Par un arrêt en date du 7 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une décision préfectorale portant obligation de quitter le territoire français assortie de diverses mesures complémentaires. Cet arrêt illustre la distinction opérée par le juge administratif entre les différents actes composant une mesure d’éloignement, tout en précisant la portée temporelle des éléments de preuve pouvant être invoqués à l’encontre de la décision fixant le pays de renvoi.
En l’espèce, un ressortissant camerounais, présent en France depuis 2003, a fait l’objet le 31 janvier 2024 d’une décision du préfet de l’Essonne l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le Cameroun comme pays de destination et prononçant une interdiction de retour de trois ans. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par un jugement du 21 février 2024, le tribunal a rejeté sa requête. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens d’illégalité à l’encontre de l’obligation de quitter le territoire, du refus de délai de départ volontaire, de la décision fixant le pays de destination et de l’interdiction de retour. Il faisait notamment valoir que son état de santé ne lui permettait pas de retourner dans son pays d’origine, s’appuyant sur un avis médical émis postérieurement à la décision contestée.
Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un avis médical, établi après l’édiction d’une mesure d’éloignement mais attestant de l’impossibilité pour un étranger de bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine, pouvait affecter la légalité de la décision fixant ce pays comme destination.
La cour administrative d’appel de Paris a répondu à cette question par l’affirmative, mais de manière nuancée. Elle juge que si l’obligation de quitter le territoire français demeure légale, la décision fixant le pays de destination doit quant à elle être annulée. Pour ce faire, elle admet la recevabilité d’un avis médical postérieur en tant qu’il révèle une situation de santé préexistante à la décision, violant ainsi l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La cour confirme ainsi la légalité de l’obligation d’éloignement tout en sanctionnant le choix du pays de renvoi en raison des risques sanitaires avérés.
Cette solution conduit à examiner d’une part la validation par le juge d’une obligation de quitter le territoire formellement régulière (I), et d’autre part l’annulation ciblée de la décision de renvoi fondée sur un risque vital (II).
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I. La validation d’une obligation de quitter le territoire français formellement régulière
La cour administrative d’appel confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français en écartant les moyens de légalité externe soulevés par le requérant (A), puis en opérant une stricte dissociation entre la mesure d’éloignement elle-même et les risques sanitaires encourus dans le pays de destination (B).
A. Le rejet des moyens de légalité externe
Le requérant contestait en premier lieu la compétence de l’auteur de l’acte, l’insuffisante motivation de la décision ainsi que le défaut d’examen de sa situation personnelle. La cour écarte ces arguments de manière classique, en s’appuyant sur les pièces du dossier. Elle constate l’existence d’une délégation de signature régulière au profit du signataire de l’arrêté, rendant le moyen tiré de l’incompétence inopérant en fait.
Ensuite, concernant la motivation, la cour relève que la décision « comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ». Elle précise que l’argument du requérant selon lequel le préfet aurait dû « anticiper » un avis médical futur est sans incidence, la légalité d’un acte administratif, et notamment le caractère suffisant de sa motivation, s’appréciant à la date de son édiction. Ce raisonnement est logiquement étendu au moyen tiré du défaut d’examen de la situation, les deux étant intrinsèquement liés. La cour adopte ici une position orthodoxe, refusant de faire peser sur l’administration une obligation de divination quant aux pièces qui pourraient être produites ultérieurement par l’administré.
B. La dissociation opérée entre l’obligation d’éloignement et le risque sanitaire
Le point le plus significatif du raisonnement de la cour quant à l’obligation de quitter le territoire réside dans son refus de prendre en compte les arguments relatifs à l’état de santé du requérant. L’intéressé invoquait la méconnaissance de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en raison des risques encourus pour sa santé.
La cour déclare ce moyen inopérant en affirmant que le requérant « ne peut utilement invoquer […] l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales […] au soutien de ses conclusions dirigées contre l’obligation de quitter le territoire français, qui ne fixe, par elle-même, aucun pays de destination ». Elle opère une scission claire entre l’acte ordonnant le départ du territoire et celui qui en fixe la destination. Seul ce dernier peut faire l’objet d’un contrôle au regard des risques de traitements inhumains ou dégradants, l’obligation de quitter le territoire étant une mesure de police administrative dont la légalité est appréciée indépendamment de ses modalités d’exécution. Cette distinction, bien établie en jurisprudence, permet de préserver la portée de l’obligation d’éloignement tout en concentrant le contrôle des droits fondamentaux sur l’acte qui a un effet direct sur la situation de la personne.
Si l’obligation de quitter le territoire est ainsi jugée légale, la cour administrative d’appel adopte une approche différente pour la décision fixant le pays de destination, en lui appliquant un contrôle bien plus concret.
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II. L’annulation ciblée de la décision de renvoi fondée sur un risque vital
La cour annule la décision fixant le Cameroun comme pays de destination en se fondant sur un élément de preuve postérieur à l’acte attaqué (A), consacrant ainsi une protection effective du droit à la vie et à la santé de l’étranger (B).
A. La prise en compte d’un élément de preuve postérieur à la décision attaquée
La particularité de l’arrêt réside dans l’accueil fait à l’avis de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) du 6 mars 2024, soit plus d’un mois après la décision préfectorale du 31 janvier 2024. Cet avis concluait que l’état de santé du requérant nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’un traitement approprié n’était pas disponible au Cameroun.
La cour, après avoir requalifié le moyen initialement dirigé contre l’OQTF comme visant en réalité la décision fixant le pays de renvoi, admet la pertinence de cet avis postérieur. Elle juge en effet que si cet avis « est postérieur à la décision attaquée, il est toutefois de nature à révéler une situation antérieure ou concomitante à celle-ci ». Par cette formule, le juge administratif s’autorise à prendre en considération un document postérieur dès lors qu’il éclaire la situation de fait telle qu’elle existait à la date de la décision. Il ne s’agit pas d’un contrôle des faits à la date à laquelle le juge statue, mais d’une appréciation a posteriori de la situation prévalant au moment de l’acte, à la lumière de nouvelles preuves. Cette approche pragmatique permet de ne pas ignorer un élément déterminant pour l’application de l’article 3 de la Convention européenne.
B. La protection effective du droit à la vie et à la santé
En annulant la décision fixant le pays de destination, la cour administrative d’appel fait prévaloir une protection substantielle des droits fondamentaux sur une approche purement formelle. Elle conclut qu’au regard de la teneur de l’avis médical et des risques encourus, la décision du préfet méconnaît les stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’interdiction des traitements inhumains ou dégradants inclut en effet, selon une jurisprudence constante, le renvoi d’un étranger gravement malade vers un pays où il ne pourrait pas recevoir les soins appropriés.
Cette décision, tout en étant une décision d’espèce, réaffirme la rigueur du contrôle exercé par le juge sur les décisions de renvoi lorsque des risques vitaux sont allégués. Elle démontre que la dissociation juridique entre les différents actes d’une mesure d’éloignement n’empêche pas un contrôle concret de leurs conséquences. En pratique, l’annulation de la seule décision de destination a pour effet de paralyser l’exécution de l’éloignement vers le Cameroun, obligeant le préfet soit à ne pas exécuter la mesure, soit à trouver un autre pays d’accueil, hypothèse souvent théorique. L’arrêt illustre ainsi la capacité du juge administratif à moduler sa censure pour garantir l’effectivité des droits fondamentaux sans pour autant remettre en cause l’intégralité du dispositif d’éloignement.