Cour d’appel administrative de Paris, le 5 août 2025, n°24PA04487

Par un arrêt en date du 5 août 2025, la Cour administrative d’appel de Paris se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger et assorti d’une obligation de quitter le territoire français.

En l’espèce, un ressortissant tunisien, entré en France en 2016 selon ses dires et ayant antérieurement bénéficié d’un titre de séjour jusqu’en 2016, a sollicité en 2023 son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale ainsi que pour des motifs exceptionnels. L’intéressé faisait notamment valoir sa présence sur le territoire et sa situation de père de deux enfants, dont l’un de nationalité française et l’autre scolarisée en France.

Par un arrêté du 18 avril 2024, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de destination. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Paris, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 2 octobre 2024. Le ressortissant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était insuffisamment motivée, entachée d’un défaut d’examen de sa situation et méconnaissait son droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que l’intérêt supérieur de ses enfants.

Il convenait donc pour la Cour administrative d’appel de déterminer si le refus de séjour, opposé à un étranger qui invoque des liens familiaux en France mais ne peut justifier de la continuité de son séjour ni de sa contribution effective à l’entretien et à l’éducation de ses enfants, constitue une erreur manifeste d’appréciation et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.

La Cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ni porté une atteinte excessive aux droits du requérant. Elle juge que l’intéressé n’apporte pas la preuve de l’intensité de ses liens personnels et familiaux ni de son insertion, justifiant ainsi la décision de l’administration. La solution retenue par la Cour, qui confirme une application stricte des critères de régularisation, s’articule autour de la confirmation du pouvoir d’appréciation préfectoral (I), avant de procéder à une mise en balance classique des intérêts en présence (II).

I. La confirmation d’un contrôle restreint sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire préfectoral

La Cour administrative d’appel rappelle d’abord le cadre juridique applicable à la demande de régularisation, en distinguant les fondements possibles (A), pour ensuite valider la décision préfectorale en s’appuyant sur une application rigoureuse de l’exigence de la preuve (B).

A. Le rappel de l’office du préfet en matière de régularisation

L’arrêt opère une distinction nécessaire entre les différentes bases légales d’une admission au séjour. Il souligne que si l’accord franco-tunisien régit l’admission au séjour pour des motifs professionnels, il n’empêche pas le préfet d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour une régularisation sur un autre fondement. La Cour précise en effet qu’il « appartient au préfet, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d’apprécier, en fonction de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressé, l’opportunité d’une mesure de régularisation ». Cette formule consacre la compétence de l’autorité préfectorale pour examiner les situations particulières au-delà des cas de délivrance de plein droit, tout en encadrant cette faculté.

L’analyse de la Cour valide ainsi l’approche de l’administration qui a examiné la situation de l’intéressé au regard du pouvoir général de régularisation prévu par l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce faisant, elle écarte le moyen tiré du défaut d’examen, estimant que la décision préfectorale « mentionne les considérations de droit et de fait qui la fondent et il n’en ressort pas que le préfet se serait abstenu de procéder à un examen sérieux de la situation ». La motivation, bien que concise, est jugée suffisante dès lors qu’elle expose les éléments essentiels ayant conduit au refus.

B. L’application rigoureuse de l’exigence de la preuve par le demandeur

L’un des apports principaux de la décision réside dans l’importance accordée à la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur à un titre de séjour. Le juge administratif exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la décision du préfet, ce qui le conduit à vérifier si les faits invoqués par le requérant sont suffisamment établis. En l’espèce, la Cour constate une carence probatoire sur plusieurs points essentiels de l’argumentation de l’intéressé.

Ainsi, la juridiction relève que « le requérant n’établit pas, par les pièces qu’il produit, sa résidence continue et habituelle en France à compter de l’expiration de sa carte de résident ». De même, elle note qu’il « ne ressort pas de ces pièces que le requérant justifierait d’une insertion professionnelle ». Cette méthode, fondée sur l’analyse des pièces du dossier, conduit le juge à confirmer l’appréciation des faits par l’administration, sans substituer sa propre évaluation à celle du préfet. Le contrôle reste donc restreint et se limite à la censure des erreurs les plus évidentes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce au vu des lacunes du dossier présenté par le demandeur.

Après avoir ainsi délimité le cadre de son contrôle et validé la démarche de l’administration, la Cour s’attache à l’examen au fond des moyens soulevés par le requérant, en procédant à une mise en balance des différents droits et intérêts en jeu.

II. Une appréciation classique de la balance des intérêts en présence

La Cour examine successivement les griefs tirés de l’atteinte à la vie privée et familiale (A) et de la méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant (B), en concluant dans les deux cas à l’absence de violation par l’autorité préfectorale.

A. La prévalence de la situation administrative sur des liens familiaux non établis

Le requérant invoquait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour évaluer ce grief, le juge doit mettre en balance l’intérêt public à la maîtrise des flux migratoires et le droit de l’individu au maintien de ses liens familiaux. La Cour reprend ici un raisonnement bien établi, en conditionnant la reconnaissance d’une protection au titre de la vie familiale à la démonstration de la réalité et de l’intensité des liens.

Or, l’arrêt souligne que « l’intéressé ne justifie pas entretenir des liens avec son fils de nationalité française, né le 11 février 2005, ni contribuer à l’entretien et à l’éducation de sa fille, de nationalité tunisienne, née le 27 juin 2013 ». Faute de preuve d’une vie familiale effective, le moyen tiré de l’article 8 de la Convention ne pouvait prospérer. La décision de refus de séjour n’est donc pas considérée comme une ingérence disproportionnée, car l’un des plateaux de la balance, celui de la vie privée et familiale, n’a pas été suffisamment lesté par le requérant. Cette solution illustre une jurisprudence constante selon laquelle la seule existence de liens de filiation ne suffit pas à faire obstacle à une mesure d’éloignement.

B. La portée conditionnée de l’intérêt supérieur de l’enfant

Le dernier moyen soulevé par le requérant portait sur la violation de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui impose de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une « considération primordiale ». Si ce principe est directement invocable et impose à l’administration une obligation d’examen attentif, sa mise en œuvre dépend étroitement des circonstances de l’espèce.

La Cour écarte ce moyen en se fondant sur les mêmes constatations factuelles que précédemment. Le fait que le requérant ne démontre pas sa contribution à l’éducation et à l’entretien de ses enfants la conduit à juger que l’intérêt supérieur de ces derniers n’a pas été méconnu. La décision sous-entend que l’éloignement du père, en l’absence de liens établis et d’une contribution effective de sa part, n’est pas de nature à porter une atteinte caractérisée à leur situation. La portée du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est ainsi subordonnée à la preuve de l’implication effective du parent dans la vie de l’enfant, ce qui cantonne son application et évite qu’il ne devienne un obstacle automatique à toute mesure d’éloignement.

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