Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la question de la responsabilité d’un établissement public administratif de l’État pour un défaut d’organisation d’un concours réservé visant à la titularisation de ses agents contractuels. En l’espèce, une agente contractuelle de droit public employée par l’institution nationale en charge du service public de l’emploi avait saisi son employeur d’une demande indemnitaire. Elle estimait avoir subi un préjudice du fait de l’absence d’organisation d’une procédure de recrutement réservé lui permettant d’accéder à la fonction publique, procédure prévue par la loi du 12 mars 2012.
Saisi du litige, le Tribunal administratif de Paris avait rejeté sa demande. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la carence de son employeur à organiser un tel concours constituait une faute engageant sa responsabilité. L’établissement public, pour sa part, a conclu à titre principal à l’irrecevabilité de la demande comme étant mal dirigée, arguant que seul l’État, en sa qualité d’autorité de tutelle, était compétent pour mettre en œuvre un tel dispositif de recrutement pour les agents de l’établissement. La question de droit qui était ainsi posée à la cour consistait à déterminer si un établissement public administratif ne disposant pas de corps de fonctionnaires propres pouvait voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir organisé un recrutement réservé prévu par la loi, ou si cette obligation incombait exclusivement à l’État.
La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle juge que la demande était en effet mal dirigée, car il appartenait « au seul ministre chargé de l’emploi, en tant qu’autorité de tutelle ou de rattachement » de l’établissement, d’organiser les recrutements réservés pour l’accès aux corps de fonctionnaires de l’État. La cour ajoute, dans une motivation subsidiaire, qu’en tout état de cause, l’État avait bien organisé les concours en question et que l’agente n’établissait pas avoir perdu une chance sérieuse de les réussir.
La solution retenue par la cour repose ainsi sur une analyse stricte de la répartition des compétences entre l’établissement public et son ministère de tutelle (I), renforcée par une motivation subsidiaire écartant, sur le fond, l’existence même d’une faute et d’un préjudice certain (II).
I. L’identification du débiteur de l’obligation comme cause d’irrecevabilité
La cour fonde sa décision sur une interprétation rigoureuse des textes régissant tant le dispositif de titularisation que la nature des relations entre l’établissement public et l’État. Elle en déduit une compétence exclusive de l’autorité de tutelle pour l’organisation des recrutements (A), ce qui rend inopérante l’action engagée contre le seul établissement employeur (B).
A. La détermination de la compétence exclusive du ministère de tutelle
La cour s’attache à démontrer, par une analyse détaillée du cadre juridique, que l’obligation d’organiser un recrutement réservé ne pesait pas sur l’établissement public. Elle relève que, selon le décret du 3 mai 2012, lorsque l’établissement ne dispose pas de corps de fonctionnaires, « les agents peuvent se présenter aux recrutements qui leur sont ouverts par le département ministériel de tutelle ou de rattachement ». Cette disposition claire permet de transférer la responsabilité de l’action vers l’entité étatique.
Le juge administratif souligne qu’il appartenait dès lors « au seul ministre chargé de l’emploi, en tant qu’autorité de tutelle ou de rattachement de Pôle Emploi, d’organiser pour les agents contractuels de droit public de cet établissement des recrutements réservés pour l’accès à certains corps de fonctionnaires de l’Etat ». La solution est logique : l’établissement ne pouvant recruter des fonctionnaires dans des corps qu’il ne gère pas, il ne saurait être tenu d’organiser lui-même les voies d’accès à ces corps, qui relèvent de la compétence du ministère de tutelle. L’argument de la requérante tiré de la représentation de l’État par l’établissement dans d’autres contentieux est jugé sans incidence, car une telle représentation est limitée aux missions qui lui sont expressément confiées, ce qui n’est pas le cas de l’organisation des concours de la fonction publique d’État.
B. La conséquence procédurale de l’action mal dirigée
Ayant établi que la compétence organisationnelle incombait à l’État, la cour tire la conséquence procédurale qui s’impose. La demande indemnitaire, étant exclusivement dirigée contre l’établissement public, était mal adressée. En matière de contentieux de la responsabilité, le demandeur doit identifier avec précision la personne morale de droit public à laquelle le fait générateur du dommage est imputable.
La cour confirme ainsi que « l’opérateur France Travail venant aux droits de Pôle emploi est fondé à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées par [la requérante] et tendant à la seule condamnation de Pôle emploi devaient être rejetées comme mal dirigées ». Cette application stricte de la règle procédurale souligne l’importance pour le justiciable d’identifier correctement le défendeur. L’arrêt précise en outre que l’établissement n’était pas tenu de transmettre la réclamation à l’administration compétente, les dispositions du code des relations entre le public et l’administration sur ce point n’étant pas applicables au litige, ce qui renforce la charge pesant sur l’administré.
II. L’absence subsidiaire de faute et de préjudice, une motivation superfétatoire mais dirimante
Par une motivation « en tout état de cause », la cour ne se contente pas de l’irrecevabilité et examine le bien-fondé de la demande. Elle constate que, même si l’action avait été correctement dirigée, elle se serait heurtée à l’absence de faute de l’administration (A) et à l’absence de preuve d’un préjudice indemnisable (B).
A. La réfutation de l’abstention fautive par l’organisation effective des recrutements
Le juge administratif prend soin de vérifier si l’administration compétente, à savoir l’État, avait effectivement rempli ses obligations. Il résulte de l’instruction que des recrutements réservés avaient bien été ouverts aux agents de l’établissement par des arrêtés ministériels en 2017, pour un accès aux corps des attachés d’administration et des secrétaires administratifs.
Cette constatation factuelle prive de toute substance le grief formulé par la requérante. L’arrêt conclut ainsi qu’elle « n’est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu’elle aurait subi un préjudice ayant pour cause l’abstention fautive d’organisation, à partir de 2017, d’une procédure lui permettant l’accès à la fonction publique ». Cette motivation, bien que subsidiaire, est essentielle car elle vide le litige de son objet sur le fond. Elle démontre que non seulement l’action a été mal dirigée, mais qu’elle reposait sur un postulat erroné, celui d’une carence de l’administration qui n’était pas avérée.
B. Le rappel de l’exigence d’une perte de chance sérieuse
Enfin, la cour ajoute une dernière considération relative à la preuve du préjudice. Même dans l’hypothèse où une faute aurait pu être établie, l’indemnisation d’un agent pour ne pas avoir pu se présenter à un concours est conditionnée à la démonstration qu’il avait une chance sérieuse de le réussir. Il s’agit d’une jurisprudence constante en matière de responsabilité administrative.
L’arrêt relève que « la requérante, qui au surplus n’établit pas, comme elle en a la charge, qu’elle aurait perdu une chance sérieuse de succès au concours réservé ». Ce faisant, le juge rappelle une condition fondamentale de l’engagement de la responsabilité pour perte de chance. Le préjudice ne saurait être purement hypothétique ; il doit correspondre à la disparition d’une probabilité suffisamment forte de réaliser le gain ou d’éviter la perte espérée. En l’absence de tout élément permettant d’évaluer ses chances de réussite, la demande de l’agente ne pouvait, en tout état de cause, prospérer.