Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’un ensemble de mesures d’éloignement prises à l’encontre d’un ressortissant étranger en situation irrégulière. En l’espèce, un individu de nationalité égyptienne, entré sur le territoire national sans pouvoir justifier d’une introduction régulière et s’y maintenant sans titre de séjour, a fait l’objet d’une interpellation pour des faits de conduite sans permis et d’exercice illégal d’une activité de transport. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a, par un arrêté du 22 janvier 2024, prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français, un refus de délai de départ volontaire, ainsi qu’une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de douze mois. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de ces décisions par un jugement du 12 avril 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité des différentes mesures au regard, notamment, de sa situation personnelle et de la procédure suivie par l’administration. Le problème de droit soulevé devant la cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si l’existence d’une demande de communication des motifs d’un précédent refus de titre de séjour pouvait faire obstacle à l’édiction d’une nouvelle mesure d’éloignement. D’autre part, il était demandé à la cour de se prononcer sur la possibilité pour l’administration de justifier en cours d’instance un refus de délai de départ volontaire par un motif nouveau, non invoqué dans la décision initiale. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que ni la situation administrative antérieure de l’intéressé ni les critiques formées contre les motifs initiaux de l’administration n’étaient de nature à entacher d’illégalité les décisions contestées. Elle valide ainsi l’approche rigoureuse du préfet fondée sur le constat de l’irrégularité du séjour, tout en acceptant une régularisation du raisonnement administratif en cours de procédure. La décision confirme la pleine compétence de l’autorité administrative pour éloigner un étranger en situation irrégulière malgré des démarches antérieures (I), tout en illustrant la faculté pour le juge de consolider une décision par une substitution de ses motifs (II).
I. La confirmation de la plénitude de la compétence préfectorale en matière d’éloignement
La cour administrative d’appel réaffirme avec clarté que la situation d’irrégularité d’un étranger constitue un fondement suffisant pour justifier une obligation de quitter le territoire. Elle écarte ainsi les arguments du requérant visant à neutraliser cette mesure, que ce soit en invoquant une procédure administrative connexe (A) ou en se prévalant d’une intégration personnelle et professionnelle jugée insuffisante (B).
A. L’inefficacité d’une demande de motifs sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire
Le requérant soutenait que la mesure d’éloignement était illégale au motif qu’il avait sollicité, peu de temps auparavant, la communication des raisons justifiant un refus implicite de sa demande d’admission exceptionnelle au séjour datant de 2022. La cour écarte ce moyen en des termes nets, estimant que « La circonstance qu’à la date à laquelle l’arrêté litigieux a été pris, le requérant avait demandé le 26 décembre 2023 la communication des motifs de cette décision implicite de rejet, sans avoir obtenu de réponse, ne faisait pas obstacle à ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis prenne à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français ». Par cette formule, le juge administratif rappelle que la compétence de l’administration pour faire cesser une situation d’illégalité s’apprécie au jour où elle statue. Les démarches procédurales relatives à une décision antérieure sont sans incidence sur la légalité d’une nouvelle mesure prise sur le fondement d’une situation infractionnelle persistante, à savoir le maintien sur le territoire sans titre de séjour valide. Cette solution, conforme à une jurisprudence constante, souligne la primauté de l’obligation de détenir un titre de séjour sur les subtilités des procédures engagées par ailleurs.
B. L’appréciation restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale
Le requérant invoquait également une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en raison de sa présence en France depuis neuf ans et de son intégration professionnelle. La cour procède à une balance des intérêts en présence et conclut à l’absence de violation. Elle retient que « le requérant serait entré en France à l’âge de 20 ans, qu’il n’a jamais été en situation régulière, qu’il est célibataire et sans enfant et il ne démontre pas une intégration personnelle particulière ». Le juge considère que l’intégration professionnelle récente ne saurait, à elle seule, prévaloir sur l’ensemble de ces éléments, notamment la fragilité des attaches personnelles et la constance de la situation d’irrégularité. De même, la cour rappelle que l’admission exceptionnelle au séjour est une simple faculté pour l’administration, laquelle dispose d’un « large pouvoir pour apprécier », et non un droit pour l’étranger. Par conséquent, se prévaloir de remplir les conditions pour en bénéficier ne saurait faire obstacle à une mesure d’éloignement.
II. La consolidation de la décision par l’office du juge administratif
Au-delà du contrôle de la légalité de l’obligation de quitter le territoire, l’arrêt présente un intérêt particulier quant au rôle du juge dans la validation des décisions administratives. La cour met en œuvre la technique de la substitution de motifs pour sauver de l’annulation le refus d’octroyer un délai de départ volontaire, illustrant ainsi une méthode établie (A) appliquée avec pragmatisme à l’espèce (B).
A. Le recours à la substitution de motifs comme outil de régularisation contentieuse
Pour refuser d’accorder un délai de départ volontaire, le préfet avait initialement invoqué plusieurs motifs, dont une menace pour l’ordre public et l’absence de garanties de représentation. Devant la cour, il ajoute un argument nouveau : le fait que le requérant s’était déjà soustrait à une précédente mesure d’éloignement datant de 2018. Le juge administratif rappelle alors sa faculté de procéder à une substitution de motifs, en précisant sa portée dans son considérant de principe : « L’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée by a motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué ». Cette technique permet au juge de rechercher si l’administration aurait pris la même décision en se fondant sur ce nouveau motif et si celui-ci est de nature à la justifier légalement, sous réserve de ne pas priver le requérant d’une garantie procédurale. Ce mécanisme de saine administration de la justice vise à éviter des annulations pour des motifs purement formels alors que la décision était matériellement justifiée.
B. L’application au cas d’un risque avéré de soustraction à la mesure d’éloignement
En l’espèce, la cour accepte la substitution proposée par le préfet. Elle constate que le fait pour l’intéressé de s’être soustrait à une précédente mesure d’éloignement constitue bien un cas où le risque de se soustraire à la nouvelle obligation de quitter le territoire peut être regardé comme établi, conformément au 5° de l’article L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge estime d’une part que « le préfet aurait pris la même décision en se fondant sur ce motif », et d’autre part que cette substitution ne prive le requérant d’aucune garantie. Ce faisant, la cour valide le refus de délai de départ volontaire sur un fondement plus solide et moins sujet à discussion que les motifs initialement invoqués. Cette application rigoureuse de la substitution de motifs démontre le pragmatisme du juge administratif, qui privilégie la réalité de la situation de l’étranger à la lettre de la décision initiale, renforçant ainsi la position de l’administration face à un individu ayant déjà manifesté par le passé sa volonté de ne pas se conformer à une mesure d’éloignement.