Cour d’appel administrative de Toulouse, le 1 juillet 2025, n°23TL02835

Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse se prononce sur les conditions d’octroi d’une pension militaire d’invalidité. En l’espèce, un militaire a sollicité la concession d’une telle pension au titre de séquelles au genou droit, qu’il estimait imputables à un accident survenu en service. L’administration a rejeté sa demande, une décision confirmée par la commission de recours de l’invalidité, au motif que l’infirmité était principalement liée à un état antérieur. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Toulouse a, après avoir ordonné une expertise médicale, annulé ce refus et fixé un taux d’invalidité de 11,25 %. Le ministre des armées a interjeté appel de ce jugement, en invoquant une contradiction de ses motifs et une surévaluation du lien avec le service. Le militaire a formé un appel incident, demandant que le taux d’invalidité soit porté à 15 %. La cour administrative d’appel, constatant l’irrégularité du jugement de première instance en raison d’une contrariété entre ses motifs et son dispositif, l’annule et évoque l’affaire pour statuer au fond. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si un militaire, ne bénéficiant pas de la présomption d’imputabilité, peut établir le lien de causalité direct entre son infirmité et un fait de service malgré un état antérieur, et de définir les modalités de calcul du taux d’invalidité ouvrant droit à pension. La cour répond par l’affirmative, en considérant que l’expertise médicale suffit à prouver l’imputabilité au service de la part prépondérante de l’infirmité et, après calcul du taux en résultant, l’arrondit à l’échelon supérieur conformément aux dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre.

L’arrêt permet ainsi de réaffirmer le rôle central de la preuve médicale dans l’établissement du droit à pension (I), avant de procéder à une application rigoureuse des règles de liquidation de celle-ci (II).

I. La réaffirmation du rôle de la preuve médicale dans l’établissement du droit à pension

La cour rappelle d’abord la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur en l’absence de présomption légale (A), pour ensuite consacrer le caractère déterminant du rapport d’expertise dans l’appréciation de l’imputabilité (B).

A. L’absence de présomption d’imputabilité et la charge de la preuve

La décision prend soin de rappeler le cadre juridique applicable en matière de pensions militaires d’invalidité. Le juge souligne que le militaire ne peut se prévaloir de la présomption d’imputabilité au service, celle-ci étant réservée à des contextes spécifiques tels que les services accomplis en temps de guerre ou lors d’opérations extérieures. En l’occurrence, l’accident s’est produit en dehors de ces circonstances particulières. En conséquence, il appartient au demandeur « de rapporter la preuve de l’existence d’une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu’il invoque et un fait précis de service ». Le juge précise que cette preuve ne saurait se contenter « d’une hypothèse médicale, ni d’une vraisemblance, ni d’une probabilité, aussi forte soit-elle ». Cette exigence jurisprudentielle constante impose au requérant de fournir des éléments probants et objectifs pour établir le lien de causalité, le simple fait que l’infirmité soit apparue durant le service étant insuffisant.

B. Le caractère déterminant de l’expertise médicale

Face à cette exigence probatoire, l’expertise médicale ordonnée par les premiers juges s’est avérée décisive. La cour administrative d’appel s’approprie les conclusions de l’expert pour fonder sa propre conviction. Ce dernier avait établi que « la rupture du ligament croisé postérieur (…) est directement liée à l’accident de service », et que l’état antérieur du requérant ne constituait qu’un « épiphénomène ». Le rapport chiffre la part de l’accident de service à 75 % dans la genèse des séquelles. En s’appuyant sur ces éléments circonstanciés, la cour estime que « la preuve que l’infirmité est rattachable à un fait de service (…) doit être regardée comme établie ». Cette approche illustre la pleine compétence du juge de plein contentieux, qui, loin de s’en tenir aux appréciations initiales de l’administration, forge sa propre opinion à partir des éléments techniques qui lui sont soumis, et ce, même en présence de certificats médicaux contradictoires.

II. L’application rigoureuse des règles de liquidation de la pension

Une fois le droit à pension reconnu dans son principe, il restait à en fixer le montant exact. La cour procède à une détermination souveraine du taux d’invalidité imputable (A), avant de faire une application mécanique des règles d’arrondi prévues par le code (B).

A. La détermination du taux d’invalidité imputable au service

Le juge administratif se livre à un calcul précis pour quantifier la part de l’invalidité ouvrant droit à réparation. Il part du taux d’invalidité global de 15 %, qui avait été fixé par le médecin de l’administration et n’était pas contesté. À ce taux global, il applique la proportion de 75 % d’imputabilité au service, telle qu’établie par le rapport d’expertise. Ce calcul aboutit à un taux d’invalidité indemnisable de 11,25 %. La démarche de la cour témoigne d’une volonté de ne fonder sa décision que sur des éléments objectifs et chiffrés, en combinant les données issues du dossier administratif et celles provenant de l’expertise judiciaire. Elle confirme ainsi son office, qui consiste non seulement à annuler une décision illégale, mais aussi à réformer la situation du requérant en définissant précisément ses droits.

B. L’application du mécanisme d’arrondi à l’échelon supérieur

Le taux de 11,25 % étant ainsi fixé, la cour applique ensuite les dispositions de l’article L. 125-3 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Ce texte dispose que « quand l’invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l’intéressé bénéficie du taux afférent à l’échelon supérieur », les échelons étant fixés de cinq en cinq. Par une application stricte de cette règle d’ordre public, le taux de 11,25 % est donc porté à 15 %. Le requérant obtient ainsi un taux de pension égal au taux de son invalidité globale, ce qui illustre l’effet potentiellement très favorable de ce mécanisme pour le pensionné. Faisant plein usage de ses pouvoirs, le juge enjoint enfin au ministre de procéder à la liquidation de la pension sur cette base, assortissant son injonction de délais et du paiement des intérêts, ce qui parachève la reconnaissance complète des droits de l’administré.

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