La présente décision, rendue par une cour administrative d’appel le 31 janvier 2025, offre un éclairage précis sur la rigueur des règles de recevabilité du contentieux administratif, particulièrement lorsqu’elles s’appliquent aux agents publics. En l’espèce, un attaché principal d’administration, initialement placé en congé de longue durée pour raisons de santé, s’est vu ensuite placé en disponibilité d’office à l’expiration de ses droits à congé. L’agent a été informé, par un courrier ultérieur, qu’il cesserait de percevoir des indemnités journalières qui lui avaient été versées. S’estimant lésé, il a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de plusieurs décisions ainsi qu’une indemnisation pour les préjudices qu’il estimait avoir subis. Par un jugement du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté l’ensemble de ses demandes. L’agent a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment l’irrégularité de la décision de première instance et réitérant ses prétentions sur le fond. Il soulevait en particulier, par la voie de l’exception, l’illégalité de l’acte le plaçant en disponibilité d’office. Face à ces moyens, l’administration opposait principalement la tardiveté des différentes conclusions présentées par le requérant. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si les demandes de l’agent, qu’il s’agisse des conclusions à fin d’annulation ou des conclusions indemnitaires, avaient été introduites dans les délais de recours contentieux. Plus spécifiquement, la question se posait de savoir si le principe jurisprudentiel du délai raisonnable de recours pouvait bénéficier à un agent public contestant une décision implicite de rejet née du silence de son administration. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant en tous points le jugement de première instance. Elle écarte d’abord les contestations portant sur des litiges relevant de la compétence judiciaire, puis juge irrecevable l’exception d’illégalité soulevée. Surtout, elle confirme que les recours de l’agent étaient tardifs, en refusant d’appliquer le principe du délai raisonnable aux agents publics dans une telle situation, les soumettant ainsi au strict respect du délai de recours de deux mois.
Cette solution illustre une application rigoureuse des règles de la procédure contentieuse (I), qui aboutit à la consécration d’un régime de recours plus strict pour les agents publics que pour les autres administrés (II).
I. L’application rigoureuse des règles de la procédure contentieuse
La cour d’appel fait preuve d’une orthodoxie juridique sans faille, d’une part en délimitant strictement l’objet du litige et la compétence du juge administratif (A), et d’autre part en procédant à un calcul inflexible du délai de recours contentieux (B).
A. Une délimitation stricte de l’objet du litige
Le juge d’appel s’attache d’abord à qualifier précisément la nature des actes attaqués pour en tirer les conséquences procédurales qui s’imposent. Le requérant contestait un courrier du 7 juillet 2022 l’informant de la fin du versement d’indemnités journalières. La cour relève que cette décision ne constituait pas un maintien en disponibilité d’office, mais se bornait à traiter une question de prestations sociales. Or, elle juge que « la contestation formelle de cette décision se rattachait à un litige relatif au versement d’indemnités journalières en application du code de la sécurité sociale, lequel litige relève de la seule compétence des juridictions judiciaires ». Le juge administratif décline ainsi sa compétence, rappelant la dualité de nos ordres de juridiction et l’impossibilité pour l’une de connaître des matières réservées à l’autre.
Par ailleurs, la cour écarte l’exception d’illégalité de l’arrêté du 16 décembre 2020, qui plaçait l’agent en disponibilité d’office. Elle estime que cet acte ne pouvait être utilement contesté à l’appui du recours contre la décision du 7 juillet 2022. En effet, elle précise que « cet arrêté ne constitue pas la base légale de la décision contestée, laquelle n’a pas davantage été prise pour son application ». Ce faisant, elle rappelle la condition essentielle de recevabilité d’une telle exception, qui exige un lien direct et nécessaire entre l’acte réglementaire ou la décision individuelle dont l’illégalité est excipée et la décision administrative effectivement contestée. Cette approche restrictive empêche le justiciable de contourner les délais de recours en se prévalant de l’illégalité d’actes antérieurs n’ayant pas servi de fondement juridique à la mesure qui lui fait grief.
B. Un calcul inflexible du délai de recours
La cour administrative d’appel examine ensuite la recevabilité des conclusions dirigées contre le placement de l’agent en congé de longue durée. Elle constate que l’agent a formé un recours gracieux le 17 décembre 2020, lequel a été reçu par l’administration le 24 décembre 2020. En application de l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration, le silence gardé pendant deux mois par l’administration a fait naître une décision implicite de rejet le 24 février 2021. À compter de cette date, l’agent disposait d’un délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif, soit jusqu’au 25 avril 2021.
Or, la juridiction de première instance n’a été saisie que le 12 septembre 2022. La cour en déduit logiquement que le recours était tardif et par conséquent irrecevable. Elle précise utilement qu’un second recours gracieux, formé le 20 mars 2021, n’a eu aucun effet sur le cours du délai de recours contentieux, conformément à une jurisprudence bien établie selon laquelle « recours sur recours ne vaut ». La même logique est appliquée aux conclusions indemnitaires de l’agent. En supposant même que le courrier du 17 décembre 2020 contenait une demande préalable, la décision implicite de rejet née le 24 février 2021 rendait le recours indemnitaire enregistré le 12 septembre 2022 tout aussi tardif. Cette stricte computation des délais préfigure le point le plus saillant de l’arrêt, à savoir le refus d’assouplir cette rigueur au nom de la sécurité juridique du justiciable.
II. La consécration d’un régime de recours dérogatoire pour l’agent public
L’apport principal de la décision réside dans la distinction qu’elle opère entre l’agent public et l’administré ordinaire, ce qui conduit à exclure l’application d’un principe jurisprudentiel protecteur (A) et à affirmer l’existence d’une exigence de diligence accrue à l’égard des fonctionnaires (B).
A. L’exclusion explicite du principe du délai raisonnable
Le requérant aurait pu espérer bénéficier de la jurisprudence issue de la décision d’Assemblée du Conseil d’État du 13 juillet 2016, qui a consacré un principe de sécurité juridique limitant à un délai raisonnable, en règle générale d’un an, la possibilité de contester une décision administrative qui n’a pas mentionné les voies et délais de recours. Toutefois, la cour écarte fermement cette perspective. Elle énonce clairement que la règle du délai raisonnable « ne saurait cependant s’appliquer aux agents publics qui ne sont pas soumis aux dispositions de l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration ».
L’argumentation du juge est fondée sur une lecture littérale des textes. Le principe du délai raisonnable a été conçu comme un correctif à l’absence d’information de l’administré sur ses droits de recours. Or, les dispositions du code des relations entre le public et l’administration imposant à l’administration de délivrer un accusé de réception mentionnant ces délais ne sont, en vertu de l’article L. 112-2 du même code, pas applicables aux relations entre l’administration et ses agents. La cause justifiant l’application du délai raisonnable disparaissant, son effet ne peut être maintenu. La cour considère donc que l’agent public, face à une décision implicite de rejet, se trouve dans une situation juridique distincte de celle du citoyen ordinaire, ce qui justifie un traitement différencié.
B. L’affirmation d’une diligence particulière attendue de l’agent
En conséquence, la décision consacre une exigence de vigilance plus élevée pour les agents publics. Ces derniers, contrairement aux autres administrés, ne peuvent se prévaloir du silence de l’administration sur les voies et délais de recours pour bénéficier d’une prorogation du délai de contestation au-delà du délai de droit commun de deux mois. Ils sont présumés connaître les règles statutaires qui les régissent et les mécanismes du contentieux administratif qui leur sont ouverts. L’arrêt postule implicitement que la relation de service qui lie l’agent à son employeur public crée une familiarité avec les procédures administratives qui ne se retrouve pas chez le simple citoyen.
La portée de cette décision est significative. Elle réaffirme avec force une solution rigoureuse, limitant les possibilités de recours pour les agents publics et renforçant la stabilité des décisions administratives en matière de gestion du personnel. La solution peut apparaître sévère pour l’agent individuel, qui se voit privé d’une garantie procédurale importante. Cependant, elle se justifie par la spécificité du lien de fonction publique et par la nécessité d’assurer la sécurité juridique des actes administratifs dans un domaine où les décisions sont nombreuses et continues. Cet arrêt constitue un rappel important que le statut de fonctionnaire emporte non seulement des droits, mais aussi des obligations de diligence procédurale particulièrement strictes.