Cour d’appel administrative de Paris, le 5 février 2025, n°23PA03426

Par un arrêt en date du 5 février 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur les conditions d’éligibilité au crédit d’impôt innovation, en particulier sur la nature des dépenses de personnel et des opérations de conception ouvrant droit à cet avantage fiscal.

En l’espèce, une société de conseil en développement durable s’est vu refuser par l’administration fiscale le bénéfice de crédits d’impôt innovation pour les années 2016 à 2018. Ces refus concernaient des dépenses engagées dans le cadre de trois projets distincts visant au développement d’une application numérique, à l’étude d’une technologie de registre distribué et à la création d’un référentiel en cybersécurité. La société a contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté ses demandes par trois jugements en date du 31 mai 2023. Elle a alors interjeté appel de ces jugements, soutenant que les dépenses en cause, notamment celles relatives à son personnel, étaient bien éligibles au dispositif prévu par l’article 244 quater B du code général des impôts. L’administration fiscale, pour sa part, a conclu au rejet des requêtes, arguant que les conditions légales n’étaient pas remplies.

Il était donc demandé à la Cour administrative d’appel de déterminer si des dépenses afférentes à des phases de définition de projet, à des études théoriques ou à l’élaboration de normes, sans participation directe à la création technique d’un prototype, peuvent être qualifiées d’opérations de conception éligibles au crédit d’impôt innovation.

La Cour administrative d’appel de Paris rejette l’ensemble des requêtes de la société. Elle juge que les dépenses de personnel ne sont éligibles que si les salariés ont matériellement participé aux opérations de conception du prototype, ce qui exclut les seules activités de définition des spécifications. De même, elle considère que des travaux consistant en un état de l’art ou en l’élaboration d’un référentiel normatif ne constituent pas la conception d’un prototype ou d’une installation pilote de nouveau produit, et ne peuvent par conséquent ouvrir droit à l’avantage fiscal.

Cette décision conduit à préciser la notion d’opération de conception retenue par le législateur, en la distinguant nettement des phases préparatoires (I). Elle confirme ainsi une approche stricte de l’éligibilité au crédit d’impôt, dont la portée affecte particulièrement le modèle économique des entreprises de conseil et de services (II).

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**I. Une interprétation restrictive des opérations de conception éligibles**

La Cour adopte une lecture rigoureuse des dispositions du code général des impôts, liant l’éligibilité du crédit d’impôt à une participation effective à la création matérielle du produit nouveau. Cela la conduit à exclure tant les dépenses de personnel affecté à des tâches de pilotage que les travaux qui ne débouchent pas sur la réalisation concrète d’un prototype.

A. L’exclusion des dépenses de personnel non affecté à la réalisation technique

Pour le projet d’application numérique, la Cour reconnaît le caractère innovant du produit final. Toutefois, elle refuse le bénéfice du crédit d’impôt pour les dépenses de personnel au motif que les salariés de l’entreprise n’ont pas directement participé à la phase de conception technique. Elle relève que ces derniers « ont défini le principe et les caractéristiques de l’application, en réponse aux objectifs et aux besoins qu’ils avaient identifiés », mais qu’ils « n’ont pas créé le prototype, ses fonctionnalités et son ergonomie, qui est l’œuvre des entreprises sous-traitantes ». La Cour en conclut qu’ils « n’ont dès lors pas participé aux opérations de conception au sens des dispositions en cause ». Ce faisant, elle opère une distinction nette entre la maîtrise d’ouvrage, qui consiste à définir un cahier des charges, et la maîtrise d’œuvre, qui implique la réalisation technique. Seules les dépenses liées à cette seconde activité sont jugées éligibles, quand bien même la loi n’exige aucune qualification particulière pour le personnel concerné.

B. Le rejet des travaux préparatoires et des études théoriques

Concernant les deux autres projets, la Cour applique une logique similaire en se concentrant sur la finalité des travaux menés. Pour le projet lié à la technologie de registre distribué, elle constate que les recherches de la société « n’ont porté que sur la réalisation d’un état de l’art de cette technologie et la définition d’une offre et d’un « business model » ». De même, pour le projet de cybersécurité, elle note qu’il « n’a abouti qu’à l’élaboration d’un référentiel normatif ». Dans les deux cas, la juridiction souligne l’absence de création effective d’un produit nouveau, retenant qu’il n’a été conçu « ni nouveau produit, ni prototype ou installation pilote ». Peu importe que ces travaux intellectuels soient un préalable nécessaire à une future innovation ; en l’absence de concrétisation sous la forme d’un prototype au cours des années considérées, les dépenses correspondantes ne sauraient être admises au bénéfice du crédit d’impôt.

Cette application rigoureuse des conditions légales, si elle clarifie le périmètre du dispositif, soulève la question de la valorisation des différentes phases d’un processus d’innovation.

**II. La portée de la distinction entre pilotage stratégique et exécution matérielle de l’innovation**

En exigeant une participation directe à la réalisation technique, la décision de la Cour vient non seulement confirmer une vision matérielle du prototype, mais elle emporte également des conséquences significatives pour les entreprises dont le cœur d’activité réside dans les prestations intellectuelles.

A. La confirmation d’une conception matérielle du prototype

L’arrêt renforce une jurisprudence constante qui appréhende le prototype ou l’installation pilote comme une réalisation tangible, destinée à tester et valider les performances d’un produit avant sa mise sur le marché. Les opérations de conception ne se limitent pas à l’émergence d’une idée, mais recouvrent l’ensemble des travaux qui permettent sa matérialisation. La solution est juridiquement fondée, car elle s’ancre dans la lettre de l’article 244 quater B du code général des impôts, qui vise les dépenses affectées « à la réalisation d’opérations de conception de prototypes ou installations pilotes ». La logique du texte est d’inciter fiscalement un effort d’innovation concret et non de simples études de faisabilité ou de positionnement stratégique. La position du juge administratif apparaît donc cohérente avec l’objectif du législateur, qui est de stimuler la création de produits nouveaux se distinguant par des performances supérieures.

B. Les conséquences pour les entreprises de services et de conseil

La portée de cette décision est particulièrement importante pour les entreprises de services, et notamment les sociétés de conseil. Leur modèle économique repose souvent sur des prestations intellectuelles en amont de la production, telles que l’analyse des besoins, la définition de stratégies ou l’élaboration de cadres normatifs. L’arrêt commenté vient confirmer que ces activités, bien qu’essentielles au processus d’innovation, ne sont pas en elles-mêmes éligibles au crédit d’impôt innovation si elles ne sont pas directement suivies, au sein de la même entité, d’une phase de réalisation technique. Cette solution incite donc les entreprises de conseil qui souhaiteraient bénéficier de ce dispositif soit à internaliser des compétences en développement pour participer à la création de prototypes, soit à admettre que leur contribution à l’innovation doit être valorisée par d’autres moyens, cet avantage fiscal étant principalement orienté vers les activités de conception technique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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