Par un arrêt en date du 6 mars 2025, une cour administrative d’appel a précisé le régime des prélèvements sociaux applicables aux produits des contrats d’assurance-vie en unités de compte lors du décès de leur souscripteur. Cette décision offre un éclaircissement notable sur l’articulation entre le fait générateur de l’imposition et la détermination de la personne légalement tenue de l’acquitter.
En l’espèce, une personne était désignée comme la bénéficiaire de plusieurs contrats d’assurance-vie souscrits par une assurée résidant en France. Au décès de cette dernière en 2018, la bénéficiaire a perçu les capitaux prévus, desquels ont été déduits des prélèvements sociaux à hauteur de 345 948 euros par les organismes assureurs. La bénéficiaire a contesté cette imposition et a saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande en décharge. Par un jugement du 10 janvier 2023, sa demande fut rejetée. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la dette de prélèvements sociaux était une dette personnelle de la défunte et non la sienne. Elle arguait également que le dispositif légal, faute de désigner expressément le redevable, méconnaissait les exigences de clarté de la loi fiscale issues de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si les dispositions légales organisant la perception des prélèvements sociaux au décès du souscripteur d’une assurance-vie étaient suffisamment précises pour identifier le redevable de l’imposition. De surcroît, la cour devait examiner si, en l’absence d’une telle précision, le prélèvement opéré sur le capital versé au bénéficiaire portait une atteinte illégitime à son droit au respect de ses biens.
La cour administrative d’appel rejette la requête en considérant que les dispositions combinées du code de la sécurité sociale et du code général des impôts désignent suffisamment le souscripteur décédé comme étant le redevable légal de la contribution. Elle en déduit que le mécanisme d’imposition ne contrevient pas aux stipulations conventionnelles protégeant le droit de propriété. Ainsi, la cour valide le raisonnement des premiers juges et confirme le bien-fondé du prélèvement.
Cette solution conduit à s’interroger sur la manière dont le juge administratif identifie le redevable d’une imposition en l’absence de désignation explicite par le législateur (I), avant d’analyser les conséquences de cette qualification sur la charge finale de l’impôt (II).
***
I. La confirmation du souscripteur décédé comme redevable des prélèvements sociaux
La cour fonde sa décision sur une lecture combinée des textes pour identifier le redevable de la contribution (A), ce qui lui permet d’écarter le grief d’inconventionnalité tiré du manque de prévisibilité de la loi (B).
A. Une clarification bienvenue du fait générateur et de l’identité du redevable
La requérante soutenait que le prélèvement était illégal au motif que l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale resterait silencieux quant à l’identité de la personne tenue de l’acquitter. Face à cette ambiguïté, la cour opère une analyse systémique du dispositif. Elle ne se limite pas à la lettre du code de la sécurité sociale mais l’articule avec les dispositions de l’article 125 A du code général des impôts, auquel il renvoie pour les modalités de recouvrement. C’est de cette lecture d’ensemble que le juge déduit une solution claire en affirmant que « si le fait générateur de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine issus des contrats d’assurance-vie en unités de compte est le décès du souscripteur du contrat, celui-ci en est également le redevable ».
Le raisonnement opéré est classique en droit fiscal, où l’identité du redevable coïncide le plus souvent avec la personne qui réalise le fait générateur de l’impôt. Ici, les produits et plus-values d’un contrat d’assurance-vie en unités de compte sont définitivement acquis par le souscripteur à son décès, moment où le contrat se dénoue. C’est donc bien dans le patrimoine de ce dernier que le gain imposable se cristallise, juste avant que le capital ne soit transmis hors succession au bénéficiaire désigné. La solution de la cour apparaît donc comme une application rigoureuse de la logique fiscale, qui attache l’imposition à l’enrichissement du contribuable. En qualifiant le souscripteur décédé de redevable, la cour apporte une sécurité juridique appréciable à une question qui pouvait susciter des doutes.
B. Le rejet logique du grief d’inconventionnalité
Une fois le principe de l’assujettissement du souscripteur posé, la cour examine la conformité du dispositif à l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La requérante faisait valoir que l’imprécision de la loi portait atteinte à son droit au respect de ses biens, car une ingérence de l’État dans ce droit doit être prévue par une loi suffisamment accessible et prévisible.
La cour écarte ce moyen en jugeant que « l’économie du dispositif prévu par les articles précédemment cités » permettait de déterminer sans équivoque le redevable. Dès lors que la loi, interprétée à la lumière de ses dispositions connexes et de sa logique interne, n’est pas jugée ambiguë, l’exigence de prévisibilité est satisfaite. Le prélèvement opéré sur le capital versé ne constitue donc pas une privation de propriété illégitime pour la bénéficiaire, mais la simple conséquence d’un mécanisme d’imposition jugé conforme aux exigences conventionnelles. Le rejet du moyen apparaît ainsi comme la conséquence directe et inévitable de la clarification opérée quant à l’identité du redevable. La décision confirme que le silence d’un texte n’équivaut pas à une absence de norme, lorsque l’interprétation systémique permet de dégager une règle claire.
Cette clarification du régime juridique de l’imposition emporte des conséquences notables quant à la validité du mode de recouvrement et à la charge finale de la contribution.
***
II. La portée d’une solution protectrice des finances publiques
En validant l’identification du souscripteur comme redevable, la cour consacre l’efficacité du mécanisme de recouvrement à la source (A), tout en se montrant indifférente à la question de la charge économique finale de l’imposition (B).
A. La consécration d’un mécanisme de recouvrement efficace
L’arrêt valide implicitement mais nécessairement le procédé du prélèvement à la source effectué par l’organisme assureur. Bien que le souscripteur décédé soit le redevable légal, sa dette est acquittée par un tiers payeur, l’assureur, qui se charge de verser la contribution à l’administration fiscale avant de distribuer le solde du capital au bénéficiaire. Ce mécanisme est d’une grande efficacité pour les finances publiques, car il garantit le paiement de l’impôt avant même que les fonds ne quittent le circuit financier institutionnel. Il évite à l’administration fiscale d’avoir à poursuivre le recouvrement de sa créance auprès de la succession du défunt, procédure qui pourrait s’avérer complexe et incertaine.
En jugeant que le dispositif dans son ensemble est suffisamment précis, la cour conforte une pratique administrative et financière établie. La solution s’inscrit dans une logique pragmatique qui privilégie la simplicité et la sécurité du recouvrement de l’impôt. Elle reconnaît que la désignation du redevable n’interdit pas au législateur de mettre en place des modalités de paiement qui assurent le respect des obligations fiscales par l’intermédiaire de tiers détenteurs des fonds. Cette approche réaliste renforce la position de l’État collecteur sans pour autant créer une nouvelle catégorie de redevables.
B. Une solution indifférente à la charge économique finale de l’imposition
Si la cour distingue clairement le redevable légal, en la personne du défunt, elle ne se prononce pas sur la répercussion économique de la contribution. En pratique, le prélèvement à la source opéré par l’assureur diminue d’autant le capital net versé à la bénéficiaire. C’est donc bien cette dernière qui, économiquement, supporte le poids de l’impôt, alors même qu’elle n’en est pas la redevable légale. La décision commentée ne remet pas en cause cet effet économique. Elle se cantonne à une analyse juridique de la détermination du débiteur de l’obligation fiscale, sans examiner l’équité de la répartition de la charge finale de l’impôt.
Cet arrêt illustre ainsi parfaitement la distinction, fondamentale en droit fiscal, entre le redevable légal et le contribuable réel, celui qui supporte in fine le coût de l’imposition. En se focalisant sur la validité formelle du dispositif, la cour laisse entière la question de savoir si le législateur a entendu faire peser cette charge sur le bénéficiaire. La solution, juridiquement fondée, peut apparaître comme sévère pour la bénéficiaire, qui voit son émolument réduit d’une dette qui n’est pas la sienne. Toutefois, il n’appartient pas au juge administratif de se substituer au législateur pour modifier les effets économiques d’un mécanisme d’imposition qu’il juge par ailleurs légal et conventionnel.