Par un arrêt en date du 30 avril 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour au titre de l’admission exceptionnelle. La décision illustre la marge d’appréciation laissée à l’administration et le contrôle restreint exercé par le juge en la matière.
En l’espèce, une ressortissante étrangère, présente sur le territoire français depuis 2018, avait sollicité son admission au séjour. Elle faisait valoir une intégration par le travail, exercé de manière continue depuis 2019, ainsi que la présence d’un enfant né en France en 2022. Le préfet de police de Paris a rejeté sa demande par un arrêté du 16 août 2024, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Paris a confirmé cette décision par un jugement du 7 janvier 2025. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le préfet avait commis une erreur de droit en se croyant à tort en situation de compétence liée, et une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle invoquait également une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’intégration professionnelle d’une personne étrangère, bien que réelle et continue, mais exercée dans des emplois non qualifiés de particulièrement recherchés, suffisait à caractériser un motif exceptionnel justifiant son admission au séjour.
La cour rejette la requête, considérant que les éléments avancés ne suffisent pas à établir une situation justifiant une régularisation. Elle estime que « l’insertion professionnelle réelle de la requérante, bien que révélant une volonté d’intégration, ne peut être considérée comme un motif exceptionnel justifiant sa régularisation en qualité de salariée ». Ce faisant, elle valide l’appréciation du préfet et confirme le jugement de première instance.
La décision réaffirme ainsi l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration dans l’octroi des titres de séjour pour motifs exceptionnels (I), tout en appliquant une conception exigeante des critères justifiant une telle mesure (II).
I. La confirmation de l’étendue du pouvoir d’appréciation préfectoral
La cour administrative d’appel valide la démarche suivie par le préfet, rappelant que l’examen d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour s’effectue selon une méthode structurée (A) et relève d’une appréciation souveraine des éléments de vie privée et familiale (B).
A. Une méthode d’examen validée en deux temps
L’arrêt rappelle utilement la méthodologie que l’autorité administrative doit suivre en présence d’une demande fondée sur l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge confirme que le préfet doit procéder à un examen successif des différents fondements possibles de la régularisation. Dans un premier temps, il lui appartient de vérifier si « l’admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d’une carte portant la mention « vie privée et familiale » répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels ». C’est seulement à défaut qu’il doit, dans un second temps, examiner si des motifs exceptionnels justifient la délivrance d’une carte de séjour en qualité de « salarié » ou de « travailleur temporaire ».
En l’espèce, la cour constate que le préfet a bien effectué cet examen complet. Elle écarte ainsi le moyen tiré de l’erreur de droit, soulignant que le préfet « ne s’est pas davantage cru en situation de compétence liée ». Cette précision est essentielle : elle confirme que, même face à des critères légaux, le préfet conserve un pouvoir d’appréciation et ne se trouve pas contraint par une réponse automatique. Le juge administratif s’assure que ce pouvoir a été pleinement exercé et que toutes les facettes de la situation du demandeur ont été prises en compte.
B. Une appréciation souveraine de la vie privée et familiale
Concernant le volet privé et familial, la cour se livre à une analyse concrète des éléments produits par la requérante. Elle reconnaît la présence de l’intéressée en France depuis 2018 et le fait qu’elle soit mère d’un enfant. Toutefois, ces éléments ne sont pas jugés suffisants pour caractériser une intégration telle qu’un refus de séjour porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La cour relève que la requérante « n’établit ni la communauté de vie dont elle se prévaut […] ni être dépourvue d’attaches dans son pays d’origine où elle a vécu jusqu’à l’âge de vingt-sept ans ».
Cette motivation met en lumière le niveau d’exigence probatoire qui pèse sur le demandeur. La simple affirmation d’une vie commune ou l’absence de liens dans le pays d’origine ne suffisent pas ; des preuves tangibles sont attendues. De même, la cour note qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle aurait noué en France des liens d’ordre amical, culturel et social de nature à attester d’une intégration particulière ». En validant l’appréciation du préfet sur ce point, le juge confirme que l’existence de liens familiaux en France ne constitue qu’un élément d’appréciation parmi d’autres et ne crée aucun droit automatique au séjour.
II. L’interprétation restrictive des motifs exceptionnels d’admission au séjour
Au-delà de la méthode, l’arrêt se distingue par son appréciation de la notion de « motifs exceptionnels », en particulier sur le plan professionnel. Il en résulte une portée limitée accordée à l’insertion par le travail (A), consacrant par là même le contrôle restreint du juge sur l’opportunité de la décision administrative (B).
A. La relativisation de l’insertion professionnelle comme critère de régularisation
L’un des apports principaux de l’arrêt réside dans son analyse de l’intégration professionnelle de la requérante. Celle-ci justifiait d’un travail continu depuis plusieurs années, d’abord à temps partiel puis à temps complet. La cour reconnaît cette « insertion professionnelle réelle » et y voit une « volonté d’intégration ». Néanmoins, elle juge que ce critère n’est pas déterminant en l’espèce. Pour refuser de le considérer comme un motif exceptionnel, elle se fonde sur « les caractéristiques des emplois exercés », en l’occurrence ceux de prothésiste ongulaire et d’esthéticienne.
Cette approche révèle une appréciation qualitative de l’emploi occupé. Le juge administratif admet implicitement qu’une intégration professionnelle, même durable, dans des secteurs qui ne sont pas caractérisés par une tension particulière sur le marché du travail ou qui ne requièrent pas de qualifications rares, ne constitue pas nécessairement un motif exceptionnel. Cette solution, bien que sévère, s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de faire de l’emploi un droit automatique à la régularisation. Elle rappelle que l’admission au séjour par le travail demeure une faculté laissée à l’administration, et non une obligation.
B. La consécration d’un contrôle restreint du juge sur l’opportunité de la décision
En définitive, la cour juge que le préfet n’a pas commis d’« erreur manifeste d’appréciation ». Le choix de ce standard de contrôle n’est pas anodin. Il signifie que le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration. Il se limite à vérifier que la décision préfectorale n’est pas manifestement disproportionnée ou illogique au vu des éléments du dossier. En l’espèce, bien que la situation de la requérante puisse susciter une analyse différente en opportunité, elle ne présente pas un caractère exceptionnel si évident que la décision du préfet en deviendrait entachée d’une erreur flagrante.
De même, en écartant la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « pour les mêmes motifs de fait », la cour confirme que l’ingérence dans la vie privée et familiale de la requérante est jugée proportionnée aux objectifs de maîtrise des flux migratoires. L’arrêt illustre ainsi parfaitement la retenue du juge administratif, qui, tout en exerçant un contrôle de la légalité et de la proportionnalité de la décision, respecte la large marge d’appréciation que la loi confère au préfet en matière d’admission exceptionnelle au séjour.