une volonté de ne pas censurer le choix opéré par l’administration, sauf en cas d’illégalité flagrante.
Pour écarter l’erreur manifeste, la Cour s’appuie explicitement sur « le contexte international et national où la menace terroriste demeure élevée, particulièrement au moment de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques ». L’invocation d’un tel contexte factuel général permet de renforcer la légitimité de la mesure préventive et de réduire la portée des éléments individuels favorables au requérant. L’office du juge se limite alors à vérifier que l’appréciation du ministre n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la menace globale identifiée.
B. L’appréciation de la proportionnalité au regard des aménagements de la mesure
Enfin, le requérant invoquait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’aller et venir et à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour écarter ce moyen, la Cour relève le caractère limité dans le temps des obligations, mais elle s’attache surtout à souligner les adaptations dont la mesure a fait l’objet. Elle note que l’intéressé « a bénéficié d’un aménagement de ses obligations lui permettant de se déplacer en dehors du périmètre prévu […] afin de lui permettre de se rendre sur son lieu de travail et réduisant ses obligations de pointage ».
Cette prise en compte des modifications apportées par l’administration elle-même est déterminante. Elle démontre que le juge examine la proportionnalité de la mesure de manière concrète, en tenant compte de ses effets réels sur la vie professionnelle et personnelle de l’individu. En validant une mesure ainsi aménagée, la Cour envoie un signal à l’administration, l’incitant à faire preuve de souplesse pour concilier les exigences de l’ordre public avec le maintien d’une vie privée et professionnelle, ce qui rend par la suite la censure par le juge moins probable.