Cour d’appel administrative de Toulouse, le 13 février 2025, n°23TL01091

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 13 février 2025 offre une illustration précise du contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions de refus de séjour opposées par l’autorité préfectorale. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré irrégulièrement sur le territoire national durant sa minorité, avait sollicité la régularisation de sa situation après plusieurs années de présence en France. Il mettait en avant une intégration sociale et professionnelle significative, ainsi que la naissance récente de son enfant. L’autorité préfectorale a toutefois rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Nîmes avait annulé cet arrêté le 27 avril 2023, estimant qu’il portait une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’intéressé. L’administration a interjeté appel de ce jugement. Se posait alors à la cour la question de savoir si l’accumulation d’éléments factuels témoignant d’une intégration réussie et la prise en compte de l’intérêt supérieur d’un enfant né en France suffisaient à caractériser une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’administration. La Cour administrative d’appel a confirmé l’analyse des premiers juges, considérant que la décision préfectorale était bien entachée d’une telle erreur au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de l’étranger. L’analyse de cet arrêt révèle ainsi la méthode d’appréciation globale retenue par le juge pour contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration (I), tout en soulignant le poids grandissant accordé à la stabilité des liens familiaux et à l’intégration de l’étranger (II).

I. Une appréciation souveraine des faits encadrant le pouvoir discrétionnaire de l’administration

Le juge administratif, pour évaluer la légalité de la décision préfectorale, ne s’est pas limité à un examen abstrait des conditions légales du séjour. Il a procédé à une analyse concrète et approfondie de la situation personnelle du requérant (A), en s’appuyant sur un faisceau d’indices concordants pour fonder sa décision (B).

A. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation comme garantie contre l’arbitraire

La cour rappelle qu’il appartient à l’autorité préfectorale, lorsqu’elle examine une demande de régularisation, de s’assurer que sa décision « ne comporte pas de conséquence d’une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle de l’intéressé ». En se plaçant sur le terrain de l’erreur manifeste d’appréciation, le juge exerce un contrôle qui, sans se substituer à l’administration, vérifie que celle-ci n’a pas commis une erreur grossière dans l’évaluation des faits. Ce contrôle permet d’examiner la proportionnalité de la mesure au regard des circonstances particulières de l’espèce. Le juge ne se contente donc pas de vérifier que le demandeur ne remplit pas strictement les conditions d’une admission de plein droit au séjour. Il examine si, au vu de l’ensemble des éléments du dossier, la décision de refus ne constitue pas une réponse manifestement inadaptée. Cette approche garantit que le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de régularisation ne devienne pas un pouvoir arbitraire, en l’obligeant à effectuer un bilan complet des intérêts en présence.

Cette démarche de contrôle approfondi se nourrit d’une analyse factuelle précise. C’est l’accumulation de plusieurs éléments concrets qui a permis à la cour de forger sa conviction.

B. La constitution d’un faisceau d’indices révélateur d’une intégration réussie

Pour conclure à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, la cour s’est fondée sur un ensemble cohérent d’éléments factuels. Elle a d’abord relevé la durée significative du séjour de l’intéressé, qui « y a passé l’essentiel de sa vie de jeune adulte ». Elle a ensuite balayé l’argument de la préfecture contestant l’authenticité d’un acte d’état civil non légalisé, en rappelant que la légalisation n’a pour but que d’attester la régularité formelle de l’acte et que l’administration n’avait jamais remis en cause le passeport biométrique de l’intéressé. Surtout, la juridiction a accordé une importance particulière au parcours d’intégration professionnelle du requérant, marqué par l’obtention d’un diplôme, un apprentissage réussi et la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée. Les attestations élogieuses de ses formateurs et de son employeur, louant son « caractère sérieux, travailleur et assidu » ainsi que son « excellente conduite », ont été explicitement prises en compte. Enfin, l’intégration sociale, déjà reconnue par le tribunal administratif dans une décision antérieure, a été corroborée par un engagement bénévole et des rapports sociaux positifs.

La somme de ces éléments, démontrant une volonté et une capacité d’intégration remarquables, a constitué le socle sur lequel le juge a bâti son raisonnement. En procédant à cette évaluation globale, la cour ne se contente pas de juger une situation particulière ; elle réaffirme les principes qui encadrent le pouvoir discrétionnaire de l’administration.

II. La consécration de la situation personnelle et familiale comme critère déterminant

Au-delà de la méthode de contrôle, l’arrêt se distingue par la place centrale qu’il accorde à la situation personnelle et familiale de l’étranger. Cette approche renforce la protection de la vie privée et familiale garantie par les textes supranationaux (A) et confère à l’intérêt supérieur de l’enfant une portée décisive dans l’appréciation du juge (B).

A. Le renforcement de la protection du droit à une vie privée et familiale normale

Bien que la cour fonde principalement sa décision sur l’erreur manifeste d’appréciation, son raisonnement est irrigué par l’esprit de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En considérant l’ensemble des liens personnels, sociaux et professionnels tissés par le requérant en France, le juge administratif évalue en réalité l’intensité de sa vie privée sur le territoire. La décision illustre que l’éloignement d’un étranger qui, malgré l’irrégularité initiale de son séjour, a su construire une vie stable et intégrée, peut constituer une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le fait que le requérant ait déjà fait l’objet de deux mesures d’éloignement n’a pas fait obstacle à cette analyse, la cour ayant estimé que les nouvelles circonstances, notamment familiales, justifiaient une réévaluation de sa situation. Cet arrêt confirme ainsi une tendance jurisprudentielle qui tend à protéger les parcours d’intégration réussis, même en l’absence de droit au séjour de plein droit.

Parmi les nouvelles circonstances, la situation familiale de l’intéressé a revêtu une importance décisive, orientant de manière significative la solution retenue par la cour.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant, critère prépondérant de l’appréciation

L’élément le plus marquant de la décision est sans doute le poids accordé à la naissance de l’enfant du requérant sur le territoire français. La cour relève non seulement que l’intéressé est devenu père, mais aussi qu’il établit « subvenir aux besoins » de son enfant. Elle en tire une conséquence directe et déterminante en affirmant que « l’exécution de l’arrêté en litige aurait nécessairement pour effet de priver la jeune […] de la présence de son père ». Cette formule, d’une grande clarté, place l’intérêt de l’enfant au cœur de l’appréciation. En jugeant que la séparation du père et de l’enfant constituerait une conséquence d’une gravité exceptionnelle, la cour fait de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe consacré par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, un critère essentiel du contrôle de proportionnalité. L’arrêt suggère que, face à un étranger solidement intégré et parent d’un enfant français ou né en France, l’administration doit motiver de manière particulièrement circonstanciée toute décision d’éloignement, sous peine de voir sa décision censurée pour erreur manifeste d’appréciation.

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Hassan KOHEN
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