Cour d’appel administrative de Paris, le 31 décembre 2024, n°22PA05264

Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté la requête d’un agent public qui contestait le refus implicite de l’administration de lui accorder la protection fonctionnelle. Cette décision illustre l’interprétation stricte des conditions de mise en œuvre de cette protection, notamment l’exigence d’un lien direct entre les attaques subies par un agent et l’exercice de ses fonctions.

En l’espèce, un agent public s’estimait victime d’agissements de la part de son ancienne compagne, qu’il liait à ses fonctions. Il avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès de son administration de tutelle. Face au silence gardé par cette dernière, valant décision implicite de rejet, l’agent a saisi le tribunal administratif de Paris. Il demandait l’annulation de ce refus, l’octroi de la protection, ainsi que la condamnation de l’État à l’indemniser pour divers préjudices, notamment ceux liés à une diminution de son complément indemnitaire annuel qu’il qualifiait de sanction déguisée. Par un jugement du 21 octobre 2022, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris, réitérant ses prétentions et soutenant que les premiers juges avaient commis une erreur d’appréciation en considérant que les agissements subis étaient dépourvus de lien avec le service. Le ministre compétent a conclu au rejet de la requête, estimant les moyens soulevés non fondés.

Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si les agissements subis par un agent public, bien qu’émanant de sa sphère privée, pouvaient ouvrir droit à la protection fonctionnelle au motif qu’ils seraient liés à ses fonctions. De plus, la Cour devait se prononcer sur le caractère fautif du refus de protection et sur l’existence d’éventuelles mesures vexatoires ou d’une sanction déguisée.

À cette question, la Cour administrative d’appel de Paris répond par la négative en rejetant la requête de l’agent. Pour ce faire, elle choisit de ne pas développer de motivation propre et se contente de statuer « par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris ». Elle juge ainsi que les premiers juges ont correctement apprécié les faits et appliqué la règle de droit, et que leurs motifs suffisent à fonder le rejet de l’appel.

Si la solution est lapidaire dans sa forme en ce qu’elle valide le jugement de première instance (I), elle confirme néanmoins une conception stricte des conditions d’octroi de la protection fonctionnelle (II).

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I. La confirmation par adoption de motifs du rejet de la demande

La Cour administrative d’appel de Paris fait le choix d’une motivation minimale en se référant entièrement à celle des premiers juges (A), une technique qui, bien que procéduralement admise, confère à l’arrêt une portée essentiellement d’espèce (B).

A. Une motivation par référence, expression d’une continuité jurisprudentielle

En matière de contentieux administratif, l’appel a un effet dévolutif qui impose au juge de réexaminer l’ensemble du litige en fait et en droit. Toutefois, lorsque le juge d’appel estime que la solution apportée par le tribunal administratif est exempte de toute critique et que les arguments développés en appel ne sont pas de nature à remettre en cause cette première analyse, il peut confirmer le jugement par l’adoption de ses motifs. C’est la voie qu’emprunte ici la Cour en déclarant qu’« il y a lieu de rejeter sa requête par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris ».

Cette méthode présente l’avantage de la célérité et de l’économie des moyens rédactionnels. Elle signifie que la Cour fait siens, sans les reformuler, le raisonnement et l’analyse des faits auxquels se sont livrés les premiers juges. En l’espèce, cela implique que la Cour considère, tout comme le tribunal, que les agissements subis par le requérant ne présentaient pas un lien suffisant avec ses fonctions pour justifier l’octroi de la protection prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. En validant ainsi la décision de première instance, la Cour administrative d’appel ancre sa propre décision dans la continuité de l’appréciation portée par les premiers juges, signifiant par là même la solidité du jugement attaqué.

B. La portée limitée d’un arrêt confirmatif d’espèce

Bien que cette technique de motivation par référence soit efficace, elle limite considérablement la portée pédagogique et normative de l’arrêt d’appel. En l’absence d’une motivation propre, la décision ne fournit aucun éclairage nouveau sur l’interprétation du droit de la fonction publique. Elle ne permet pas de comprendre les raisons profondes du rejet sans se reporter intégralement au jugement de première instance, lequel n’est pas reproduit. La solution se trouve ainsi privée d’autonomie et sa lecture isolée n’apporte que peu d’enseignements.

L’arrêt revêt alors le caractère d’une décision d’espèce, sa solution étant étroitement dépendante des circonstances factuelles de l’affaire, telles qu’appréciées par les premiers juges. La Cour ne dégage aucun principe général ni ne précise l’état du droit sur la question de la frontière entre vie privée et service dans le cadre de la protection fonctionnelle. Elle se contente d’exercer son office de juge du fond en validant une appréciation souveraine des faits. Cette retenue, si elle est compréhensible au regard de la charge des cours administratives d’appel, laisse le juriste sur sa faim quant à l’analyse que la Cour aurait pu développer.

Toutefois, en validant le raisonnement des premiers juges, la Cour administrative d’appel entérine nécessairement leur appréciation des conditions d’octroi de la protection due aux agents publics, ce qui révèle une conception restrictive du lien avec le service.

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II. La conception restrictive du lien avec le service comme condition de la protection fonctionnelle

En confirmant le jugement de première instance, la Cour souscrit à une application rigoureuse de la condition de lien avec le service (A), ce qui entraîne logiquement le rejet en cascade des demandes indemnitaires accessoires (B).

A. L’exigence d’un lien direct et certain entre les attaques et les fonctions

La protection fonctionnelle, due par l’administration à ses agents, vise à les garantir contre les attaques qu’ils subissent dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. La jurisprudence administrative a constamment rappelé que cette protection n’est pas un droit inconditionnel. L’agent qui la sollicite doit établir l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre les agissements dont il est victime et ses fonctions. Les simples allégations ne sauraient suffire.

En l’espèce, bien que le texte de l’arrêt ne détaille pas les faits, le rejet de la demande de l’agent par le tribunal, confirmé en appel, signifie que ce lien n’a pas été considéré comme établi. Les agissements, provenant de l’ex-compagne du requérant, ont vraisemblablement été analysés par les juges du fond comme relevant exclusivement de la sphère privée et personnelle, sans rapport avec le statut ou les missions professionnelles de l’agent. La décision implicite du ministre de refuser la protection a donc été jugée légale, l’administration n’étant pas tenue de protéger ses agents contre des différends d’ordre privé, même si ceux-ci ont des répercussions sur leur vie professionnelle. Cet arrêt rappelle ainsi que le juge administratif exerce un contrôle rigoureux sur cette condition, refusant d’étendre le champ de la protection fonctionnelle à des situations qui ne sont pas directement et indissociablement liées au service.

B. Le rejet conséquent des demandes indemnitaires et des allégations de sanction déguisée

La solution adoptée par la Cour sur la question de la protection fonctionnelle scelle le sort des autres prétentions du requérant. En effet, dès lors que le refus de protection n’est pas jugé fautif, la responsabilité de l’État pour ce motif ne peut être engagée. L’agent ne peut donc obtenir réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait de l’absence de soutien de son administration, puisque celle-ci n’était pas légalement tenue de le lui apporter.

De même, l’allégation selon laquelle la diminution de son complément indemnitaire annuel constituerait une sanction déguisée est écartée. Pour qu’une telle qualification soit retenue, il aurait fallu démontrer que la mesure était en réalité une réponse punitive aux événements pour lesquels la protection était demandée. Le rejet de l’existence d’un lien avec le service prive ce moyen de son fondement. La modulation du régime indemnitaire, qui relève en partie du pouvoir discrétionnaire de l’administration pour apprécier la manière de servir, ne peut être requalifiée en sanction que si un détournement de pouvoir est prouvé. En l’absence de lien établi avec les attaques subies, la Cour confirme que la mesure relevait de la gestion administrative normale et non d’une démarche punitive illégale.

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Hassan KOHEN
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