Cour d’appel administrative de Paris, le 30 mai 2025, n°24PA03424

Une ressortissante de nationalité algérienne, entrée sur le territoire français en 2014, a sollicité en 2022 la délivrance d’un titre de séjour en qualité de salariée. Le préfet de police a rejeté sa demande par un arrêté du 21 novembre 2023, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. La requérante a saisi le tribunal administratif de Paris, qui, par un jugement du 10 avril 2024, a rejeté son recours. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’arrêté préfectoral était entaché d’un défaut de motivation, d’un défaut d’examen de sa situation, ainsi que de plusieurs erreurs de droit et d’appréciation, et qu’il portait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le préfet de police a conclu au rejet de la requête. La cour administrative d’appel de Paris était ainsi amenée à se prononcer sur la légalité de ce refus de titre de séjour. Plus précisément, la question de droit soulevée par cet arrêt consistait à déterminer si le juge administratif pouvait, pour valider une décision de refus de titre de séjour opposée à une ressortissante algérienne et fondée à tort sur une disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, substituer à cette base légale erronée le pouvoir discrétionnaire de régularisation dont dispose le préfet en vertu de l’accord franco-algérien. Dans sa décision du 30 mai 2025, la cour administrative d’appel de Paris répond par l’affirmative. Elle juge que si l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne s’applique pas aux ressortissants algériens, il y a lieu de lui substituer le pouvoir de régularisation du préfet, dès lors que l’administration dispose du même pouvoir d’appréciation et que l’intéressée n’est privée d’aucune garantie. Contrôlant ensuite l’usage fait de ce pouvoir, la Cour estime que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant de régulariser la situation de la requérante.

L’intérêt de cette décision réside dans l’illustration du pragmatisme du juge administratif qui, par la mise en œuvre de son office, vient corriger une erreur de droit de l’administration pour se concentrer sur l’examen au fond de la situation de l’administrée. Ainsi, la Cour procède à la validation de la décision préfectorale par une substitution de base légale (I), ce qui la conduit à exercer un contrôle restreint sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration (II).

I. La validation de la décision administrative par la substitution de base légale

La Cour rappelle d’abord le caractère exclusif de l’accord franco-algérien pour ensuite mettre en œuvre son pouvoir de substitution de base légale afin de corriger l’erreur de droit commise par le préfet.

A. La réaffirmation de l’application exclusive de l’accord franco-algérien

L’arrêt énonce clairement que la situation des ressortissants algériens est régie de manière exclusive par les stipulations de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par conséquent, les dispositions du régime général du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne leur sont pas applicables, sauf si l’accord y renvoie expressément. La Cour juge ainsi que « L’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit qu’une carte de séjour temporaire peut être délivrée à l’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir, ne s’applique pas aux ressortissants algériens ». Cette affirmation confirme une jurisprudence constante qui établit la primauté et l’exclusivité de cet accord international sur le droit commun des étrangers pour les personnes concernées.

En fondant son refus sur l’article L. 435-1 du code précité, le préfet a donc commis une erreur de droit. En principe, une telle erreur devrait conduire à l’annulation de sa décision. Toutefois, le juge administratif dispose de prérogatives lui permettant, dans certaines conditions, de neutraliser les conséquences d’une telle illégalité.

B. La mise en œuvre du pouvoir de substitution de base légale

L’arrêt met en application la technique de la substitution de base légale, qui permet au juge de l’excès de pouvoir de valider une décision administrative en remplaçant le fondement juridique erroné initialement retenu par l’administration par un autre qui justifie légalement la même décision. La Cour rappelle les conditions de cette substitution : elle est possible « sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée » et à condition que l’administration ait agi dans le cadre du même pouvoir d’appréciation.

En l’espèce, la Cour constate que si l’accord franco-algérien ne contient pas de disposition équivalente à l’admission exceptionnelle au séjour, il est admis que le préfet dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour régulariser un ressortissant algérien ne remplissant pas toutes les conditions de délivrance de plein droit d’un titre. Elle en déduit qu’« il y a lieu de substituer à la base légale erronée du refus de titre au séjour en litige […] celle tirée du pouvoir dont dispose le préfet de police de régulariser ou non la situation d’un étranger dès lors que l’administration dispose du même pouvoir d’appréciation et que cette substitution de base légale n’a pour effet de priver l’intéressée d’aucune garantie ». Cette manœuvre procédurale, relevée d’office par le juge, illustre la volonté de ne pas censurer une décision pour un simple motif de forme lorsque son contenu aurait pu être identique sur un fondement correct.

II. Le contrôle restreint du pouvoir discrétionnaire de l’administration

Une fois la base légale substituée, la Cour exerce son contrôle sur la décision au regard de ce nouveau fondement, à savoir le pouvoir discrétionnaire du préfet. Ce contrôle se limite à la recherche d’une erreur manifeste d’appréciation.

A. La consécration d’un pouvoir discrétionnaire de régularisation

L’arrêt reconnaît l’existence d’un pouvoir de régularisation au profit des ressortissants algériens, nonobstant le silence de l’accord de 1968 sur ce point. La Cour énonce que « le préfet peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et dispose à cette fin d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressé, l’opportunité d’une mesure de régularisation ». Cette solution jurisprudentielle comble une lacune du texte conventionnel et aligne, dans une certaine mesure, la situation de ces ressortissants sur celle des étrangers relevant du droit commun en matière de régularisation.

Il est cependant essentiel de noter qu’il s’agit d’une simple faculté pour le préfet, et non d’une obligation. L’exercice de ce pouvoir relève de sa seule appréciation, ce qui explique la nature limitée du contrôle juridictionnel qui s’y attache.

B. L’exercice du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

Le juge administratif ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet. Il se borne à vérifier que la décision de ce dernier n’est pas entachée d’une erreur manifeste. Ce contrôle restreint conduit le juge à ne sanctionner que les décisions qui sont manifestement excessives ou inadaptées au regard des faits de l’espèce.

Dans cette affaire, la Cour examine concrètement la situation personnelle de la requérante : sa présence en France depuis dix ans, son travail en tant qu’aide-ménagère depuis cinq ans et demi, son rôle de soutien auprès de son fils étudiant. Malgré des éléments jugés « méritoires », notamment son comportement durant la crise sanitaire, la Cour conclut que « les éléments qui précèdent, à les supposer même établis, ne suffisent pas à démontrer que le préfet aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation ». De même, l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’intéressée n’a pas été jugée disproportionnée au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce faisant, la Cour confirme la large marge d’appréciation laissée à l’administration en matière de régularisation des étrangers.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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