Cour d’appel administrative de Paris, le 31 décembre 2024, n°23PA05249

Un litige fiscal a donné l’occasion à la Cour administrative d’appel de Paris de se prononcer, par un arrêt du 31 décembre 2024, sur la qualification juridique de montres de luxe d’occasion au regard d’une taxe forfaitaire. En l’espèce, une société spécialisée dans l’achat et la revente de ces biens s’est vue notifier des rappels d’impôt par l’administration, qui considérait que ces transactions entraient dans le champ de la taxe sur les métaux précieux, les bijoux et les objets d’art. Saisi par la société contribuable, le Tribunal administratif de Paris avait prononcé la décharge de ces impositions. Sur appel du ministre, la Cour administrative d’appel de Paris avait confirmé ce jugement, mais sa décision fut annulée par le Conseil d’État, qui lui renvoya l’affaire. La procédure a mis en lumière une divergence d’interprétation fondamentale entre l’administration fiscale et le contribuable quant à la nature des objets cédés. Pour l’administration, les montres de grande valeur constituent des bijoux ou des objets de collection soumis à la taxe. Pour la société, ces biens conservent leur fonction utilitaire première et ne sauraient être qualifiés de parure. La question de droit soumise à la juridiction de renvoi était donc de déterminer si des montres-bracelets de luxe, dont la valeur est supérieure à un seuil légal, doivent être considérées comme des bijoux au sens de l’article 150 VI du code général des impôts, et ce, indépendamment de leur composition matérielle. En réponse, la Cour a jugé que de telles montres, en raison de leurs caractéristiques et de leur prestige, sont bien destinées à être portées à titre de parure et constituent, dès lors, des bijoux imposables. Par cette solution, la Cour opère une qualification extensive de la notion de bijou (I), dont la portée clarifie le régime fiscal applicable tout en soulevant des questions sur la délimitation des catégories de biens de luxe (II).

I. L’assimilation de la montre de luxe au bijou par une interprétation fonctionnelle

La Cour fonde sa décision sur une définition précise du bijou fiscal, qu’elle applique de manière extensive aux montres en litige. Elle retient ainsi les critères légaux de qualification (A) pour consacrer la prééminence de la fonction ornementale sur la fonction utilitaire (B).

A. Le rappel des critères de qualification du bijou

La juridiction d’appel s’appuie sur la définition du bijou telle qu’elle ressort des dispositions fiscales et de l’interprétation qu’en a donnée le juge de cassation. Elle énonce que les bijoux « s’entendent des objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, destinés à être portés à titre de parure, y compris lorsqu’ils ne sont pas composés de métaux précieux ». Trois conditions cumulatives se dégagent ainsi : l’objet doit être travaillé, sa préciosité peut résider dans sa facture et non seulement dans ses matériaux, et sa finalité doit être l’ornement. Ce dernier critère, celui de la destination à la parure, se révèle central dans le raisonnement du juge. En rappelant que la composition en métaux précieux est indifférente, la Cour confirme que la valeur fiscale d’un bijou ne se limite pas à sa valeur intrinsèque mais s’étend à sa valeur symbolique et esthétique, résultant du travail et du prestige qui y sont attachés.

B. La consécration de la fonction de parure de la montre de luxe

Appliquant ces critères aux faits de l’espèce, la Cour considère que les montres acquises par la société répondent à cette définition. Elle relève que les biens en cause, issus de marques prestigieuses et d’une valeur élevée, sont, « compte tenu de leurs caractéristiques, […] destinées à être portées à titre de parure ». Ce faisant, le juge administratif tranche un débat essentiel : celui de la dualité fonctionnelle de l’objet. Une montre sert à donner l’heure, mais un modèle de luxe est également un marqueur social et un accessoire de mode. La Cour fait prévaloir cette seconde fonction sur la première, considérant que l’usage ornemental l’emporte sur l’usage utilitaire. Le prix d’acquisition très élevé et le prestige des marques constituent pour le juge des indices déterminants de cette destination à la parure. La solution revient à admettre qu’un objet peut perdre sa nature première pour acquérir celle d’un bijou lorsque sa valeur et son image dépassent manifestement sa simple utilité technique.

II. La portée de la qualification : entre clarification fiscale et insécurité juridique

En qualifiant de bijoux les montres de luxe, la décision vient sécuriser le champ d’application d’une taxe forfaitaire (A), mais elle dessine également une frontière incertaine pour d’autres biens de luxe à double usage (B).

A. La sécurisation du champ d’application de la taxe forfaitaire

La solution retenue par la Cour administrative d’appel a pour effet direct de consolider l’assise de la taxe forfaitaire sur les cessions de biens précieux. En validant l’analyse de l’administration fiscale, elle met un terme à une divergence d’interprétation qui créait une incertitude pour les professionnels du marché de l’horlogerie d’occasion. La décision est d’autant plus significative qu’elle est rendue sur renvoi après cassation, ce qui signifie qu’elle s’aligne sur la doctrine du Conseil d’État et fixe une jurisprudence stable. De plus, en écartant comme inopérant le débat sur la qualification d’objet de collection, la Cour opte pour une approche pragmatique. Dès lors qu’un bien est qualifié de bijou, sa soumission à la taxe est acquise, sans qu’il soit nécessaire d’examiner s’il pourrait également appartenir à une autre catégorie de biens imposables. Cette logique simplifie le contrôle fiscal et renforce la prévisibilité de l’impôt pour des biens de nature hybride.

B. L’extension incertaine de la notion de parure à d’autres biens

Si la décision clarifie le sort des montres de luxe, elle ouvre une interrogation plus large sur la définition fiscale des biens précieux. Le critère de la « destination à la parure », interprété de manière extensive, pourrait potentiellement s’appliquer à d’autres objets de luxe qui possèdent une fonction utilitaire initiale. On peut songer à des instruments d’écriture de grande marque, à de la maroquinerie de haute couture ou à d’autres accessoires dont le prestige et le prix transcendent l’usage pratique. En faisant de la préciosité et de l’intention ornementale les pivots de la qualification de bijou, le juge crée une catégorie fonctionnelle dont les limites sont subjectives. Cette approche pragmatique risque de générer de nouveaux contentieux pour d’autres segments du marché du luxe, où les opérateurs économiques devront évaluer si leurs produits sont susceptibles de basculer dans la catégorie des parures aux yeux de l’administration fiscale. La prévisibilité gagnée pour le secteur de l’horlogerie pourrait ainsi se traduire par une insécurité juridique accrue pour d’autres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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