Cour d’appel administrative de Paris, le 5 février 2025, n°23PA04717

La Cour administrative d’appel de Paris a rendu le 5 février 2025 une décision précisant les contours de la responsabilité hospitalière lors de l’aggravation d’un préjudice corporel. Une patiente avait subi une intervention cardiaque en 1993 au sein d’un établissement public, laquelle avait entraîné des complications neurologiques et la pose d’un stimulateur cardiaque. Après avoir obtenu plusieurs indemnisations pour des aggravations successives, l’intéressée a saisi le Tribunal administratif de Melun afin d’être réparée des nouveaux troubles apparus en deux mille quatorze. Le premier juge a condamné l’établissement à verser une indemnité calculée sur la base d’une perte de chance de soixante-quinze pour cent de renoncer à l’acte médical. La requérante et l’organisme de sécurité sociale ont relevé appel de ce jugement, invoquant notamment l’autorité de la chose jugée attachée à une précédente décision juridictionnelle. Le litige porte sur l’application de l’autorité de la chose jugée à une demande d’aggravation et sur la détermination du taux de perte de chance en matière d’information médicale. La juridiction rejette l’exception de chose jugée et confirme l’évaluation du préjudice tout en réformant partiellement les montants alloués par le Tribunal administratif de Melun pour certains postes. Le juge précise d’abord les conditions de l’engagement de la responsabilité pour défaut d’information avant de procéder à une évaluation rigoureuse des différents chefs de préjudice.

**I. L’exclusion de l’autorité de la chose jugée et la confirmation de la responsabilité pour faute**

**A. L’absence d’identité d’objet entre le dommage initial et son aggravation postérieure**

L’autorité de la chose jugée ne s’oppose pas à une nouvelle demande indemnitaire lorsque l’objet des prétentions actuelles diffère de celui ayant fait l’objet d’un précédent jugement. La Cour administrative d’appel de Paris rappelle que « l’autorité relative de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité ». Les magistrats observent qu’il n’existe aucune identité d’objet entre l’indemnisation des préjudices subis jusqu’en 1999 et la demande actuelle tendant à réparer l’aggravation constatée depuis octobre deux mille quatorze.

L’exception de chose jugée soulevée par les requérants est donc écartée puisque les préjudices nouveaux n’avaient pas été tranchés par les décisions juridictionnelles antérieures rendues dans cette affaire. Cette distinction entre le dommage initial et ses suites pathologiques imprévisibles permet à la victime de solliciter une réparation complémentaire sans se heurter à l’intangibilité des décisions passées. Cependant, si le fondement de la responsabilité demeure identique, les conséquences indemnitaires doivent faire l’objet d’une analyse spécifique tenant compte du caractère fautif ou non de l’acte médical initial.

**B. La caractérisation d’une perte de chance liée au manquement à l’obligation d’information**

Le juge confirme que l’indication opératoire n’était pas fautive car elle était conforme aux données acquises de la science médicale au moment de l’intervention pratiquée en 1993. Néanmoins, le défaut d’information sur les risques de bloc auriculo-ventriculaire constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement public de santé envers la patiente victime. La Cour administrative d’appel de Paris estime que le Tribunal administratif de Melun a fait une juste appréciation de la chance perdue en la fixant à soixante-quinze pour cent.

Cette solution tient compte du caractère non urgent de l’acte médical et de l’efficacité relative du traitement médicamenteux que la patiente suivait avant d’accepter cette opération de confort. Le manquement à l’obligation d’information ne prive pas la victime de l’intégralité de sa santé mais seulement de la possibilité d’éviter le risque qui s’est finalement réalisé. Une telle approche nécessite ensuite de définir précisément la période durant laquelle les troubles peuvent être rattachés à cette faute initiale plutôt qu’au vieillissement naturel.

**II. Une évaluation rigoureuse des conséquences indemnitaires de l’aggravation médicale**

**A. La délimitation temporelle et matérielle des préjudices imputables à la faute hospitalière**

L’indemnisation doit se limiter aux seuls dommages présentant un lien de causalité direct et certain avec l’aggravation de l’état de santé de la victime constatée en octobre deux mille quatorze. La juridiction d’appel fixe le point de départ de la période indemnisable au 2 octobre 2014, date à laquelle la dysfonction du ventricule a été médicalement établie par l’expertise amiable. Le juge procède à une évaluation précise des besoins en assistance par une tierce personne et du déficit fonctionnel temporaire en appliquant systématiquement le taux de perte de chance retenu.

Le montant total des préjudices personnels de la requérante est ainsi porté à la somme de quatre-vingt-deux mille trois cent quarante-sept euros par la Cour administrative d’appel de Paris. Cette réévaluation comptable intègre la capitalisation des besoins futurs en assistance humaine pour tenir compte de l’âge de la victime et de l’évolution prévisible de sa dépendance physique. Toutefois, cette générosité indemnitaire rencontre des limites strictes lorsque les prétentions des parties ne reposent sur aucun élément médical probant permettant d’établir la causalité avec l’accident médical.

**B. Le rejet des prétentions dépourvues de lien de causalité direct avec l’acte médical litigieux**

Les demandes de l’organisme de sécurité sociale visant le remboursement de prestations antérieures à l’aggravation de deux mille quatorze ne peuvent être accueillies par la juridiction administrative d’appel. Le juge administratif considère que le lien entre le licenciement pour inaptitude survenu en 2013 et la nouvelle détérioration de l’état de santé n’est pas suffisamment établi par les pièces. Par conséquent, la requête de l’organisme de protection sociale est rejetée car elle ne démontre pas que les dépenses réclamées résultent directement de la dernière faute médicale identifiée.

L’arrêt réforme le jugement du Tribunal administratif de Melun en ajustant les sommes allouées tout en maintenant les principes de responsabilité dégagés par les premiers juges du fond. Cette décision illustre la rigueur nécessaire dans l’administration de la preuve lors de litiges portant sur des séquelles médicales s’étendant sur plusieurs décennies de vie. La Cour administrative d’appel de Paris assure ainsi un équilibre entre la protection du droit à réparation intégrale de la victime et la préservation des deniers publics hospitaliers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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