Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière. En l’espèce, un ressortissant mauritanien, entré sur le territoire français en 2020, a vu sa demande d’asile rejetée successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en 2022, puis par la Cour nationale du droit d’asile en 2023. Suite à ces rejets, le préfet de police a édicté à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, assorti d’une décision fixant le pays de renvoi. L’intéressé a alors saisi le Tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 20 mars 2024. Il a donc interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de cette même convention. Il convenait donc pour la Cour de déterminer si une obligation de quitter le territoire français, prise à l’encontre d’un étranger débouté du droit d’asile, méconnaissait les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme lorsque celui-ci ne parvenait pas à établir de manière probante l’intensité de son intégration en France ni la réalité des risques personnels encourus en cas de retour. La Cour administrative d’appel de Paris répond par la négative et rejette la requête, considérant que les éléments avancés par le requérant ne sont pas suffisants pour caractériser une violation des stipulations conventionnelles invoquées.
La décision de la Cour administrative d’appel s’inscrit dans une logique jurisprudentielle rigoureuse, appliquant une appréciation stricte des conditions d’intégration de l’étranger (I), tout en confirmant la portée limitée du contrôle juridictionnel sur les risques encourus dans le pays d’origine après un rejet des instances de l’asile (II).
I. L’appréciation rigoureuse de l’atteinte à la vie privée et familiale
La Cour, pour écarter le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, se fonde sur une analyse exigeante des preuves d’intégration fournies par le requérant (A), ce qui conduit à relativiser la portée des éléments d’insertion sociale et professionnelle présentés (B).
A. L’exigence d’une preuve circonstanciée de l’intégration personnelle
La Cour administrative d’appel confirme le raisonnement des premiers juges en soulignant l’insuffisance des pièces versées au dossier pour démontrer l’existence d’une vie privée et familiale stable et ancienne sur le territoire français. L’arrêt relève que le requérant, « célibataire sans enfant entré en France au plus tôt à l’âge de trente ans », ne justifie pas d’attaches d’une intensité telle que la mesure d’éloignement serait disproportionnée. Le juge administratif se livre à un examen factuel précis, écartant un à un les arguments de l’appelant. La durée de résidence de trois années est qualifiée de non établie, le lien de parenté avec une personne présentée comme un oncle n’est pas justifié, et un contrat de travail est jugé inopérant car « établi au nom d’une tierce personne ». Cette méthode d’appréciation démontre que le juge n’accorde de valeur qu’aux preuves directes, personnelles et incontestables, plaçant ainsi la charge de la preuve entièrement sur les épaules du requérant. En l’absence de tels éléments, l’atteinte portée à la vie privée et familiale est considérée comme n’excédant pas ce qui est nécessaire à la défense de l’ordre public et à la maîtrise des flux migratoires.
B. La neutralisation des indices d’une insertion sociale et professionnelle
En se concentrant sur le caractère non probant des documents fournis, la Cour minimise la volonté d’intégration que ces éléments, même imparfaits, pourraient suggérer. La tentative d’exercer une activité professionnelle, bien qu’attestée par un contrat au nom d’un tiers, n’est pas prise en compte comme un indice d’insertion. Cette approche, si elle est juridiquement fondée sur la rigueur probatoire, interroge sur la prise en considération de la situation concrète des personnes en situation irrégulière, pour qui l’obtention de preuves formelles est souvent un parcours semé d’obstacles. La décision illustre une conception stricte de l’article 8, où seuls les liens familiaux constitués et les attaches personnelles anciennes et solides sont susceptibles de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le début d’intégration sociale ou économique, non encore consolidé par un séjour régulier, apparaît insuffisant pour faire pencher la balance en faveur du maintien sur le territoire. La solution retenue confirme ainsi une jurisprudence constante qui tend à ne protéger, au titre de la vie privée, que des situations personnelles particulièrement ancrées en France.
II. Le contrôle restreint du risque en cas de retour dans le pays d’origine
S’agissant du grief fondé sur l’article 3 de la Convention, la Cour opère un contrôle qui semble délimité par les décisions antérieures des autorités de l’asile (A), ce qui se traduit par une exigence probatoire particulièrement élevée quant à la personnalisation du risque (B).
A. La portée déterminante du rejet de la demande d’asile
Pour écarter le risque de traitements inhumains et dégradants, l’arrêt s’appuie de manière significative sur le rejet antérieur de la demande d’asile par l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile. Le juge administratif rappelle que « sa demande d’asile a été rejetée », ce qui constitue un élément central de son raisonnement. Bien que le contentieux de l’éloignement soit distinct de celui de l’asile, cette mention démontre le poids considérable accordé à l’appréciation portée par les instances spécialisées. Le juge de l’excès de pouvoir, sans être formellement lié par ces décisions, considère manifestement qu’elles ont purgé l’essentiel de l’analyse des risques. Il en résulte une forme de contrôle subsidiaire, où le requérant doit, pour convaincre le tribunal administratif, apporter des éléments nouveaux et substantiels qui n’auraient pas été examinés par le juge de l’asile. Le simple fait de produire « les mêmes documents à caractère général » est jugé insuffisant pour remettre en cause l’appréciation initiale.
B. L’exigence d’une démonstration personnelle et actuelle du risque
La Cour rejette les éléments de preuve fournis par le requérant, les qualifiant de trop généraux ou de non probants. Les « documents à caractère général sur la situation de l’esclavage en Mauritanie », une attestation qui ne fait que « relater ses déclarations » et des « images sans aucune portée probante » sont jugés inaptes à établir un risque personnel et direct en cas de retour. Cette position réaffirme une jurisprudence constante qui exige du requérant qu’il ne se contente pas de décrire la situation générale de son pays d’origine, mais qu’il démontre en quoi il serait personnellement et actuellement exposé à un risque de violation de l’article 3. Une telle exigence est particulièrement difficile à satisfaire pour un individu qui a déjà échoué à convaincre les instances de l’asile. En l’absence de faits nouveaux sur sa situation personnelle ou d’une dégradation notable de la situation générale dans son pays, le requérant se heurte à l’autorité de la chose jugée par la CNDA, rendant la protection de l’article 3 dans le cadre du contentieux de l’éloignement particulièrement difficile à obtenir. Cet arrêt, bien qu’étant une décision d’espèce, confirme la difficulté pour un étranger débouté du droit d’asile de faire valoir utilement les risques encourus dans son pays d’origine devant le juge administratif.