Par un arrêt en date du 5 février 2025, la cour administrative d’appel de Paris a statué sur la contestation par une société d’un redressement fiscal. En l’espèce, une société exerçant des activités commerciales a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur une période de trois ans. À l’issue de ce contrôle, l’administration fiscale lui a notifié des rappels d’impôts, notamment en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités pour manquement délibéré. La société a saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la décharge de ces impositions, mais sa demande a été rejetée. Elle a donc interjeté appel de ce jugement, contestant tant la régularité de la procédure d’imposition que le bien-fondé des rectifications opérées par le service vérificateur. Elle soutenait notamment que ses droits n’avaient pas été respectés et que les charges rejetées par l’administration étaient bien déductibles. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer dans quelle mesure un contribuable peut contester un redressement fiscal en invoquant, d’une part, des irrégularités procédurales et, d’autre part, le bien-fondé des rehaussements opérés par l’administration fiscale, notamment au regard de la charge de la preuve. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant en tous points la position de l’administration et le jugement de première instance. Elle juge que la procédure a été menée régulièrement et que le contribuable, sur qui repose la charge de la preuve, n’a pas justifié du caractère professionnel des charges rejetées. La décision illustre ainsi la rigueur avec laquelle le juge de l’impôt contrôle les obligations du contribuable, que ce soit sur le plan procédural ou comptable (I), avant de tirer les conséquences de ses défaillances sur le bien-fondé des impositions et des pénalités appliquées (II).
I. La confirmation rigoureuse des obligations procédurales et comptables du contribuable
La cour rappelle d’abord que le respect des garanties offertes au contribuable s’apprécie au regard des seules diligences légalement requises de l’administration (A), avant de valider le rejet d’une comptabilité qui ne permet pas de reconstituer le détail des opérations (B).
A. Le respect du débat contradictoire apprécié au regard des diligences de l’administration
En matière de procédure fiscale, le principe du contradictoire impose à l’administration de permettre au contribuable de présenter ses observations avant la mise en recouvrement des impositions. Dans le cas présent, la société requérante soutenait que ce principe avait été méconnu. Les juges du fond écartent ce moyen en appliquant une règle de preuve bien établie. Ils rappellent que lorsque la vérification se déroule dans les locaux de l’entreprise, « c’est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu’il ait eu la possibilité d’avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat ». Or, en l’espèce, la société n’apportait aucun élément tangible pour étayer ses dires.
De plus, la cour opère une distinction claire entre les garanties substantielles prévues par la loi et les échanges informels qui peuvent avoir lieu durant un contrôle. La société se plaignait que l’administration n’ait pas répondu à un courrier qu’elle avait envoyé en réponse à une synthèse des manquements comptables relevés par le vérificateur. La cour juge que l’absence de réponse à ce courrier, « dont aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait l’envoi au contribuable », est sans incidence sur la régularité de la procédure. Dès lors que l’administration a respecté toutes les étapes formelles de la procédure de rectification contradictoire, notamment en répondant aux observations du contribuable et en lui offrant les voies de recours adéquates, les garanties essentielles sont considérées comme préservées.
B. Le rejet d’une comptabilité jugée non probante
La seconde étape du raisonnement de la cour porte sur la qualité de la comptabilité de l’entreprise. L’administration fiscale l’avait écartée comme non probante, ce qui a pour effet de renverser la charge de la preuve. Les juges confirment cette appréciation en se fondant sur des éléments factuels précis. Il a été constaté que la société procédait à une « globalisation mensuelle des recettes », sans conserver les justificatifs permettant de détailler les opérations au jour le jour. Une telle pratique rend impossible le suivi du chemin de révision, qui doit permettre de passer des pièces justificatives de base aux écritures comptables.
Face à l’administration qui affirmait n’avoir eu accès qu’à des documents partiels, la société n’a produit aucun élément concret devant la cour pour démontrer que sa comptabilité était complète et traçable. La cour souligne qu’il appartient au contribuable, qui est « seul en mesure de le faire », de fournir les preuves nécessaires. La simple affirmation de la régularité des comptes ou la certification de ceux-ci par un commissaire aux comptes est jugée insuffisante pour contredire les constatations matérielles du service vérificateur. Cette position réaffirme l’exigence fondamentale de transparence et de rigueur comptable, condition sine qua non pour que la comptabilité puisse servir de base à l’établissement de l’impôt.
Une fois la comptabilité écartée et la procédure jugée régulière, la cour examine le bien-fondé des rehaussements eux-mêmes, en s’appuyant sur les règles de dévolution de la charge de la preuve.
II. La sanction du défaut de justification des charges et du manquement délibéré
La décision se penche ensuite sur la déductibilité des charges, dont elle rappelle les conditions strictes d’application (A), pour finalement valider la qualification de manquement délibéré et les pénalités qui en découlent (B).
A. L’application stricte des conditions de déductibilité des charges d’exploitation
Le cœur de l’affaire réside dans l’application de l’article 39 du code général des impôts, qui subordonne la déduction d’une charge à la preuve qu’elle a été engagée dans l’intérêt direct de l’entreprise. L’arrêt rappelle avec pédagogie les règles de preuve en la matière : il appartient au contribuable de justifier « tant du montant des charges qu’il entend déduire (…) que de la correction de leur inscription en comptabilité ». Ce n’est que si le contribuable fournit des éléments suffisamment précis que la charge de la preuve passe à l’administration. En l’espèce, la société a échoué à chaque étape à apporter cette justification.
Concernant une facture relative à des matériaux de construction, la cour relève un faisceau d’indices qui la rend suspecte : elle émane d’une société dirigée par le fils du gérant et exerçant une activité sans rapport direct, tandis qu’aucun frais de pose ou projet de rénovation n’est justifié. De même, les primes exceptionnelles versées au gérant sont rejetées, faute pour la société de démontrer une quelconque obligation contractuelle ou une contrepartie spécifique justifiant leur versement. Enfin, s’agissant de nombreux frais de voyage, de restaurant ou d’achats divers, la cour note leur caractère manifestement personnel, relevant par exemple que « certaines factures d’hôtel concernent la période estivale et mentionnent quatre personnes et que certaines notes de restaurant comprennent des menus enfants ». Face à de tels éléments, les justifications vagues de la société ne suffisent pas à établir le lien avec l’intérêt de l’exploitation.
B. La caractérisation du manquement délibéré justifiant les pénalités
La conséquence logique du rejet des charges et des irrégularités comptables est l’application de pénalités. L’administration avait appliqué la majoration de 40 % pour manquement délibéré. La cour confirme cette sanction en se fondant sur l’ensemble des faits de l’espèce. Le caractère délibéré de l’infraction ne se déduit pas d’une simple erreur, mais d’un ensemble de comportements qui révèlent l’intention d’éluder l’impôt.
Les juges estiment que « la nature des manquements et leur objet sont de nature à établir que les insuffisances de déclaration procédaient d’un manquement délibéré ». En d’autres termes, le fait de tenir une comptabilité ne permettant pas d’assurer une traçabilité fiable des recettes, cumulé à la déduction de charges manifestement personnelles ou dépourvues de contrepartie réelle, caractérise une volonté de dissimulation. La cour ne se contente pas de valider chaque redressement individuellement ; elle les considère dans leur ensemble pour en déduire l’intention frauduleuse du contribuable. Cette approche globale justifie le maintien des pénalités, qui viennent sanctionner non pas une simple négligence, mais un comportement fautif conscient.