Par une ordonnance en date du 13 février 2025, la juge des référés de la cour administrative d’appel de Toulouse a constaté un non-lieu à statuer sur la requête d’un particulier. Ce dernier sollicitait l’octroi d’une provision en réparation des préjudices nés de la suppression illégale des conditions matérielles d’accueil auxquelles il avait droit. L’ordonnance commentée vient ainsi clore une procédure de référé engagée à la suite d’une décision administrative illégale.
En l’espèce, un particulier s’est vu retirer le bénéfice de ses conditions matérielles d’accueil par une décision d’un office administratif en date du 8 mars 2022. Le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 13 octobre 2023, a annulé cette décision pour illégalité. Estimant que cette illégalité fautive lui avait causé des troubles importants dans ses conditions d’existence ainsi qu’un préjudice moral, l’intéressé a saisi le juge des référés du même tribunal d’une demande de provision d’un montant de 20 099,49 euros. Par une ordonnance du 29 avril 2024, le juge des référés a rejeté cette demande. Le requérant a alors interjeté appel de cette ordonnance devant la cour administrative d’appel de Toulouse. Cependant, au cours de cette instance d’appel, le tribunal administratif de Toulouse, statuant cette fois au fond sur le litige indemnitaire, a condamné l’office, par un jugement du 10 décembre 2024, à verser au requérant une somme de 599,40 euros.
La question de droit qui se posait à la juge d’appel des référés était donc de savoir si une demande de provision conserve un objet lorsque le juge du fond s’est prononcé de manière définitive sur l’indemnisation du préjudice dont la réparation était sollicitée à titre provisionnel.
À cette question, la juridiction d’appel répond par la négative, en jugeant que l’intervention d’un jugement au fond statuant sur la demande d’indemnité rend sans objet la procédure de référé-provision. Elle estime en effet que dans ces conditions, « la demande de provision présentée par l’intéressé est devenue sans objet » et qu’en conséquence, il n’y a plus lieu de statuer sur la requête d’appel. Cette solution consacre une application rigoureuse de la logique procédurale du référé, dont l’objet s’éteint une fois la décision au fond rendue (I), tout en réaffirmant la nature purement subsidiaire et conservatoire de cette procédure d’urgence (II).
I. L’extinction de l’office du juge des référés par l’intervention du jugement au fond
L’ordonnance commentée illustre avec clarté la conséquence procédurale directe de l’intervention d’un jugement sur le fond du litige sur une instance de référé-provision en cours. Elle consacre ainsi une irrecevabilité pour perte d’objet (A) qui découle de l’application rigoureuse des conditions propres au référé-provision (B).
A. La consécration d’une irrecevabilité pour perte d’objet
La juge des référés de la cour administrative d’appel de Toulouse fonde sa décision sur le fait que le litige indemnitaire principal a été tranché. Le jugement du 10 décembre 2024, en fixant définitivement le montant de la réparation due au requérant, a privé la demande de provision de sa raison d’être. Une provision, par nature, est une avance sur une créance qui sera ultérieurement fixée par le juge du fond ; elle vise à permettre au créancier de ne pas attendre l’issue, parfois lointaine, du procès principal. Dès lors que ce procès a abouti et que la créance a été liquidée, la notion même d’avance perd toute signification.
En déclarant que la requête est « devenue sans objet », la juge constate la disparition de l’intérêt à agir du requérant en cours d’instance. L’objet même de sa demande, à savoir l’obtention d’une somme provisionnelle dans l’attente d’un jugement définitif, n’existe plus. Le non-lieu à statuer est donc la seule issue possible, car le juge ne peut plus se prononcer sur une demande qui n’a plus de finalité. Cette solution, classique en contentieux administratif, rappelle que le juge vérifie l’intérêt à agir non seulement au jour de l’introduction de la requête, mais aussi à la date à laquelle il statue.
B. L’application rigoureuse des conditions du référé-provision
L’ordonnance met également en lumière l’une des conditions fondamentales du référé-provision, prévue à l’article R. 541-1 du code de justice administrative : l’existence d’une obligation non sérieusement contestable. Si, en l’espèce, le principe de la responsabilité de l’office ne faisait plus de doute après l’annulation de sa décision, le montant de la créance restait, lui, entièrement à déterminer. Le requérant évaluait son préjudice à près de 20 000 euros, tandis que le juge du fond l’a finalement fixé à un montant très inférieur.
L’intervention du jugement au fond vient cristalliser le montant de l’obligation, la sortant du champ de l’évaluation provisionnelle pour la faire entrer dans celui de la liquidation définitive. Le juge des référés, dont le rôle est d’accorder une provision lorsque l’obligation est claire dans son principe et dans son évaluation sommaire, ne saurait se substituer au juge du fond ni, a fortiori, statuer après lui sur une question que ce dernier a définitivement tranchée. La perte d’objet de la demande de provision est donc aussi la conséquence logique du fait que le jugement au fond a absorbé et résolu l’incertitude sur laquelle le référé-provision aurait pu prospérer.
Cette stricte application des règles procédurales vient ainsi souligner la place spécifique qu’occupe le juge des référés au sein de l’organisation juridictionnelle administrative, son intervention étant intrinsèquement liée à l’existence d’un litige principal non encore jugé.
II. La portée limitée de la décision : le caractère purement conservatoire du référé-provision
Au-delà de sa logique procédurale, l’ordonnance réaffirme le rôle instrumental et subsidiaire du référé-provision. Elle met en exergue l’autonomie procédurale pleine et entière du juge du fond (A) et, par contrecoup, le caractère accessoire de la justice des référés (B).
A. L’autonomie procédurale du juge du fond
La décision commentée est l’occasion de rappeler que la procédure de référé et la procédure au fond sont deux instances distinctes qui, bien que liées, jouissent d’une autonomie mutuelle. Le juge du fond n’est jamais lié par l’appréciation portée par le juge des référés, que ce soit sur l’existence ou sur le montant de l’obligation. En l’espèce, l’ordonnance de première instance avait rejeté la demande de provision, ce qui n’a pas empêché le juge du fond de reconnaître l’existence d’une créance et de condamner l’office, même si ce fut pour un montant bien moindre que celui espéré par le requérant.
Cette autonomie est la garantie d’un examen complet et approfondi des droits des parties, que la célérité de la procédure de référé ne permet pas. Le jugement du 10 décembre 2024, en statuant sur le quantum de l’indemnité, a exercé la plénitude de la fonction juridictionnelle, là où le juge des référés n’intervient que pour apporter une réponse rapide et temporaire à une situation d’attente. L’ordonnance d’appel, en s’effaçant devant le jugement au fond, reconnaît et respecte cette primauté de la justice du principal sur celle de l’urgence.
B. L’affirmation du rôle subsidiaire de la justice des référés
En définitive, cette ordonnance de non-lieu à statuer, bien qu’étant une décision d’espèce, constitue une illustration pédagogique du rôle de la justice des référés. Le référé-provision n’est pas une fin en soi, mais un outil au service du justiciable pour atténuer les effets de la durée du procès. Son utilité est donc par nature temporaire et cesse dès que le juge du fond a rempli son office. La décision de la juge d’appel des référés de Toulouse ne fait que tirer la conséquence nécessaire de cette architecture.
Elle rappelle que l’urgence, qui justifie l’intervention du juge des référés, ne saurait prévaloir lorsque le litige a trouvé sa solution définitive au principal. La procédure de référé est ainsi confirmée dans sa fonction d’accessoire du procès au fond, un accessoire qui disparaît logiquement une fois que le principal est résolu. La solution retenue, bien que défavorable aux prétentions immédiates du requérant dans le cadre de l’appel, est donc juridiquement orthodoxe et conforme à une saine administration de la justice, qui évite la poursuite de procédures devenues inutiles.