Cour d’appel administrative de Toulouse, le 11 septembre 2025, n°23TL02858

Par une décision en date du 11 septembre 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un arrêté préfectoral refusant la délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant étranger et l’obligeant à quitter le territoire français. Un ressortissant algérien, entré en France en 2017 et père de deux enfants de nationalité française, avait sollicité la délivrance d’un certificat de résidence. Sa situation personnelle était cependant marquée par un passé pénal, incluant deux condamnations dont une pour des faits de harcèlement sur sa conjointe, ayant entraîné son incarcération.

Saisi de la demande de titre de séjour, le préfet a opposé un refus, assorti d’une obligation de quitter le territoire français sans délai et d’une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Un recours en annulation a été formé contre cet arrêté devant le tribunal administratif de Nîmes, lequel a rejeté la demande par un jugement du 9 novembre 2023. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaissait l’intérêt supérieur de ses enfants. Il appartenait donc au juge d’appel de déterminer si la menace pour l’ordre public constituée par le comportement d’un ressortissant étranger, père d’enfants français, pouvait légalement justifier un refus de séjour et une mesure d’éloignement sans porter une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale et à l’intérêt supérieur de ses enfants.

La cour administrative d’appel a rejeté la requête, estimant que la décision du préfet était fondée. Elle a considéré que la menace pour l’ordre public, caractérisée par les condamnations pénales du requérant, et l’absence de preuves suffisantes établissant la réalité et la stabilité de ses liens familiaux, justifiaient les mesures prises à son encontre, lesquelles ne constituaient pas une ingérence disproportionnée dans sa vie familiale. Cette décision illustre la mise en balance, par le juge administratif, des impératifs de l’ordre public avec la protection des droits individuels, appliquant de manière rigoureuse les critères d’appréciation (I). Ce faisant, elle adopte une lecture particulièrement exigeante des éléments de preuve relatifs à la vie familiale, ce qui conduit à une neutralisation de la portée du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant (II).

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I. La confirmation de la légalité du refus de séjour fondé sur la menace à l’ordre public

La cour administrative d’appel justifie la décision de l’administration en s’appuyant sur deux fondements classiques du droit des étrangers. D’une part, elle valide la qualification de menace à l’ordre public opposée au requérant, qui fait obstacle à la délivrance d’un titre de séjour (A). D’autre part, elle réaffirme la primauté du régime spécifique de l’accord franco-algérien sur les dispositions du droit commun (B).

A. L’appréciation de la menace à l’ordre public comme motif autonome de refus

Le juge administratif rappelle que la présence d’une menace pour l’ordre public constitue un motif légal de refus de délivrance d’un titre de séjour, même lorsque le demandeur pourrait se prévaloir d’un droit au séjour. En l’espèce, le requérant sollicitait un certificat de résidence en sa qualité d’ascendant d’enfant français. La cour relève toutefois que « le comportement de M. C… doit être regardé comme constituant une menace pour l’ordre public ». Pour parvenir à cette conclusion, elle se fonde sur les condamnations pénales prononcées à l’encontre de l’intéressé, notamment pour des faits de harcèlement sur sa conjointe.

Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’autorité administrative dispose du pouvoir de refuser un titre de séjour à tout étranger dont la présence sur le territoire constitue une menace pour la sécurité ou la tranquillité publiques. Le passé pénal du requérant est ainsi considéré comme un élément déterminant, suffisant à lui seul pour justifier la décision de refus. Le juge opère ici un contrôle de la qualification juridique des faits et estime que le préfet n’a pas commis d’erreur en considérant que les condamnations, par leur nature et leur gravité, rendaient la présence de l’intéressé indésirable sur le territoire. L’appréciation de l’administration est ainsi validée, conférant à la notion d’ordre public une place prépondérante dans la balance des intérêts.

B. La réaffirmation de l’application exclusive de l’accord franco-algérien

Le requérant invoquait à l’appui de sa demande les dispositions de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour écarte ce moyen en rappelant le caractère exclusif de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 pour régir la situation des ressortissants algériens en France. Elle juge ainsi que « la situation de M. C… étant entièrement régie par l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le requérant ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu’il remplirait les conditions prévues par l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».

Cette position, conforme au principe selon lequel les conventions internationales spéciales dérogent aux lois générales, a pour effet de limiter les fondements juridiques que peut invoquer un ressortissant algérien. La cour applique rigoureusement la hiérarchie des normes et le champ d’application des textes, fermant la porte à une application combinée ou alternative du droit commun et de l’accord bilatéral. En conséquence, l’examen de la situation du requérant est entièrement cantonné au cadre strict défini par l’accord franco-algérien, lequel permet, tout comme le droit commun, d’opposer la menace à l’ordre public pour refuser un titre de séjour. Cette rigueur technique renforce la cohérence de la décision préfectorale en la fondant sur le seul texte applicable.

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II. Une appréciation restrictive des liens familiaux neutralisant l’intérêt supérieur de l’enfant

Au-delà de la question de l’ordre public, l’arrêt se distingue par son examen particulièrement exigeant des preuves de la vie familiale. Cette sévérité dans l’appréciation des faits conduit la cour à écarter l’existence d’une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale (A), et par voie de conséquence, à priver d’effectivité l’invocation de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).

A. L’exigence d’une preuve renforcée de la réalité des liens familiaux

Pour évaluer la proportionnalité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour procède à un examen méticuleux des pièces versées au dossier. Elle constate que le requérant, bien que père de deux enfants français, ne parvient pas à démontrer la réalité et l’intensité de ses liens avec eux. La cour souligne que « la production de quatre photographies non datées, d’un décompte de sommes dues illisible, et de quelques factures ou tickets de caisse (…) ne suffit pas à démontrer la réalité et l’intensité des liens dont il se prévaut avec ces enfants ».

Cette analyse factuelle révèle une approche particulièrement stricte de l’administration de la preuve. Le juge ne se contente pas de l’existence d’un lien de filiation, mais exige des éléments concrets, récents et concordants attestant d’une communauté de vie effective et d’une contribution réelle à l’entretien et à l’éducation des enfants. La mention que le lien de filiation n’est pas établi pour le second enfant, ou encore l’absence de preuve de la reprise de la vie commune, sont autant d’éléments retenus pour affaiblir la position du requérant. En fixant un standard de preuve aussi élevé, la cour rend difficile pour le requérant de contrebalancer le poids de la menace à l’ordre public et conclut logiquement à l’absence d’atteinte disproportionnée.

B. La subordination de l’intérêt de l’enfant à l’appréciation du comportement parental

Le requérant invoquait également l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui impose de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale. La cour écarte ce moyen en se fondant sur les mêmes motifs que ceux développés pour l’analyse de la vie privée et familiale. Elle juge en effet que « l’appelant n’établit pas la réalité et l’intensité des liens avec les enfants dont il déclare être le père ». Cette approche lie indissociablement l’intérêt de l’enfant à la capacité de son parent à prouver son investissement dans la relation.

En procédant ainsi, la cour semble considérer que l’intérêt des enfants n’est pas nécessairement de maintenir un lien avec un parent dont le comportement est répréhensible et dont l’implication dans leur vie n’est pas suffisamment établie. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, bien que qualifié de « considération primordiale », se trouve en pratique subordonné à l’appréciation que le juge porte sur la situation globale du parent. Plutôt que d’être un droit autonome de l’enfant, il devient une variable dépendante de la solidité du dossier parental. La décision, qui s’inscrit dans une logique de cas d’espèce, illustre ainsi une tendance jurisprudentielle où la protection de l’ordre public et une conception exigeante de la vie familiale peuvent primer sur la seule considération du maintien des liens entre un enfant et son parent.

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Hassan KOHEN
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