Par un arrêt en date du 4 juin 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité de mesures d’éloignement prises à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité tunisienne, entré irrégulièrement en France, a fait l’objet de deux arrêtés du préfet de police en date du 14 septembre 2024. Le premier lui faisait obligation de quitter le territoire français sans délai, tandis que le second prononçait à son encontre une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de vingt-quatre mois, ces mesures étant motivées par son interpellation pour exercice illégal d’une activité de transport de personnes. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de ces décisions par un jugement du 6 février 2025. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant sa régularité formelle que le bien-fondé de l’appréciation portée par les premiers juges et l’administration. Il soutenait notamment l’insuffisante motivation du jugement, une méconnaissance des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à sa vie privée et familiale, ainsi qu’une erreur manifeste d’appréciation. Se posait alors la question de savoir dans quelles conditions le juge d’appel examine la légalité d’une mesure d’éloignement lorsque le requérant se contente d’allégations générales sans fournir d’éléments de preuve circonstanciés. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant d’une part que les critiques adressées au jugement de première instance sont soit non étayées, soit inopérantes en raison de l’effet dévolutif de l’appel, et d’autre part que l’intéressé ne produit aucun élément probant permettant de remettre en cause l’appréciation de l’administration, tant pour l’obligation de quitter le territoire que pour l’interdiction de retour.
Cet arrêt illustre avec rigueur la répartition de la charge de la preuve dans le contentieux des étrangers et l’office du juge d’appel. La cour écarte d’abord les moyens de pure procédure tenant à la régularité du jugement attaqué (I), avant de confirmer, sur le fond, la légalité des mesures d’éloignement contestées en raison de l’absence de justification probante de la part du requérant (II).
I. La confirmation de la régularité du jugement par une application rigoureuse des règles de procédure
La cour administrative d’appel écarte les critiques formelles du requérant en rappelant d’une part l’exigence de motivation d’un moyen (A), et d’autre part la portée de l’effet dévolutif de l’appel qui neutralise la contestation du raisonnement des premiers juges (B).
A. Le rejet d’une critique non étayée de la motivation
L’arrêt rappelle que l’obligation de motivation des jugements, posée par l’article L. 9 du code de justice administrative, ne dispense pas le requérant de son côté de motiver ses propres moyens. En l’espèce, l’appelant soutenait que le jugement de première instance était insuffisamment motivé. La cour écarte ce moyen de manière péremptoire en constatant qu’il « n’apporte aucune précision ni argumentation à l’appui de ce moyen ». Cette solution, classique, souligne une exigence fondamentale du procès administratif : une allégation, même portant sur une garantie aussi essentielle que la motivation, doit être développée et argumentée pour pouvoir être examinée par le juge. En l’absence de tout développement, le moyen est considéré comme non fondé. La cour refuse ainsi de rechercher d’office en quoi la motivation aurait pu être défaillante, faisant peser sur l’appelant la charge d’identifier et d’expliciter les prétendues lacunes du raisonnement des premiers juges. Cette approche garantit que le débat contentieux se concentre sur des points de droit et de fait précisément identifiés.
B. La neutralisation de la critique du fond par l’effet dévolutif de l’appel
L’arrêt offre ensuite une illustration pédagogique de l’effet dévolutif de l’appel en contentieux administratif. Le requérant entendait contester l’appréciation par laquelle le premier juge avait écarté son argument selon lequel sa présence ne constituait pas une menace à l’ordre public. La cour qualifie un tel moyen d’« inopérant », car il ne critique pas la régularité du jugement mais son bien-fondé. Elle rappelle que « dans le cadre de l’effet dévolutif, le juge d’appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la légalité de la décision de l’administration ». En d’autres termes, l’appel ne vise pas à juger le jugement, mais à rejuger l’affaire. La critique du raisonnement du tribunal est donc sans portée, puisque la cour d’appel va elle-même procéder à un examen complet de la légalité de l’acte administratif sur la base des moyens soulevés par les parties. Ce faisant, elle substitue sa propre appréciation à celle des premiers juges, ce qui rend sans objet la discussion sur la pertinence des motifs retenus en première instance.
Une fois ces questions procédurales tranchées, la cour examine la légalité même des arrêtés préfectoraux, en se fondant exclusivement sur les éléments produits devant elle.
II. La validation des mesures d’éloignement en l’absence de justifications probantes
La cour confirme la légalité des deux décisions contestées en soulignant la défaillance du requérant dans l’administration de la preuve de sa situation personnelle, que ce soit pour contester l’obligation de quitter le territoire (A) ou l’interdiction de retour qui l’assortit (B).
A. L’appréciation de l’obligation de quitter le territoire au prisme de la carence probatoire
Le requérant invoquait une méconnaissance de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui protège la vie privée et familiale. La cour rejette ce moyen en relevant la carence totale de l’intéressé. Elle constate qu’il « ne produit aucun document de nature à établir l’existence, l’intensité et l’ancienneté de liens personnels et familiaux qu’il entretiendrait sur le territoire national ». De surcroît, il ne justifie d’aucune insertion sociale ou professionnelle et ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés, à savoir l’exercice d’une activité illégale. Face à cette absence de preuves, le juge ne peut que valider l’appréciation du préfet. Il en va de même pour le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, que la cour écarte sobrement en constatant qu’elle ne ressort pas des pièces du dossier. Cet arrêt démontre que si l’administration doit fonder ses décisions sur des faits précis, il appartient à l’étranger qui invoque une atteinte à sa situation personnelle de l’établir par des éléments concrets, faute de quoi ses allégations resteront sans effet.
B. La légitimation de l’interdiction de retour face à des arguments non circonstanciés
Le raisonnement est identique s’agissant de l’interdiction de retour sur le territoire français. D’abord, la cour juge la décision suffisamment motivée car elle vise les textes applicables, rappelle les faits et expose les raisons de droit et de fait qui la fondent : la menace à l’ordre public et l’absence de liens en France. Ensuite, concernant l’invocation de « circonstances humanitaires » qui auraient pu justifier que le préfet n’édicte pas une telle interdiction, la cour constate que le requérant « n’apporte aucune précision à l’appui du moyen ». Ce parallélisme des formes dans le raisonnement du juge est significatif. Qu’il s’agisse des liens personnels et familiaux ou de circonstances humanitaires, le simple fait d’invoquer une notion juridique prévue par les textes est insuffisant. Le requérant doit fournir au juge la matière factuelle lui permettant de contrôler l’appréciation de l’administration. En l’absence de tout élément circonstancié, le juge ne peut que rejeter le moyen, confirmant par là même la plénitude du pouvoir d’appréciation du préfet lorsque ses décisions sont factuellement établies et que le requérant reste défaillant dans l’administration de la preuve contraire.