Cour d’appel administrative de Paris, le 31 décembre 2024, n°23PA02722

Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé les conditions d’octroi des avantages financiers et statutaires à un fonctionnaire mis à disposition d’une agence de l’Union européenne. En l’espèce, un capitaine de police avait été mis à disposition de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, pour une durée de deux ans à Varsovie. L’arrêté ministériel formalisant cette mise à disposition ne mentionnait pas le bénéfice de certaines indemnités liées à l’expatriation ni la prise en compte de cette période pour une bonification de retraite. L’agent a donc formé un recours administratif contre cette décision, lequel a été implicitement rejeté.

Saisi du litige, le Tribunal administratif de Paris a rejeté l’ensemble des prétentions du requérant par un jugement du 20 avril 2023. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le refus de lui octroyer l’indemnité de résidence à l’étranger, l’indemnité de changement de résidence, le supplément familial et la bonification pour la liquidation de sa pension de retraite était illégal. Il invoquait à ce titre une méconnaissance de plusieurs décrets relatifs à la rémunération des agents de l’État en service à l’étranger, ainsi qu’une violation du droit de propriété et du principe d’égalité. L’administration, pour sa part, concluait au rejet de la requête, considérant que les avantages perçus de l’agence européenne faisaient obstacle au versement des indemnités nationales et que les conditions d’octroi de la bonification de retraite n’étaient pas remplies.

Il revenait donc à la Cour administrative d’appel de déterminer si la mise à disposition d’un fonctionnaire auprès d’une agence de l’Union européenne fait obstacle au versement par son administration d’origine des indemnités liées à une affectation à l’étranger et dans quelle mesure les fonctions exercées au cours d’une telle mise à disposition peuvent être assimilées à des services actifs ouvrant droit à une bonification pour la retraite.

À cette double interrogation, la Cour apporte une réponse nuancée. Elle juge que si les indemnités de résidence et de changement de résidence ne sont pas dues dès lors que l’agence européenne verse des prestations de même nature, le supplément familial doit en revanche être examiné, car aucune indemnité équivalente n’est prévue par l’organisme d’accueil. Elle rejette cependant la demande relative à la bonification de retraite, faute pour l’agent d’établir que ses missions étaient analogues à celles d’un fonctionnaire actif de police. Par cette décision, la juridiction d’appel opère une distinction fine entre les différents types d’avantages sollicités, conditionnant leur octroi à une analyse au cas par cas de la couverture déjà assurée par l’organisme d’accueil, tout en rappelant les exigences probatoires pesant sur l’agent pour les bénéfices liés à son statut.

I. La conciliation délicate des régimes de rémunération lors d’une mise à disposition européenne

La Cour administrative d’appel se livre à une analyse détaillée des droits à rémunération de l’agent, en distinguant rigoureusement les indemnités destinées à compenser les frais de séjour à l’étranger de celles liées à la situation familiale. Ce faisant, elle refuse une approche globale et impose à l’administration un examen différencié qui aboutit d’une part au rejet justifié du cumul des indemnités de résidence (A), et d’autre part à l’affirmation du droit au supplément familial en l’absence de prestation équivalente de la part de l’agence européenne (B).

A. Le refus justifié du cumul des indemnités de résidence et de changement de résidence

L’arrêt écarte la demande du requérant relative aux indemnités de résidence et de changement de résidence en se fondant sur une application pragmatique des textes régissant la rémunération des agents publics à l’étranger. La Cour rappelle en effet que le décret du 28 mars 1967 prévoit expressément que lorsqu’un agent perçoit une rétribution d’un organisme situé à l’étranger, ses émoluments peuvent être réduits pour en tenir compte. En l’espèce, il était constant que l’Agence Frontex versait à l’agent détaché diverses indemnités visant à couvrir les frais inhérents à son affectation en Pologne, notamment les frais d’hébergement et de transport.

Face à cette situation, la Cour considère qu’il appartenait à l’agent de démontrer que les sommes versées par Frontex n’étaient pas assimilables aux indemnités prévues par la réglementation française ou que leur montant était inférieur à ce qu’il aurait perçu de l’administration française. Le juge souligne que le requérant « n’apporte pas plus en appel qu’en première instance d’éléments de nature à établir que l’Agence Frontex n’aurait pas prévu de lui verser ces indemnités, ni, dans le cas contraire, que celles-ci ne seraient pas assimilables aux indemnités de résidence à l’étranger et de changement de résidence à l’étranger ». Cette position place la charge de la preuve sur le fonctionnaire, ce qui est logique dans la mesure où lui seul est en position de fournir les éléments précis sur les sommes perçues de l’organisme d’accueil. La solution a le mérite d’éviter un double dédommagement pour un même objet, prévenant ainsi un enrichissement sans cause de l’agent, tout en préservant son droit à une juste compensation des frais liés à son expatriation si la couverture par l’agence s’avérait insuffisante.

B. L’affirmation du droit au supplément familial en l’absence de prestation équivalente

À l’inverse de la solution retenue pour les indemnités de résidence, la Cour administrative d’appel annule la décision du ministre en tant qu’elle refuse d’examiner le droit du requérant au supplément familial. Pour ce faire, elle procède à une analyse fine et concrète des avantages offerts par l’Agence Frontex, en scrutant si un équivalent du supplément familial français y figure. Le juge constate alors que les règles de l’agence européenne, si elles prévoient bien la prise en charge de certains frais, ne comportent aucune prestation de même nature ou de même objet.

La Cour en déduit que l’administration ne pouvait légalement refuser le bénéfice du supplément familial au seul motif, général, que les indemnités versées par l’agence n’étaient pas cumulables avec cet avantage. Le raisonnement suivi est ici différent : l’absence de prestation équivalente au sein de l’organisme d’accueil interdit à l’administration d’origine de se décharger de son obligation. La Cour censure donc le refus implicite et enjoint au ministre de réexaminer la situation de l’agent sur ce point précis. Cette annulation partielle illustre la volonté du juge de ne pas pénaliser la mobilité européenne des fonctionnaires en les privant d’un avantage social essentiel non compensé par leur employeur temporaire. Elle témoigne d’une approche protectrice des droits des agents, forçant l’administration à une vérification minutieuse plutôt qu’à un rejet de principe.

Si la Cour opère une distinction minutieuse pour les émoluments financiers, elle adopte une lecture plus rigoureuse s’agissant des avantages directement liés au statut de l’agent, en particulier pour la bonification de retraite et le principe d’égalité.

II. L’interprétation stricte des avantages statutaires et du principe d’égalité

Au-delà des questions purement financières, le litige portait sur des droits liés au statut de policier du requérant. Sur ce terrain, l’arrêt applique une lecture restrictive des conditions d’octroi des avantages, rattachant fermement la bonification de retraite à la nature effective des missions exercées (A) et écartant avec la même rigueur l’invocation du principe d’égalité avec des agents relevant de statuts distincts (B).

A. Le rattachement de la bonification de retraite à la nature effective des missions exercées

Le requérant sollicitait la confirmation que son temps de service auprès de Frontex serait pris en compte pour le calcul de la bonification spéciale de retraite, dite « du cinquième », prévue par la loi du 8 avril 1957 pour les personnels actifs de police. La Cour rejette cette prétention en rappelant une jurisprudence bien établie : le bénéfice de cet avantage n’est pas automatique pour un fonctionnaire en mise à disposition. Il est subordonné à la démonstration que les fonctions exercées au sein de l’organisme d’accueil sont « analogues, par leur nature et les sujétions qu’elles emportent, à celles qu’exercent les fonctionnaires actifs de police ».

Le juge constate qu’en l’espèce, le requérant n’allègue même pas que ses fonctions de « border guard officer » à Varsovie seraient assimilables à des missions de police active au sens du code de la sécurité intérieure. Par conséquent, la simple absence de mention de cet avantage dans l’arrêté de mise à disposition ne saurait être interprétée comme un refus illégal. La Cour souligne ainsi que le droit à cette bonification n’est pas attaché au corps d’origine mais à la réalité des fonctions. Cette solution préserve la spécificité de cet avantage, conçu comme une contrepartie à la pénibilité et aux risques particuliers du service actif, et refuse de l’étendre à des fonctions qui, bien que réalisées dans un cadre sécuritaire européen, ne présentent pas nécessairement les mêmes caractéristiques. La charge de la preuve, une fois encore, repose entièrement sur l’agent.

B. Le rejet de l’application du principe d’égalité entre agents relevant de statuts distincts

Enfin, le requérant tentait d’invoquer une rupture d’égalité de traitement en se comparant à des gendarmes qui, dans une situation de détachement similaire auprès de Frontex, auraient continué de percevoir leurs indemnités de résidence de l’État français. La Cour écarte ce moyen avec une grande fermeté, en rappelant les fondements du principe d’égalité en droit de la fonction publique. Elle souligne que ce principe ne s’oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de façon différente.

Or, en l’espèce, la comparaison n’était pas pertinente. Le requérant, fonctionnaire civil de la police nationale, et les gendarmes, militaires, relèvent de statuts et de régimes indemnitaires distincts. La Cour relève que « les indemnités (…) résultent de dispositions distinctes et propres aux statuts et sujétions respectifs des militaires et des fonctionnaires civils ». La différence de traitement observée trouve donc sa justification dans une différence de situation juridique objective. Cette application orthodoxe du principe d’égalité confirme que la comparaison entre agents publics n’est opérante qu’entre ceux placés dans une situation identique au regard de la norme contestée. En refusant d’étendre le régime applicable aux militaires au requérant, la Cour réaffirme l’étanchéité des statuts au sein de la fonction publique.

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Hassan KOHEN
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