Cour d’appel administrative de Toulouse, le 10 avril 2025, n°23TL01651

Par un arrêt du 10 avril 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur la légalité du renouvellement d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique contenant du glyphosate. En l’espèce, une association de protection de l’environnement a demandé l’annulation de la décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en date du 30 septembre 2020, renouvelant l’autorisation de mise sur le marché du produit « Touchdown Forêt ». Par un jugement du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier a fait droit à cette demande en annulant la décision précitée. L’ANSES ainsi que la société titulaire de l’autorisation ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’évaluation du produit était complète au regard des connaissances scientifiques et que le principe de précaution n’avait pas été méconnu. L’association intimée a conclu au rejet des requêtes, arguant notamment d’une méconnaissance du principe de précaution et d’une évaluation insuffisante des risques pour la santé et l’environnement. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si l’autorité administrative, pour renouveler une autorisation de mise sur le marché, pouvait se dispenser d’analyser un risque spécifiquement visé par la réglementation européenne au motif qu’aucune méthodologie d’évaluation harmonisée n’existerait à ce jour. La cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté les requêtes de l’agence et de la société, confirmant ainsi l’annulation de la décision. Si la cour a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution, estimant que les éléments produits n’établissaient pas l’existence d’un risque de dommage grave et irréversible, elle a en revanche jugé que l’autorisation était illégale. En effet, elle a constaté que l’ANSES n’avait pas procédé à une évaluation effective du risque pour la diversité et l’abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés, une analyse pourtant expressément requise par le droit de l’Union européenne.

Cet arrêt illustre la dualité du contrôle juridictionnel en matière de police sanitaire, où la censure peut reposer sur des fondements distincts. D’une part, la cour procède à un recadrage de l’application du principe de précaution, en le confinant à des hypothèses de risque solidement étayées (I). D’autre part, et de manière décisive, elle sanctionne fermement une carence dans l’évaluation d’un risque environnemental spécifiquement identifié par les textes (II).

I. Le recadrage de l’application du principe de précaution

La cour administrative d’appel a d’abord infirmé le raisonnement des premiers juges en écartant l’application du principe de précaution. Pour ce faire, elle a strictement apprécié les conditions de sa mise en œuvre, en se fondant sur une analyse des données scientifiques disponibles (A) qui circonscrit la portée de son contrôle sur ce point (B).

A. Le rejet d’un risque fondé sur l’état des connaissances scientifiques

La cour opère une revue détaillée des évaluations menées par les différentes agences sanitaires compétentes. Elle rappelle que ni l’Autorité européenne de sécurité des aliments, ni l’Agence européenne des produits chimiques, ni l’ANSES elle-même, n’ont conclu, au vu des données disponibles, à un caractère cancérogène avéré ou présumé du glyphosate pour l’être humain. En s’appuyant sur ces avis concordants, la juridiction estime que l’association requérante n’apporte pas « aucun élément précis et circonstancié de nature à accréditer l’hypothèse, en l’état des données disponibles à la date de la décision contestée, d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé ». Cette motivation révèle une approche rigoureuse de la charge de la preuve. Il ne suffit pas d’invoquer l’existence de controverses ou d’études scientifiques pour déclencher l’application du principe de précaution ; il appartient à celui qui s’en prévaut de démontrer la plausibilité d’un risque spécifique et grave, ce qui n’a pas été jugé comme étant le cas en l’espèce.

B. La portée circonscrite du contrôle du juge sur le principe

En jugeant que le principe de précaution n’avait pas été méconnu, la cour rappelle les limites de son office. Le contrôle du juge administratif ne consiste pas à se substituer à l’administration pour arbitrer des débats scientifiques. Il se borne à vérifier que l’autorité compétente a procédé à une évaluation complète et sérieuse des risques à la lumière des connaissances les plus récentes, et qu’elle n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation des mesures à prendre. La décision énonce clairement la méthodologie du contrôle : le juge vérifie d’abord si « l’application du principe de précaution est justifiée », puis s’assure « de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en œuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution ». En l’absence d’éléments accréditant l’hypothèse d’un risque grave et irréversible, la première condition n’était pas remplie, ce qui a suffi à écarter le moyen. Cette solution confirme que le principe de précaution n’est pas un principe de blocage systématique face à l’incertitude, mais un outil de gestion des risques conditionné à l’existence d’indices suffisamment sérieux.

Après avoir écarté le moyen qui avait fondé l’annulation en première instance, la cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, a examiné les autres arguments soulevés et a finalement confirmé l’annulation sur un autre fondement, lié à une insuffisance de l’évaluation des risques environnementaux.

II. La sanction d’une évaluation lacunaire du risque environnemental

L’annulation de l’autorisation de mise sur le marché est en définitive prononcée en raison d’un vice de procédure substantiel. La cour constate que l’évaluation menée par l’ANSES est incomplète, affirmant ainsi le caractère impératif d’une obligation d’évaluation spécifique prévue par le droit de l’Union (A), sans que l’administration puisse se prévaloir d’une absence de cadre méthodologique harmonisé pour s’y soustraire (B).

A. L’affirmation d’une obligation d’évaluation spécifique et inconditionnelle

La cour fonde sa censure sur une disposition précise du règlement d’exécution (UE) n° 2017/2324, qui impose aux États membres d’accorder « une attention particulière » au « risque pour la diversité et l’abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques ». Or, il ressortait des pièces du dossier, et notamment des propres conclusions de l’évaluation de l’ANSES, que la société demanderesse n’avait « fourni aucune information permettant d’évaluer le risque » en question. L’agence a donc délivré son autorisation sans disposer d’aucune analyse sur ce point. Pour la cour, cette carence constitue une violation directe de l’obligation de vigilance imposée par le règlement. L’exigence d’une « attention particulière » n’est pas une simple clause de style, mais bien une condition substantielle de la légalité de l’autorisation, dont le non-respect vicie la décision.

B. Le refus de subordonner l’obligation nationale à un développement procédural européen

L’argument principal de l’ANSES pour justifier cette absence d’évaluation était qu’une méthodologie appropriée n’avait pas encore été validée au niveau européen. La cour rejette fermement cette défense en affirmant que l’obligation d’évaluation « n’est subordonnée, par aucun texte, à la validation d’une méthodologie au niveau européen ». Cette prise de position est d’une grande portée. Elle signifie qu’une autorité nationale ne peut se retrancher derrière une éventuelle inertie des institutions de l’Union pour se délier de ses obligations. L’obligation d’évaluer le risque existe de manière autonome et il incombe à l’autorité compétente de la mettre en œuvre avec les moyens scientifiques et techniques dont elle dispose, même en l’absence de lignes directrices harmonisées. En reportant cette évaluation à une phase post-autorisation, conditionnée à la future adoption d’une méthodologie, l’ANSES a méconnu l’étendue de ses responsabilités. Elle se devait de procéder elle-même à cette analyse, quitte à imposer des mesures de réduction des risques ou, à défaut, à refuser l’autorisation si l’incertitude sur ce point précis était trop grande.

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Hassan KOHEN
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