Cour d’appel administrative de Paris, le 31 décembre 2024, n°23PA03071

Un agent contractuel d’une commune de Nouvelle-Calédonie, employé depuis 2016, a été nommé régisseur par intérim en juillet 2021. Ayant constaté des détournements de fonds commis par son prédécesseur, il a signalé ces faits au procureur de la République le 1er avril 2022. Par la suite, le 29 mai 2022, il a également contacté une association et un organe de presse pour dénoncer une prétendue inaction délibérée de la municipalité dans cette affaire. Le 12 août 2022, le maire de la commune a mis fin à son contrat à durée indéterminée, sans préavis ni indemnité, pour faute. L’agent a saisi le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie afin d’obtenir l’annulation de cette décision et réparation de ses préjudices. Par un jugement du 11 mai 2023, le tribunal a rejeté sa demande. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment qu’il n’avait commis aucune faute, qu’il devait bénéficier de la protection des lanceurs d’alerte et que la sanction était disproportionnée. Se posait alors à la cour administrative d’appel la double question de savoir si la dénonciation publique, par un agent, d’une prétendue carence de son employeur, alors que des poursuites judiciaires étaient déjà engagées, constituait une faute disciplinaire, et, dans l’affirmative, si la résiliation du contrat sans préavis ni indemnité représentait une sanction proportionnée. Dans sa décision du 31 décembre 2024, la cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative à ces deux questions, jugeant que la dénonciation avait été effectuée de mauvaise foi, ce qui constituait une faute justifiant la sanction prononcée.

I. La caractérisation d’une faute disciplinaire par la distinction des dénonciations

La cour administrative d’appel opère une distinction fondamentale entre le signalement initial fait aux autorités judiciaires, qui relève d’une obligation légale, et la dénonciation publique ultérieure, qu’elle qualifie de fautive en raison de la mauvaise foi de l’agent.

A. L’exercice légitime du devoir de signalement

En vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en informer sans délai le procureur de la République. L’agent contractuel, en signalant les détournements de fonds de son prédécesseur, n’a fait que se conformer à cette obligation. La cour prend soin de souligner que cette démarche n’est pas à l’origine de la sanction. Elle énonce clairement que « la sanction prononcée à l’égard de [l’agent] n’a pas pour motif le fait qu’il ait, comme lui en fait obligation de l’article 40 du code de procédure pénale, dénoncé les détournements de fonds public dont s’est rendu coupable son prédécesseur ». Cette précision est essentielle, car elle écarte d’emblée l’idée que l’employeur public aurait sanctionné l’accomplissement d’un devoir légal. Le juge administratif circonscrit ainsi précisément le fait générateur de la sanction, non pas au signalement lui-même, mais aux modalités et au contexte de la dénonciation publique qui a suivi.

B. La dénonciation publique constitutive d’un manquement à l’obligation de loyauté

C’est la seconde phase des agissements de l’agent que la cour estime fautive. Le juge retient que la dénonciation faite auprès d’une association et d’un média, alléguant une inaction délibérée de la commune, a été faite de mauvaise foi. Pour parvenir à cette conclusion, la cour s’appuie sur un élément factuel déterminant : l’agent avait été informé par le procureur lui-même, dès le 14 avril 2022, qu’une procédure pénale était bien engagée. Par conséquent, en affirmant le contraire plus d’un mois après, l’agent ne pouvait ignorer que son accusation était infondée. La cour considère que cette connaissance rend la dénonciation malveillante. Elle juge que cette circonstance est décisive et « sans incidence sur le caractère de mauvaise foi de sa dénonciation, auprès de l’association (…) ainsi qu’auprès d’un organe de presse, d’une supposée carence délibérée de la commune à faire sanctionner ce détournement de fonds ». En agissant de la sorte, l’agent a manqué à son obligation de loyauté envers son employeur, en portant publiquement des accusations graves qu’il savait inexactes et qui étaient de nature à nuire à l’image et à la réputation de l’administration.

II. Les conséquences de la faute : l’exclusion du régime protecteur et la validation de la sanction

La reconnaissance de la mauvaise foi de l’agent emporte deux conséquences majeures : d’une part, elle le prive de la protection accordée aux lanceurs d’alerte et, d’autre part, elle justifie aux yeux du juge la sévérité de la sanction prononcée.

A. Le rejet de la qualification de lanceur d’alerte

La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique définit le lanceur d’alerte comme une personne qui révèle ou signale des faits graves « de manière désintéressée et de bonne foi ». Ces deux conditions sont cumulatives. En l’espèce, la cour estime que la condition de bonne foi fait défaut. Le fait que l’agent ait sciemment diffusé une information qu’il savait fausse suffit à écarter cette protection. La décision est sans équivoque lorsqu’elle conclut que, dans ces circonstances, l’agent « n’est pas fondé à revendiquer la protection due aux agents en situation de lanceur d’alerte ». Cet arrêt illustre l’interprétation stricte des critères légaux par le juge administratif. La protection n’est pas absolue ; elle est conditionnée par une attitude loyale et sincère de l’agent. Le statut de lanceur d’alerte ne saurait servir de bouclier pour justifier des dénonciations calomnieuses ou malveillantes, même si elles s’inscrivent dans le prolongement d’un signalement initialement légitime.

B. L’appréciation de la proportionnalité de la sanction maximale

Le contrôle du juge de l’excès de pouvoir s’étend à la proportionnalité de la sanction disciplinaire par rapport à la gravité de la faute commise. En l’espèce, la sanction était la plus sévère prévue par la réglementation applicable : la résiliation du contrat sans préavis ni indemnité. Pour la valider, la cour évalue l’impact concret des agissements de l’agent. Elle relève que la dénonciation mensongère a conduit une association à saisir la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, accusant le maire et les services de la commune de graves infractions pénales. Le juge souligne ainsi la « gravité de ces faits non établis, et de leur retentissement sur l’image et le fonctionnement des services de la commune ». Face à un tel préjudice causé à l’institution, la cour estime que la sanction maximale n’est pas disproportionnée, et ce, « alors même que [l’agent] n’a fait l’objet d’aucune précédente sanction disciplinaire ». La décision confirme que le manquement à l’obligation de loyauté, lorsqu’il prend la forme d’accusations publiques graves et infondées, peut constituer une faute d’une gravité suffisante pour justifier une rupture immédiate de la relation de travail, même en l’absence d’antécédents disciplinaires.

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Hassan KOHEN
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