Cour d’appel administrative de Toulouse, le 11 septembre 2025, n°24TL01066

Par un arrêt en date du 11 septembre 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité turque, entré sur le territoire français en 2012, avait sollicité en 2023 son admission exceptionnelle au séjour. Il faisait valoir une présence de plus de dix ans en France, sa situation de père de trois enfants nés sur le territoire national et son intégration professionnelle.

La procédure a débuté par un arrêté du préfet de Tarn-et-Garonne en date du 20 juillet 2023, refusant le titre de séjour et assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Toulouse, qui a rejeté sa demande par un jugement du 19 mars 2024. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était insuffisamment motivée et portait une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Se posait alors à la cour la question de savoir si la mesure d’éloignement constituait une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale du requérant, au regard de son intégration en France et des buts poursuivis par la décision.

Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que, malgré la durée de la présence de l’intéressé en France, la naissance de ses enfants et son activité professionnelle, la décision d’éloignement ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. La cour fonde son raisonnement sur la précarité continue de son séjour, marquée par de précédentes mesures d’éloignement, et sur le caractère récent des preuves d’intégration produites.

La décision commentée s’inscrit dans une appréciation classique des éléments constitutifs de la vie privée et familiale, où la stabilité de l’intégration est une condition déterminante (I). En conséquence, la cour confirme la légalité de la décision préfectorale en exerçant un contrôle restreint qui préserve la marge d’appréciation de l’administration (II).

I. Une appréciation classique de l’atteinte à la vie privée et familiale

La cour administrative d’appel procède à une balance des intérêts en présence, en tenant compte des éléments d’intégration invoqués par le requérant (A) mais en faisant prévaloir la continuité de la situation irrégulière de son séjour (B).

A. La prise en compte d’une intégration familiale et professionnelle jugée insuffisante

Le juge administratif prend en considération les attaches familiales et professionnelles de l’étranger en France pour apprécier la proportionnalité de la mesure d’éloignement. En l’espèce, le requérant se prévalait de sa qualité de père de trois enfants nés en France et scolarisés, de sa relation avec son épouse de même nationalité et de son insertion sur le marché du travail en qualité de carreleur, attestée par des contrats et des bulletins de salaire.

Toutefois, la cour relativise la portée de ces éléments. Elle note que les justificatifs de scolarité des enfants ne sont établis que pour l’année 2022-2023 et que les preuves d’activité professionnelle sont également récentes, débutant principalement en 2021. La cour formule son analyse en des termes clairs, estimant que « la durée de son séjour en France, la scolarisation de ses enfants et l’exercice d’une activité professionnelle ne suffisent pas à démontrer que la mesure d’éloignement prononcée par le préfet […] porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France une atteinte disproportionnée ». Ainsi, la simple existence de liens familiaux et professionnels ne suffit pas à caractériser une intégration telle qu’elle ferait obstacle à l’éloignement.

B. La prévalence du caractère précaire et irrégulier du séjour

Face aux éléments d’intégration présentés, la cour oppose la fragilité et l’irrégularité constantes de la présence du requérant sur le territoire. L’arrêt rappelle que sa demande d’asile a été rejetée définitivement en 2013 et qu’il a fait l’objet de deux précédentes mesures d’éloignement en 2013 et 2017. Cette chronologie démontre que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire en dépit de décisions administratives et juridictionnelles contraires.

De plus, la cour écarte une partie des preuves produites car elles sont postérieures à la décision attaquée. Elle précise que « si M. A… verse pour la première fois en appel des bulletins de salaire pour la période de janvier à mai 2024, ces éléments, ainsi que ceux versés en première instance pour la période d’août à décembre 2023, sont postérieurs à la date de la décision attaquée et ne peuvent, par suite, être utilement invoqués pour en contester la légalité ». Cette règle de procédure, classique en contentieux de l’excès de pouvoir, limite l’appréciation du juge aux seuls éléments dont le préfet disposait au moment de sa décision, renforçant le poids de l’historique irrégulier du séjour.

II. La confirmation de la légalité de la décision par un contrôle restreint

En rejetant les moyens du requérant, la cour confirme la validité de l’acte préfectoral. Elle écarte d’abord les arguments de légalité externe et formelle (A), avant de procéder à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation qui conforte le pouvoir de l’administration (B).

A. Le rejet des moyens de légalité externe et formelle

Le requérant soulevait l’insuffisante motivation de la décision d’éloignement et de celle fixant le pays de destination. La cour écarte ces moyens en constatant que l’arrêté préfectoral visait les textes applicables et mentionnait les éléments de fait propres à la situation du requérant. Elle relève que le préfet a bien évoqué « le rejet de sa demande d’asile […], ainsi que la circonstance qu’il a fait l’objet de deux précédentes mesures d’éloignement ». De même, concernant la décision fixant le pays de renvoi, la motivation est jugée suffisante dès lors qu’elle précise que l’intéressé a vécu l’essentiel de sa vie dans son pays d’origine et n’établit pas y être exposé à des risques.

La cour rejette également le moyen tiré du défaut d’examen réel de la situation, considérant qu’il « ne ressort ni de la motivation de l’arrêté en litige ni d’aucune autre pièce du dossier que le préfet […] n’aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de M. A… ». Par cette approche, le juge administratif se borne à vérifier que l’administration a accompli les diligences formelles et intellectuelles requises, sans examiner l’opportunité de la décision.

B. L’exercice du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

Le cœur du contrôle juridictionnel en matière de police des étrangers réside dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure au regard de l’article 8 de la Convention européenne. En l’espèce, le juge administratif effectue ce contrôle à travers le prisme de l’erreur manifeste d’appréciation. Après avoir pesé les différents éléments de la situation personnelle et familiale du requérant, la cour conclut que la mesure d’éloignement n’a pas de « conséquences d’une gravité exceptionnelle ».

En conséquence, elle juge que « le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont serait entachée cette décision doit être écarté ». Ce faisant, la cour ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet, mais se limite à sanctionner les erreurs les plus grossières. Cette posture jurisprudentielle maintient une large marge de manœuvre au profit de l’administration dans sa politique de gestion des flux migratoires, la décision d’éloigner un étranger en situation irrégulière, même durablement présent et père d’enfants français, ne devenant illégale qu’en cas d’atteinte d’une évidence et d’une gravité particulières.

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