Cour d’appel administrative de Paris, le 30 mai 2025, n°23PA01499

Dans une décision rendue le 30 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les modalités de déclenchement du délai de réclamation préalable dans le cadre de l’exécution d’un marché public. En l’espèce, une association titulaire de plusieurs accords-cadres portant sur l’organisation d’activités périscolaires pour le compte d’une collectivité territoriale s’est vu notifier la suspension de ses prestations en raison de la crise sanitaire. L’association a par la suite sollicité le paiement partiel des prestations non réalisées, se heurtant à un refus de l’administration. Saisi en première instance, le tribunal administratif a rejeté la demande indemnitaire comme irrecevable au motif de la tardiveté du mémoire en réclamation préalable. La procédure a révélé une divergence d’appréciation quant au point de départ du différend : l’association soutenait que celui-ci était né lors d’un entretien au cours duquel le refus de paiement lui avait été signifié de manière définitive, tandis que la personne publique estimait que le litige était apparu dès la réception d’un courrier initial refusant la prise en charge. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si une réponse écrite de l’acheteur public, refusant une demande de paiement tout en se fondant sur des directives gouvernementales, suffit à caractériser l’apparition d’un différend au sens du cahier des clauses administratives générales, ou si ce dernier ne naît que d’un refus ultérieur et plus formel. La Cour administrative d’appel a jugé que le différend naît dès lors que l’acheteur prend une « position explicite et non équivoque » par écrit, matérialisant son désaccord sur la demande du titulaire. Par conséquent, elle a confirmé que le courrier initial constituait bien le point de départ du délai de forclusion, rendant la réclamation ultérieure de l’association tardive et sa requête irrecevable.

Cette solution conduit à s’interroger sur la manière dont le juge administratif définit le point de départ du contentieux contractuel (I), avant d’analyser les conséquences de cette rigueur procédurale sur les droits des cocontractants (II).

I. La cristallisation du différend par un refus explicite et non équivoque

La Cour administrative d’appel adopte une approche objective pour identifier la naissance du litige, se fondant sur un acte formel (A) et écartant par là même une appréciation subjective des échanges entre les parties (B).

A. L’identification d’un acte formel comme point de départ du délai

L’arrêt commenté s’inscrit dans une approche classique de la procédure contentieuse des marchés publics, qui exige la liaison du contentieux par une réclamation préalable. La solution repose sur l’interprétation de l’article 37.2 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services, qui impose au titulaire de présenter un mémoire en réclamation dans un délai de deux mois « à compter du jour où le différend est apparu ». La Cour, pour déterminer cette date, recherche un événement précis et identifiable. En l’espèce, elle retient la date d’un courrier par lequel la direction administrative a formellement rejeté la demande de paiement de l’association.

Le juge considère que ce document matérialise sans ambiguïté la position de l’acheteur public. Il est relevé que par ce courrier, la direction « avait pris une position explicite et non équivoque selon laquelle (…) elle ne paierait pas les prestations non réalisées ». Cette formule consacre une définition objective du différend : il ne s’agit pas d’une simple mésentente ou d’un désaccord informel, mais d’une opposition formalisée par un écrit qui ne laisse place à aucun doute sur l’intention de son auteur. La tentative de l’association de poursuivre les discussions ou d’obtenir des éclaircissements postérieurs à cet acte n’a donc pas pour effet de reporter le point de départ du délai.

B. Le rejet d’une conception subjective de la naissance du différend

Face à cette approche rigoureuse, l’association requérante proposait une lecture alternative, plus subjective, de la chronologie des faits. Elle soutenait que le premier courrier de l’administration ne constituait qu’une simple application des directives gouvernementales liées à la crise sanitaire et non un véritable différend entre elle et la collectivité. Selon elle, le litige n’était réellement né que lors d’un entretien ultérieur, au cours duquel la décision de ne pas payer et de ne pas accorder d’aide financière lui avait été annoncée. Cette argumentation visait à démontrer que la véritable rupture du dialogue n’était intervenue qu’à ce moment-là.

La Cour écarte fermement cette analyse. Elle considère que la justification du refus, fût-elle fondée sur une ordonnance gouvernementale, est sans incidence sur la nature de l’acte lui-même. Un refus de paiement, même motivé par des contraintes externes, demeure une décision qui fait grief et qui cristallise le désaccord des parties. En refusant de prendre en considération les péripéties ultérieures, comme la demande d’un entretien ou la discussion sur d’éventuelles aides, le juge administratif réaffirme que la naissance du différend est un fait juridique objectif, indépendant de la perception qu’en a le cocontractant ou des espoirs de règlement amiable qu’il peut encore nourrir.

Cette application stricte des stipulations contractuelles, si elle garantit la prévisibilité des procédures, n’est pas sans conséquence pour le cocontractant de l’administration.

II. La rigueur procédurale, une garantie de la sécurité juridique au détriment du fond du droit

La solution retenue par la Cour administrative d’appel, en consacrant une interprétation stricte du délai de réclamation, illustre la primauté de la sécurité juridique dans les relations contractuelles (A), quitte à fermer la voie à tout examen de la prétention sur le fond (B).

A. L’exigence de stabilité des relations contractuelles

L’instauration d’un délai de forclusion pour la présentation d’un mémoire en réclamation répond à un impératif de sécurité juridique. Cette règle vise à purger rapidement les litiges nés de l’exécution d’un marché public afin que l’acheteur ne reste pas exposé indéfiniment à des réclamations financières. En obligeant le titulaire à agir avec diligence dès l’apparition d’un désaccord formalisé, le droit des contrats administratifs cherche à assurer la stabilité des situations juridiques et la bonne gestion des deniers publics. Un différend qui n’est pas contesté dans le délai imparti est réputé réglé, ce qui permet à la personne publique de clore définitivement ses comptes.

Dans cet arrêt, la Cour fait une application orthodoxe de ce principe. En refusant de considérer les échanges postérieurs à la première lettre de refus comme ayant pu reporter le point de départ du délai, elle envoie un signal clair aux opérateurs économiques : la négociation amiable a ses limites et ne doit pas être un prétexte pour ignorer les échéances procédurales. La survie d’un espoir de règlement amiable ne suspend pas le cours du délai de forclusion. Cette rigueur, bien que sévère, est la contrepartie d’un système qui entend encadrer fermement le contentieux contractuel pour éviter qu’il ne s’éternise.

B. La portée limitée du contrôle juridictionnel face à la forclusion

La conséquence la plus directe de cette approche est l’irrecevabilité de la requête, qui empêche le juge de se prononcer sur le bien-fondé des prétentions du requérant. L’arrêt est particulièrement révélateur à cet égard, puisque la Cour précise qu’il n’est « pas besoin de se prononcer sur l’autre moyen de la requête, au demeurant inopérant ». Ce moyen, tiré de l’égalité de traitement entre les différentes directions de la collectivité, portait sur le cœur même du litige : le droit de l’association à être indemnisée. En le qualifiant d’inopérant, la Cour souligne que l’irrecevabilité constitue un obstacle dirimant qui rend stérile toute discussion sur le fond.

Cette solution illustre le caractère implacable des fins de non-recevoir en contentieux administratif. Le respect des règles de procédure n’est pas une simple formalité mais une condition de l’accès au juge. Pour le cocontractant de l’administration, la leçon est rude : une erreur dans l’appréciation du point de départ d’un délai peut anéantir ses chances d’obtenir satisfaction, quand bien même sa demande serait légitime sur le fond. La décision rappelle ainsi que la vigilance procédurale est aussi cruciale que la solidité de l’argumentation juridique substantielle dans le cadre des marchés publics.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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