Par un arrêt en date du 5 février 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français notifiée à un ressortissant étranger dont la demande d’asile avait fait l’objet d’un parcours procédural complexe. Cette décision offre un éclairage sur l’articulation entre la fin du droit au maintien sur le territoire au titre de l’asile et la mise en œuvre de la mesure d’éloignement par l’autorité préfectorale.
En l’espèce, un ressortissant kazakh, entré en France en 2012, avait vu sa demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. La Cour nationale du droit d’asile lui avait initialement reconnu la qualité de réfugié par une décision du 29 septembre 2020, mais cette dernière fut annulée par le Conseil d’État le 8 décembre 2021 pour erreur de qualification juridique des faits, en lien avec une clause d’exclusion. Saisie sur renvoi, la Cour nationale du droit d’asile a finalement refusé la reconnaissance de la qualité de réfugié à l’intéressé par une décision du 8 décembre 2022. Fort de cette dernière décision, le préfet de police a édicté, le 27 février 2023, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français. L’étranger a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande par un jugement du 8 novembre 2023. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale méconnaissait son droit d’être entendu, reposait sur une base légale erronée et portait une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.
Il appartenait ainsi à la Cour de déterminer si une obligation de quitter le territoire français peut être légalement édictée à l’encontre d’un étranger suite au rejet définitif de sa demande d’asile par la Cour nationale du droit d’asile, nonobstant l’existence d’un pourvoi en cassation et les garanties procédurales invoquées par l’intéressé.
Par son arrêt du 5 février 2025, la Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle juge que la décision de la Cour nationale du droit d’asile, même si elle fait l’objet d’un pourvoi en cassation non suspensif, met fin au droit de l’étranger de se maintenir sur le territoire et fonde légalement la compétence du préfet pour prendre une mesure d’éloignement. La Cour écarte également les autres moyens soulevés, estimant que le droit d’être entendu a été respecté au cours de la procédure d’asile et que les atteintes aux droits fondamentaux ne sont pas établies.
La solution retenue par la Cour confirme avec fermeté le moment où l’autorité administrative recouvre sa pleine capacité à décider de l’éloignement d’un demandeur d’asile débouté (I). Cette position s’accompagne d’une application rigoureuse des garanties procédurales et des droits fondamentaux de l’étranger, interprétés à la lumière des spécificités de sa situation (II).
I. La confirmation de la compétence préfectorale consécutive au rejet définitif de la demande d’asile
La Cour administrative d’appel fonde sa décision sur une lecture stricte des dispositions régissant la fin du droit au maintien sur le territoire. Elle établit que la décision de la Cour nationale du droit d’asile constitue le point de bascule qui autorise l’action de l’administration, indépendamment des recours ultérieurs (A) et en neutralisant les effets des décisions de justice antérieures devenues caduques (B).
A. L’effet non suspensif du pourvoi en cassation comme fondement de la décision d’éloignement
La Cour rappelle avec force le principe selon lequel la lecture de la décision de la Cour nationale du droit d’asile met un terme au droit de l’étranger de demeurer en France au titre de sa demande d’asile. Ce faisant, elle confère à la décision du préfet une base légale solide, tirée du 4° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’argument central du requérant, qui se prévalait d’un pourvoi en cassation contre la dernière décision de la CNDA, est écarté sans ambiguïté. L’arrêt énonce que « La lecture en audience publique de la décision de la CNDA à l’encontre d’un demandeur d’asile met cependant fin au droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français et permet légalement au préfet de prendre une décision l’obligeant à quitter le territoire français, sans que la circonstance que le demandeur ait introduit un pourvoi en cassation contre la décision de la CNDA, lequel n’a pas d’effet suspensif, puisse y faire obstacle. » Cette affirmation réitère une solution classique, mais elle est ici appliquée à une situation rendue complexe par l’historique procédural de l’affaire. La Cour ancre ainsi la légalité de l’arrêté préfectoral non pas dans l’épuisement de toutes les voies de recours possibles, mais dans la perte du seul titre qui autorisait le séjour de l’étranger.
B. L’inopposabilité des décisions antérieures favorables à l’étranger
Le requérant tentait de tirer argument de la première décision de la Cour nationale du droit d’asile en date du 29 septembre 2020 qui lui avait, dans un premier temps, reconnu la qualité de réfugié. Il soutenait qu’un droit à la délivrance d’un titre de séjour était né de cette décision. La Cour écarte ce moyen en soulignant que ladite décision « a toutefois été annulée par le Conseil d’Etat le 8 décembre 2021 et ne produisait plus d’effet à la date de l’arrêté litigieux ». En affirmant qu’il ne « tient pas de la décision de la CNDA du 29 septembre 2020, qui a été annulée […] un droit à se voir délivrer un titre de séjour en qualité de réfugié », la Cour applique rigoureusement le principe de l’autorité de la chose jugée et les conséquences de l’annulation contentieuse. Une décision annulée est réputée n’avoir jamais existé, emportant avec elle tous les droits qu’elle avait pu créer. Cette analyse, juridiquement orthodoxe, démontre que la situation d’un étranger doit être appréciée au seul regard des décisions de justice définitives et en vigueur au moment où l’administration statue.
II. Une application rigoureuse des garanties procédurales et des droits fondamentaux de l’étranger
Au-delà de la question de la compétence préfectorale, la Cour se livre à un examen des moyens tirés de la violation des droits du requérant. Elle adopte une vision pragmatique du droit d’être entendu (A) et procède à un contrôle concret mais exigeant des atteintes alléguées aux droits substantiels de l’intéressé (B).
A. L’appréciation limitée du droit d’être entendu dans le contentieux de l’éloignement
Face au moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, garanti par le droit de l’Union européenne, la Cour développe un raisonnement en deux temps. Elle rappelle d’abord la portée de ce principe, qui impose à l’autorité de mettre l’intéressé à même de présenter ses observations. Cependant, elle en limite la portée en considérant qu’il n’implique pas une audition systématique. La Cour juge que ce droit « ne saurait cependant être interprété en ce sens que l’autorité nationale est tenue, dans tous les cas, d’entendre l’intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause ». En l’espèce, elle estime que la procédure d’asile, et notamment l’entretien mené dans ce cadre, a satisfait à cette exigence. Cette approche considère la procédure d’asile et la procédure d’éloignement qui en découle comme un ensemble intégré, au sein duquel les garanties offertes au premier stade peuvent suffire à éclairer l’administration pour le second. Cette solution, si elle est économiquement et administrativement rationnelle, pourrait néanmoins faire l’objet de débats quant à la spécificité des enjeux attachés à une mesure d’éloignement, distincts de ceux liés à la demande de protection.
B. Le rejet des atteintes alléguées aux droits substantiels
La Cour examine successivement les griefs tirés de la méconnaissance des articles 8 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Concernant le droit au respect de la vie privée et familiale, elle relève que le requérant « n’établit ni la durée de sa présence sur le territoire, ni l’intensité des liens qu’il y aurait tissés », plaçant ainsi la charge de la preuve sur ce dernier et concluant à l’absence d’atteinte disproportionnée. S’agissant des risques de traitements inhumains et dégradants, la Cour note que l’arrêté d’éloignement exclut explicitement le pays d’origine du requérant et que celui-ci n’établit pas de risques personnels et actuels dans d’autres pays. Enfin, l’argument tiré de l’incompatibilité de l’arrêté avec une mesure de contrôle judiciaire est balayé, la Cour jugeant que « L’existence d’une mesure de contrôle judiciaire est par suite sans incidence sur la légalité de l’arrêté litigieux ». Cette position distingue la légalité de l’acte administratif de ses modalités d’exécution, lesquelles devront nécessairement respecter les décisions de l’autorité judiciaire. L’ensemble de ces rejets témoigne d’une approche factuelle et d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation qui laisse une marge d’action importante à l’administration.