Par un arrêt en date du 7 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur la recevabilité d’une requête d’appel formée contre une ordonnance de désistement d’office rendue par un tribunal administratif. En l’espèce, un ressortissant étranger avait sollicité l’annulation d’un arrêté préfectoral rejetant sa demande de titre de séjour et l’obligeant à quitter le territoire français. Saisi du recours, le tribunal administratif de Paris avait, par une ordonnance, donné acte au requérant de son désistement. Ce dernier a alors interjeté appel de cette ordonnance, en développant des moyens de fond dirigés exclusivement contre l’arrêté préfectoral initial, mais sans contester les motifs de l’ordonnance de désistement. Le préfet, en défense, a soulevé une fin de non-recevoir tirée du défaut de motivation de la requête d’appel.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si une requête d’appel, qui omet de critiquer l’ordonnance de première instance et se contente de réitérer les moyens de fond, est recevable au regard des exigences procédurales.
La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête comme irrecevable. Elle juge que l’appelant, en n’invoquant « aucun moyen dirigé contre l’ordonnance attaquée et, notamment, quant au motif retenu par la présidente de la formation de jugement », a méconnu les dispositions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative. La Cour précise que ce défaut de motivation n’ayant pas été régularisé dans le délai d’appel, la fin de non-recevoir doit être accueillie. Cette décision illustre la rigueur du formalisme en contentieux administratif (I), tout en servant de rappel sur les conséquences de son inobservation pour le requérant (II).
***
I. L’application rigoureuse des conditions de recevabilité de l’appel
La solution retenue par la Cour administrative d’appel repose sur une lecture stricte des textes régissant la procédure contentieuse. Elle rappelle d’une part l’obligation pour l’appelant de critiquer le jugement de première instance (A), et d’autre part le caractère non régularisable du défaut de motivation après l’expiration du délai d’appel (B).
A. L’obligation de critiquer la décision de première instance
L’effet dévolutif de l’appel n’autorise pas les parties à soumettre au juge un litige entièrement nouveau, mais vise à obtenir la réformation ou l’annulation d’une décision juridictionnelle antérieure. Par conséquent, la requête d’appel doit nécessairement comporter une critique du jugement attaqué, en exposant les raisons pour lesquelles celui-ci serait mal fondé en fait ou en droit. En l’espèce, la Cour relève que le requérant « invoque exclusivement des moyens au soutien de sa demande d’annulation de l’arrêté en date du 15 février 2024 ».
Ce faisant, il se méprend sur l’objet même de son recours, qui ne peut porter que sur l’ordonnance du 23 avril 2024 ayant constaté son désistement. En omettant de contester la régularité ou le bien-fondé de cette ordonnance, l’appelant prive son recours de son objet essentiel, à savoir la censure du premier juge. La Cour ne fait ici qu’appliquer la logique fondamentale des voies de recours, qui exigent une contestation effective de la décision dont il est fait appel.
B. Le caractère non régularisable du défaut de motivation après l’expiration du délai d’appel
Le code de justice administrative encadre strictement la possibilité de régulariser une requête. L’article R. 411-1 dispose que « l’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours ». La sanction est donc l’irrecevabilité de la requête si aucune argumentation n’est produite avant l’échéance de ce délai.
Dans la présente affaire, la Cour prend soin de vérifier la date à laquelle le délai d’appel a commencé à courir, soit au plus tard le 30 avril 2024, pour en déduire qu’il expirait le 31 mai 2024 à minuit. Elle constate que « ce défaut de moyen dirigé contre le motif retenu par la première juge n’a pas fait l’objet d’une régularisation » dans le temps imparti. Cette approche formaliste, loin d’être un excès de procédure, garantit la sécurité juridique en fixant une limite temporelle claire à la cristallisation des moyens, empêchant ainsi que le débat contentieux ne s’éternise.
***
II. La portée pédagogique d’un formalisme procédural implacable
Au-delà de cette application orthodoxe des textes, la décision révèle la portée d’un tel formalisme. Celui-ci se justifie par la nécessité d’une bonne administration de la justice (A), mais sa mise en œuvre emporte des conséquences sévères pour le justiciable qui le méconnaît (B).
A. La justification du formalisme par la bonne administration de la justice
Le formalisme procédural n’est pas une fin en soi, mais un outil au service de l’efficacité et de la clarté du procès administratif. En exigeant que l’appelant concentre son argumentation sur la critique du premier jugement, le juge d’appel s’assure que son office ne consiste pas à rejuger l’affaire dans son intégralité, mais bien à contrôler la décision rendue. Cette exigence de motivation pertinente permet de structurer le débat et d’éviter des manœuvres dilatoires.
L’irrecevabilité prononcée en l’espèce sanctionne une requête qui, en se focalisant sur le fond du litige déjà éteint en première instance par un désistement, ignore la seule question pertinente : celle de la validité de cette ordonnance. La solution, bien que sévère, est donc cohérente avec le rôle du juge d’appel et la nécessité de préserver la bonne organisation des instances contentieuses. Elle contraint les parties à un dialogue juridique précis et ciblé.
B. Une sanction sévère au service de la sécurité juridique
La portée de cet arrêt est avant tout pédagogique. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais d’une décision d’espèce qui applique une solution constante. Elle rappelle aux justiciables et à leurs conseils que la procédure contentieuse est jalonnée d’exigences dont l’inobservation peut être fatale à leurs prétentions. La conséquence pour le requérant est en effet radicale : son recours est rejeté sans que le fond de son affaire, à savoir son droit au séjour, ne soit examiné.
Cette décision met en lumière le risque, pour un plaideur, de se concentrer exclusivement sur les aspects matériels de son dossier au détriment des règles de procédure. L’arrêt souligne implicitement que le droit au recours ne saurait s’exercer en dehors du cadre formel qui le régit. La rigueur de la sanction, si elle peut paraître disproportionnée au regard de l’enjeu humain sous-jacent, constitue le corollaire indispensable à la garantie de la prévisibilité et de la stabilité des situations juridiques.