Par un arrêt en date du 5 février 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la régularité d’une procédure de contrôle fiscal, et plus particulièrement sur les exigences probatoires relatives à la notification de l’avis d’engagement de ce contrôle. En l’espèce, des contribuables ont fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales pour les années 2012 et 2013, à la suite d’un examen de leur situation fiscale personnelle. Saisi par les contribuables, le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 8 juin 2023, n’a que partiellement accueilli leur demande en décharge des impositions. Les intéressés ont donc interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité de la procédure au motif principal qu’ils n’auraient pas reçu l’avis d’examen de situation fiscale personnelle, prévu à l’article L. 47 du livre des procédures fiscales, avant le début des opérations de contrôle. L’administration fiscale, quant à elle, soutenait que la preuve de la réception de cet avis pouvait se déduire de la correspondance ultérieure du conseil des contribuables, qui y faisait référence.
Il revenait ainsi à la cour de déterminer si la preuve de la notification de l’avis de contrôle, dont la charge pèse sur l’administration, peut être rapportée par de simples présomptions tirées du comportement postérieur du contribuable, ou si elle exige la certitude de sa réception effective avant le commencement des opérations. La Cour administrative d’appel a jugé que les éléments avancés par l’administration étaient insuffisants pour établir que l’avis avait été notifié en temps utile, dès lors que la connaissance de son existence par les contribuables pouvait résulter d’un autre courrier du service vérificateur. En conséquence, la cour a prononcé l’irrégularité de la procédure et la décharge totale des impositions. Cette décision, qui sanctionne un manquement procédural, réaffirme avec rigueur le caractère substantiel de la garantie tenant à l’information préalable du contribuable (I), tout en précisant la portée de l’obligation probatoire qui incombe à l’administration fiscale (II).
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**I. La réaffirmation d’une garantie substantielle du contribuable**
La solution retenue par la cour d’appel repose sur une application stricte du principe de l’information préalable au contrôle (A), ce qui la conduit à rejeter une preuve de la notification qui ne reposerait que sur de simples présomptions (B).
**A. Le principe intangible de l’information préalable au contrôle**
L’article L. 47 du livre des procédures fiscales dispose qu’un examen de la situation fiscale personnelle ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l’envoi ou la remise d’un avis de vérification. Cette exigence n’est pas une simple formalité, mais constitue une garantie fondamentale pour le contribuable. Elle vise à lui permettre de se préparer au contrôle, de rassembler les pièces nécessaires et, comme le précise le texte, de se faire assister par un conseil de son choix. La jurisprudence du Conseil d’État est constante pour affirmer que le défaut d’envoi ou de remise de cet avis avant le début des opérations de contrôle entache la procédure d’irrégularité et entraîne la nullité des impositions qui en découlent.
C’est sur le fondement de cette garantie que la cour examine la situation. Elle rappelle qu’il incombe à l’administration d’établir que l’avis est parvenu en temps utile au contribuable. Le point de départ du contrôle n’est pas l’envoi de l’avis, mais bien la première intervention sur place ou la première demande de renseignements ou de justifications. Dans le cas présent, la cour identifie le début des opérations au courrier du service vérificateur en date du 10 avril 2015, par lequel il proposait un premier entretien et demandait la production de pièces. La question centrale est donc de savoir si l’administration prouve que les contribuables ont reçu l’avis daté du 2 mars 2015 avant ce 10 avril 2015.
**B. Le rejet d’une preuve par présomption**
Face à l’absence de preuve directe de la distribution de l’avis, tel qu’un accusé de réception postal, l’administration fiscale construisait un raisonnement fondé sur des éléments postérieurs. Elle faisait valoir que le conseil des contribuables, dans un courrier du 17 avril 2015, avait indiqué être mandaté pour les représenter dans le cadre du contrôle engagé « suite à avis (…) en date du 2 mars 2015 ». Pour l’administration, cette mention valait reconnaissance de la réception de l’avis. La cour ne suit pas cette analyse et se livre à un examen minutieux de la chronologie des faits. Elle relève en effet que le service vérificateur avait lui-même, dans son courrier du 10 avril 2015 distribué le 15 avril, mentionné l’existence de cet avis du 2 mars.
Dès lors, la cour en déduit logiquement que la référence à l’avis par le conseil le 17 avril n’emporte pas la conviction. Elle souligne que « sa seule mention sous la plume du conseil le 17 avril 2015 n’établit pas que [les contribuables] avaient nécessairement eu connaissance de l’avis du 2 mars 2015 avant le 15 avril précédent ». Autrement dit, le conseil a pu prendre connaissance de l’existence de l’avis du 2 mars non pas parce que ses clients l’avaient reçu initialement, mais parce qu’il était référencé dans le courrier du 10 avril. L’ambiguïté ainsi créée profite au contribuable, car elle empêche l’administration de rapporter une preuve certaine et univoque. Le juge refuse ainsi de transformer un indice fragile en une preuve irréfutable.
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**II. La portée d’une solution protectrice des droits de la défense**
Cette décision, au-delà de sa logique juridique interne, constitue une sanction pragmatique à l’encontre d’une administration défaillante dans sa charge probatoire (A) et s’inscrit, sans innover, dans un courant jurisprudentiel bien établi (B).
**A. La censure d’une administration défaillante dans sa charge probatoire**
En matière de procédure fiscale, la preuve de l’accomplissement des formalités garantissant les droits du contribuable pèse exclusivement sur l’administration. En choisissant de notifier l’avis de vérification par courrier simple, elle a pris le risque de ne pouvoir justifier de sa bonne réception en cas de contestation. La solution la plus sûre, qui aurait prévenu tout litige sur ce point, demeure l’envoi par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. En l’absence d’un tel mode de notification, l’administration doit être en mesure de fournir des éléments de preuve alternatifs mais tout aussi concluants.
La cour se montre ici particulièrement exigeante, et à juste titre. Elle écarte l’argument selon lequel le conseil des contribuables n’aurait soulevé l’irrégularité que tardivement, dans des observations postérieures à la proposition de rectification. Le juge considère en effet que « cette circonstance n’est pas de nature à établir que l’administration a régulièrement notifié l’avis d’examen de situation fiscale personnelle ». Le silence initial du contribuable ou de son conseil sur un vice de procédure ne saurait couvrir l’irrégularité ni inverser la charge de la preuve. Cette position est essentielle à la préservation des droits de la défense, car elle interdit à l’administration de se prévaloir de la passivité ou de la stratégie de son interlocuteur pour pallier sa propre carence.
**B. Une solution d’espèce au fondement jurisprudentiel constant**
La portée de cet arrêt doit être correctement mesurée. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence ni de la création d’un principe nouveau. La décision est avant tout une décision d’espèce, sa solution étant intimement liée à la séquence factuelle très particulière de l’affaire, notamment l’existence de deux courriers administratifs successifs faisant référence au même avis. Dans une autre configuration, la mention de l’avis par le conseil aurait pu être interprétée différemment.
Néanmoins, cet arrêt constitue un rappel utile et ferme de la rigueur attendue de l’administration dans la conduite des procédures de contrôle. Il s’inscrit parfaitement dans la ligne jurisprudentielle du Conseil d’État, qui examine de manière concrète et approfondie les conditions dans lesquelles les garanties du contribuable ont été respectées. En refusant de se contenter d’apparences, la cour administrative d’appel confirme que la protection du contribuable contre l’arbitraire passe par un contrôle scrupuleux du respect des formes. La décision illustre ainsi que, lorsque le doute subsiste sur le respect d’une garantie substantielle, ce doute doit nécessairement bénéficier au contribuable.