Cour d’appel administrative de Paris, le 31 décembre 2024, n°23PA00592

Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, la cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle à une agente de l’État mise à disposition d’une collectivité d’outre-mer. Cette décision apporte un éclairage substantiel sur la détermination de l’autorité compétente pour statuer sur une telle demande lorsque l’agent met en cause sa hiérarchie d’accueil après avoir signalé des irrégularités.

En l’espèce, une attachée principale d’administration de l’État, mise à disposition du gouvernement de la Polynésie française, avait signalé diverses anomalies comptables au sein de son établissement d’affectation. Peu de temps après ce signalement, l’administration d’accueil a mis fin de manière anticipée à sa mise à disposition. L’agente a alors sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès de son administration d’origine, le ministère de l’Éducation nationale, qui a opposé un refus implicite à sa demande. Saisi en première instance, le Tribunal administratif de Polynésie française a annulé la décision mettant fin à la mise à disposition, mais a rejeté les conclusions dirigées contre le refus de protection. L’agente a interjeté appel de ce jugement sur ce dernier point, soutenant que l’administration d’origine était bien compétente en raison du conflit d’intérêts manifeste dans lequel se trouvait l’administration d’accueil.

Il revenait donc à la juridiction d’appel de déterminer si l’administration d’origine d’une agente mise à disposition demeure compétente pour statuer sur une demande de protection fonctionnelle lorsque celle-ci est motivée par des agissements imputés à l’administration d’accueil, et, dans l’affirmative, d’apprécier le bien-fondé d’un tel refus. La cour administrative d’appel censure le raisonnement des premiers juges, reconnaissant la compétence de l’État en raison des circonstances particulières de l’affaire. Elle juge ensuite que le refus de protection était entaché d’une erreur d’appréciation, les mesures prises contre l’agente constituant des représailles à son signalement. La solution retenue, remarquable par sa clarté, consacre une solution pragmatique à une situation de conflit d’intérêts, tout en réaffirmant avec force le droit à la protection des agents publics agissant en qualité de lanceurs d’alerte.

I. La résolution pragmatique du conflit d’intérêts en matière de protection fonctionnelle

La cour administrative d’appel clarifie l’articulation des compétences entre l’administration d’origine et l’administration d’accueil en matière de protection fonctionnelle. Elle rappelle d’abord la règle de principe confiant cette compétence à l’employeur direct, avant de la neutraliser au nom d’un principe supérieur d’impartialité.

A. Le rappel du principe de compétence de l’administration d’emploi

La détermination de l’autorité débitrice de l’obligation de protection constitue une question préalable essentielle. En vertu des dispositions de l’article L. 134-1 du code général de la fonction publique, « l’agent public (…) bénéficie (…) d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ». Dans le cadre d’une mise à disposition, l’agent est placé sous l’autorité fonctionnelle de l’administration d’accueil, laquelle exerce le rôle d’employeur au quotidien. C’est donc logiquement à elle que devrait incomber la charge de la protection.

Cette interprétation justifiait la position du ministre de l’Éducation nationale, qui s’estimait en situation de compétence liée pour rejeter la demande. Pour l’administration d’origine, seule l’administration d’accueil polynésienne pouvait examiner la requête, quand bien même les faits dénoncés émanaient de cette dernière. Le tribunal administratif avait d’ailleurs suivi ce raisonnement en jugeant inopérants les moyens soulevés par la requérante contre le refus ministériel. Toutefois, une application aussi rigide de ce principe peut conduire à des situations de blocage préjudiciables aux droits de l’agent.

B. La neutralisation du principe au nom de l’impartialité

La cour administrative d’appel opère un revirement en introduisant une exception de bon sens, fondée sur le principe d’impartialité. Elle juge que l’administration d’accueil, directement mise en cause par la demande de protection, ne pouvait légalement statuer sur celle-ci. Le juge s’appuie sur une jurisprudence établie selon laquelle une autorité ne peut être juge et partie. Il est en effet constant qu’un « supérieur hiérarchique mis en cause (…) ne peut régulièrement (…) statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné ».

L’arrêt étend cette logique à l’ensemble de l’administration d’accueil, dès lors que la demande de l’agente visait des « actes, précisément caractérisés, émanant exclusivement de sa hiérarchie directe au sein de son établissement d’affectation ainsi qu’au sein de l’administration de la Polynésie française ». Face à ce conflit d’intérêts structurel, la cour considère que, dans ces « circonstances particulières », la compétence pour statuer sur la demande de protection revenait à l’administration d’origine, gestionnaire de la carrière de l’agente. Cette solution subsidiaire garantit l’existence d’une voie de recours effective pour l’agent public et préserve l’effectivité du droit à la protection.

II. L’affirmation renforcée de la protection due au lanceur d’alerte

Une fois la question de la compétence tranchée, la cour examine le fond du droit et conclut que le refus de protection était illégal. Elle procède à une qualification rigoureuse des faits en tant que mesures de rétorsion, ce qui la conduit à prononcer une injonction dont la portée est particulièrement significative.

A. La qualification des mesures de rétorsion justifiant la protection

Le bénéfice de la protection fonctionnelle est un droit pour l’agent qui fait l’objet d’attaques dans le cadre de ses fonctions, à condition que celles-ci soient établies. En l’espèce, la cour relève que les mesures défavorables subies par l’agente, notamment un rapport négatif et la fin anticipée de sa mise à disposition, sont survenues dans un délai très bref après qu’elle eut signalé de graves irrégularités. Le juge établit un lien de causalité direct et incontestable entre le signalement et les sanctions déguisées.

Pour étayer son analyse, la cour s’appuie explicitement sur une décision de la Défenseure des droits qui avait qualifié la mesure de fin de mise à disposition de « constitutive de représailles à la suite des signalements opérés par Mme B… ». La juridiction administrative fait sienne cette appréciation et constate que les griefs professionnels formulés à l’encontre de l’agente n’étaient, en réalité, pas de nature à justifier une telle décision. La bonne foi de l’agente et la réalité des représailles étant établies, le refus de lui accorder la protection constituait une erreur manifeste d’appréciation.

B. La portée de la solution : une injonction de protection à la portée significative

L’apport de la décision réside également dans ses conséquences pratiques. La cour ne se contente pas d’annuler la décision de refus, ce qui aurait simplement obligé l’administration à réexaminer la demande. Elle va plus loin en usant de son pouvoir d’injonction pour ordonner directement au ministre d’accorder la protection. Selon l’arrêt, « l’exécution du présent arrêt implique nécessairement que le ministre de l’éducation nationale (…) octroie à Mme B… le bénéfice de la protection fonctionnelle ».

Cette injonction révèle que, pour le juge, l’administration ne disposait d’aucune marge d’appréciation et se trouvait en compétence liée pour accorder la protection. Cette issue confère une portée considérable à la décision, car elle assure une réparation pleine et entière à l’agente, tout en envoyant un signal fort aux administrations. Elle décourage toute manœuvre dilatoire et consacre le caractère quasi automatique du droit à la protection pour un agent public de bonne foi, victime de représailles après avoir lancé une alerte dans l’intérêt du service.

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Hassan KOHEN
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