Cour d’appel administrative de Toulouse, le 13 février 2025, n°23TL01503

Par un arrêt en date du 13 février 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour à un étranger parent d’un enfant mineur dont l’état de santé requiert une prise en charge médicale. Cette décision illustre l’interprétation par le juge administratif des dispositions relatives à l’admission au séjour pour raisons de santé, notamment au regard de la gravité des conséquences qu’entraînerait un défaut de soins.

Une ressortissante nigériane, entrée en France en 2018 et dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée, a sollicité son admission au séjour en se prévalant de l’état de santé de son fils mineur. Par un arrêté du 7 octobre 2021, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de faire droit à sa demande, a assorti ce refus d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de six mois. La requérante a saisi le tribunal administratif de Toulouse, qui, par un jugement du 6 décembre 2022, a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté préfectoral. L’intéressée a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision du préfet reposait sur une procédure irrégulière et une appréciation erronée de l’état de santé de son enfant, au mépris des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le litige posait ainsi à la cour la question de savoir si l’interruption d’une prise en charge pluridisciplinaire, visant à remédier à des troubles du développement et des apprentissages chez un enfant, est susceptible de constituer un défaut de soins entraînant des conséquences d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant l’analyse des premiers juges. Elle estime que si l’arrêt des soins serait préjudiciable au développement de l’enfant, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette interruption serait susceptible d’entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Par conséquent, la cour valide le refus de séjour opposé par l’autorité préfectorale ainsi que les mesures d’éloignement qui en découlent, considérant que ni les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ni l’intérêt supérieur de l’enfant n’ont été méconnus.

La solution retenue par la cour administrative d’appel confirme une acception stricte de la condition d’exceptionnelle gravité, conditionnant l’octroi d’un titre de séjour pour raison de santé (I), ce qui conduit à interroger la conciliation opérée entre les impératifs de la politique migratoire et la protection effective de l’enfant (II).

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I. La consolidation d’une interprétation rigoureuse de l’exceptionnelle gravité

La cour administrative d’appel de Toulouse fonde sa décision sur une analyse en deux temps. Elle s’assure d’abord de la régularité de l’avis médical sur lequel s’est appuyée l’administration (A), avant de procéder à une application restrictive de la notion de gravité des conséquences d’un défaut de soins (B).

A. Le contrôle de la régularité de l’avis du collège de médecins

La décision rappelle le rôle central de l’avis émis par le collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dans la procédure d’octroi d’un titre de séjour pour raison de santé. En vertu des articles L. 425-9 et R. 425-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, cet avis constitue une étape substantielle, éclairant la décision de l’autorité préfectorale. Le juge administratif, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, exerce un contrôle sur la régularité de la procédure consultative.

En l’espèce, la requérante soutenait que le rapport médical était incomplet et erroné. La cour rejette ce moyen en procédant à une vérification factuelle précise. Elle constate que le rapport, établi par un médecin de l’office, « reprend d’une manière complète et sans aucune erreur les informations médicales contenues dans le certificat du médecin traitant ». Le juge relève que ce document fait bien état « tant des problèmes somatiques de l’enfant que de son état psychique, de ses troubles scolaires et de sa prise en charge en centre médico-psycho-pédagogique ». Par cette analyse, la cour estime que la procédure a été menée conformément aux exigences légales et réglementaires. Cette démarche illustre que le contrôle juridictionnel ne porte pas sur l’opportunité de l’avis médical, mais sur le respect des garanties procédurales et sur l’exactitude matérielle des éléments ayant fondé cet avis.

B. Une appréciation restrictive du seuil de gravité requis

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’appréciation du critère de fond posé par l’article L. 425-9 du code précité, à savoir l’existence de « conséquences d’une exceptionnelle gravité » en cas de défaut de prise en charge médicale. La cour se livre à un examen des pièces médicales versées au débat par la requérante, qui attestaient d’un retard de langage sévère et d’une dyspraxie visio-constructive justifiant un suivi hebdomadaire par une orthophoniste, un psychomotricien et un psychologue.

Or, la cour distingue l’impact négatif d’une interruption des soins de la notion d’exceptionnelle gravité. Elle reconnaît que les documents produits indiquent que « l’arrêt de la prise en charge ainsi initiée serait de nature à pénaliser la poursuite des apprentissages de l’enfant ». Néanmoins, elle juge qu’il « ne ressort toutefois pas de ces documents qu’une interruption des soins de rééducation dont bénéficie le fils de Mme B… serait par elle-même susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Cette distinction est déterminante. Elle signifie que la simple dégradation des perspectives de développement ou la perte d’une chance d’amélioration ne suffisent pas à franchir le seuil très élevé fixé par le législateur. La notion d’exceptionnelle gravité semble ainsi réservée à des situations où le pronostic vital est engagé ou lorsqu’un risque de dégradation majeure et irréversible de l’état de santé est avéré.

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II. Une conciliation rigoureuse entre le contrôle migratoire et l’intérêt de l’enfant

En validant le refus de séjour, la cour opère une mise en balance des intérêts en présence où la logique du contrôle de l’immigration semble prévaloir. Cette approche se manifeste tant dans l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant (A) que dans l’appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale (B).

A. La portée circonscrite de l’intérêt supérieur de l’enfant

La requérante invoquait la méconnaissance du paragraphe 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui érige l’intérêt supérieur de l’enfant en « considération primordiale ». La cour examine ce principe, mais son analyse apparaît directement subordonnée à la conclusion précédemment tirée sur le plan sanitaire. Elle énonce que la décision préfectorale « n’a pas pour effet de mettre en danger la santé de son fils ».

De plus, la cour ajoute qu’elle n’a pas non plus « pour effet de séparer cet enfant de ses parents » et que rien ne s’oppose à ce qu’il « poursuive un parcours scolaire hors de France ». Ce faisant, le juge administratif interprète l’intérêt supérieur de l’enfant principalement sous l’angle de l’absence de mise en danger de sa santé et du maintien de l’unité familiale. La question de l’accès à une prise en charge optimale pour son développement et son inclusion sociale, bien que préjudiciable, est reléguée au second plan. La protection conférée par ce principe conventionnel ne semble ainsi pas pouvoir faire obstacle à une mesure d’éloignement lorsque la condition d’exceptionnelle gravité sanitaire n’est pas remplie.

B. La prévalence des critères du droit des étrangers sur l’intégration familiale

L’arrêt examine enfin l’argument tiré d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour effectue un bilan classique des intérêts en présence, qui se révèle défavorable à la requérante. Elle retient la faible durée de présence en France, soit « moins de trois ans à la date de l’arrêté attaqué ».

La cour relève également que la famille, intégralement de nationalité nigériane et en situation irrégulière, ne justifie pas d’une intégration sociale ou professionnelle particulière ni d’une absence d’attaches dans son pays d’origine. La précarité du séjour et la brièveté de la résidence en France constituent ainsi des éléments décisifs qui l’emportent sur la vie familiale qui a pu s’y nouer. Cette motivation démontre que le titre de séjour prévu pour le parent d’un enfant malade est une voie dérogatoire et d’interprétation stricte. En l’absence de satisfaction de la condition sanitaire principale, la situation de la famille est alors appréciée au regard des critères ordinaires du droit au séjour, lesquels se révèlent en l’espèce insuffisants pour faire obstacle à la mesure d’éloignement.

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